Des clés pour mieux accompagner la fin de vie en EHPAD
23 août 2022 | 16 vues | Adrien Collet | mots clefs : décès Ehpad, EHPAD, Soins palliatifs
Derniers lieux de vie de nombreuses personnes âgées, les EHPAD sont des acteurs importants des soins palliatifs en France. Écoute, anticipation, collaboration… des progrès ont été faits pour accompagner les résidents en fin de vie. Des efforts mis à l'épreuve par la crise sanitaire.
Cet article a été publié dans le n°43 d'ActuSoins Magazine (décembre-janvier-février 2022). Il est à présent en accès libre.
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La démarche palliative est aujourd'hui présente dans les projets d'établissement de 75% des Ehpad.
Charlotte Gonzalez.
« Les résidents vivent et meurent en Ehpad, mais nous n’arrivons pas à être aussi naturels dans l’accompagnement de ces deux situations », estime Marie-Odile Vincent, directrice de la résidence Jacques Bonvoisin à Dieppe (76). En 2019, elle initie une démarche pour améliorer l’accompagnement de la fin de vie. L’enjeu de ces travaux : libérer la parole des soignants et des résidents autour de la fin de vie.
« Quand il est question des repas, les résidents participent à nos réflexions. Pourquoi n’en est-il pas de même lorsqu’on aborde la fin de leur vie ? » questionne-t-elle. Les usagers ont donc travaillé avec les salariés de l’établissement pour mettre en place de nouvelles pratiques. Marie-Odile Vincent a d’ailleurs tiré un livre de cette expérience : Fin de vie en Ehpad, parlons-en ! publié aux éditions Le Coudrier.
Introduite en France en 1999, la démarche palliative est aujourd’hui présente dans les projets d’établissement de 75% des Ehpad, selon une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques). Le plan national pour le développement des soins palliatifs, annoncé en septembre dernier, considère d’ailleurs l’appropriation de la fin de vie par le citoyen comme une priorité.
Et ce questionnement autour de la parole de l’usager est partagé par de nombreux établissements. « C’est à nous de permettre au résident de l’exprimer au cours de son séjour. » affirme Michel Barbe, directeur de la résidence Les Jardins du Castel à Chateaugiron, près de Rennes. Il constate une évolution récente : « aujourd’hui les soignants sont plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’aborder la fin de vie. » Ce qui, selon lui, permet au résident, à sa famille et à l’équipe soignante de mieux appréhender cette période.
Savoir anticiper
Ayoub Benkarroum
D’après l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie, publié par le Centre national des soins palliatifs, 13 % du nombre total des décès ont eu lieu en EHPAD, en 2018. Les Ehpad sont donc des acteurs incontournables de la fin de vie et la démarche palliative intervient de plus en plus tôt dans le parcours du résident.
Le Docteur Jean-Marie Gomas, cofondateur de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), plaide pour « une démarche palliative plus dynamique et anticipée. » Il salue des évolutions, notamment l’arrivée prochaine du Midazolam
dans les Ehpad. « C’est un sédatif qui n’était présent qu’à l’hôpital, précise-t-il, cela va considérablement améliorer la fin de vie des résidents ! »
Selon lui, un effort important de formation doit être entrepris : « à peine un tiers des généralistes est capable de rédiger des protocoles anticipés pour soulager douleurs et anxiété. » Laurence Ah-Sang, infirmière à la résidence Jacques Bonvoisin, confirme : « certains soignants sont frileux face aux protocoles de fin de vie. Ils ont peur de faire courir des risques aux résidents fragiles. »
Pour Valérie Le Marre, cadre de santé aux Jardins du Castel, la prescription anticipée doit rester une réponse au besoin du résident. « Il arrive que nous ayons des demandes de prescriptions anticipées de la part des familles ou des soignants », confie-t-elle. Elle interroge les motivations face à des situations de fin de vie qui s’installent dans le temps.
Les équipes des Jardins du Castel utilisent également la fiche SAMU Pallia, qui résume les éléments relatifs à la situation de santé de la personne et ses souhaits exprimés. « Elle est rédigée par le médecin traitant et adressée au centre 15, explique Valérie Le Marre. Cela facilite la prise de décision lorsque l’état de santé se dégrade. » Le résident lui-même, ou sa famille, donne son accord à sa diffusion.
Construire un réseau
Charlotte Gonzalez
Pour renforcer leurs compétences, de plus en plus d’établissements font appel à l’hospitalisation à domicile (HAD). Ce recours est souvent indispensable lorsque l’intervention d’un infirmier de nuit est nécessaire. « C’est de la haute-voltige d’accompagner la fin de vie sans infirmier la nuit ! » déplore le Dr Jean-Marie Gomas.
Fin 2015, selon la DREES, seulement un Ehpad sur dix disposait d’une présence infirmière 24 heures sur 24. « Le soutient de l’HAD en Ehpad, c’est l’avenir ! ajoute-t-il. Le travail en réseau est essentiel dans les soins palliatifs. » La collaboration avec l’HAD est d’ailleurs bien installée à Jacques Bonvoisin et aux Jardins du Castel.
En revanche, à l’Ehpad Belle Vallée, près de Grenoble, faute de structure HAD, les équipes ont créé un partenariat avec l’équipe mobile en soins palliatifs. Deux infirmières référentes ont élaboré un guide « soins palliatifs » en s’appuyant sur des infirmiers supports du CHU et dispensent des formations en interne.
Formation et proximité
La formation est également un axe prioritaire du nouveau plan de développement des soins palliatifs. Le Centre national des soins palliatifs estime qu’un peu plus de deux Ehpad sur dix comptent au moins un membre du personnel formé aux soins palliatifs (DU, DIU).
Laurence Ah-Sang confirme que sa formation initiale en soins infirmiers est « largement insuffisante » pour accompagner les résidents en fin de vie. Pourtant, au cours de sa carrière, elle n’a pas bénéficié de formation spécifique jusqu’à sa participation aux travaux menés au sein de son établissement. De même aux Jardins du Castel, un cycle de formation régulier a été mis en place pour les soignants.
Si la formation apparaît comme un levier pour améliorer les accompagnements de fin de vie dans de nombreux établissements, la SFAP milite aussi pour un accompagnement de proximité. Anne-Marie Colliot, cadre de santé et déléguée générale, précise que certaines formations sont souvent en décalage avec la réalité. « De retour en EHPAD, les soignants ont peu de moyens et cela génère beaucoup de frustration, précise-t-elle. Participer à la toilette d’une personne en fin de vie avec un soignant est nettement plus formateur qu’une journée de cours dans une salle. »
Sortir par la grande porte
Stock /Laikwunfai
Dernier lieu de vie de nombreux résidents, l’accompagnement offert par les Ehpad ne s’arrête pas au moment du décès. Selon les professionnels, on porte aujourd’hui une attention particulière à la période immédiate qui le suit.
« Dans de nombreux établissements, le départ des résidents était caché, confie Marie-Odile Vincent, et on assistait à des situations surprenantes. » A Dieppe, soignants et usagers se sont mis d’accords sur des rituels. Aujourd’hui l’ensemble des salariés et résidents volontaires forment une haie d’honneur lorsque les pompes funèbres quittent l’établissement avec le défunt. « Cela assure aux autres résidents que, le jour où leur tour sera venu, ils sortiront par la grande porte », commente la directrice.
Aux Jardins du Castel aussi, on rend hommage en formant une haie d’honneur. Il s’agit d’une pratique de plus en plus adoptée par les Ehpad. Valérie Le Marre explique que ce temps a un impact important pour les familles et les salariés : « Cela clôture notre accompagnement et c’est le moment où les équipes reçoivent des remerciements. »
L’épreuve de la pandémie
Des rituels suspendus par les mesures mises en place au début la crise sanitaire. « Cela a été difficile à vivre pour tout le monde, témoigne la cadre de santé, nous avons perdu cette notion d’aller jusqu’au bout. » Selon elle, la précipitation imposait un traitement égal à toutes situations de fin de vie, alors que les établissements avaient travaillé à des accompagnements individualisés.
« La pandémie a dévasté ce qui avait été mis en place par les Ehpad ! » s’indigne le Dr Jean-Marie Gomas. Il pointe la responsabilité des organismes de tutelles : « Ils ont déshumanisé les soins au moment où nous en avions le plus besoin. » La période a aussi eu un impact sur les effectifs et les difficultés de recrutement dont témoignent de nombreux établissements. « Les soins palliatifs reposent sur la disponibilité des soignants. Cela nécessite d’être en effectif suffisant ! » conclut-il.