Motion de rejet préalableMme la présidente. J’ai reçu de Mme Barbara Pompili et des membres du groupe écologiste une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à de M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la niche parlementaire de l’UMP me semble avoir un air de déjà-vu.
Monsieur Leonetti, vous revenez souvent à la charge sur ce sujet délicat et souvent douloureux de la fin de vie. Vous avez été rapporteur – et en partie l’auteur – de la loi de 2005. Ensuite, vous avez présidé une commission d’évaluation de cette loi en 2008. Puis vous avez été rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique en 2011, à propos duquel nous avions à nouveau évoqué le sujet, bien que vous ayez plutôt cherché à l’écarter. Désormais, vous défendez cette proposition de loi.
La loi de 2005, à laquelle on accole souvent votre nom, avait été saluée et votée par l’ensemble de l’Assemblée, tous bords politiques confondus. Il est vrai qu’à l’époque, cette loi marquait un tournant dans les débats relatifs à la fin de vie. À la suite de l’affaire Vincent Humbert, un débat important s’était instauré en France, non seulement dans les médias mais dans la société entière, au sujet de l’euthanasie. Je n’aime pas beaucoup ce terme, ayant un peu étudié le grec ancien de par le passé ; l’idée d’une « mort heureuse » me semble un concept très délicat, à manier avec beaucoup de précautions. On emploie également l’expression de « suicide médicalement assisté », qui n’est pas non plus très heureuse, ou de l’aide active à mourir.
À défaut de légaliser ces pratiques, une première étape a été franchie à l’époque. La loi de 2005 permet d’éviter ce que l’on appelle l’acharnement thérapeutique et a essayé de promouvoir les soins palliatifs. On pourrait d’ailleurs discuter de la réalité des résultats sur l’acharnement thérapeutique, mais une étape avait été franchie. Toutefois, cela n’a pas répondu au problème, grave, soulevé par le cas de Vincent Humbert, à qui les soins palliatifs n’auraient rien apporté.
Mais, pour beaucoup d’autres patients, cela a pu constituer une avancée. Pour autant, doit-on se dire que maintenant que l’on a une législation qui a – un petit peu – évolué, il ne faudrait plus rien y changer ? C’est un peu le sentiment que donnent vos initiatives législatives, monsieur Leonetti.
La loi de 2005 n’aurait pas dû devenir un horizon indépassable. Or, c’est ce que l’on pourrait croire en entendant plusieurs de vos collègues de l’UMP affirmer souvent qu’elle apporte la réponse à la question. En définitive, vous donnez l’impression de prendre aujourd’hui cette initiative législative pour bloquer les débats de fond sur les autres questions liées à la fin de vie.
Cela fait huit ans que la loi qui porte votre nom a été promulguée, et il est logique d’en faire aujourd’hui un bilan et d’étudier les pistes d’évolution.
C’est dans cette optique que le Président de la République a confié une mission sur la fin de vie au professeur Didier Sicard. Évidemment, cette mission ne doit pas empêcher le législateur de prendre des initiatives et d’être force de proposition. Le texte que vous avez déposé est donc tout à fait légitime. On pouvait penser que votre proposition de loi comporterait des idées innovantes ou, du moins, une avancée notable dans le renforcement des droits des patients en fin de vie ; mais elle ne présente finalement, à notre sentiment, qu’un intérêt limité. J’avoue d’ailleurs mal mesurer le progrès qu’elle représente.
Le rapport remis par la commission Sicard en décembre dernier précise que la loi actuelle a besoin d’être plus connue, tant par les patients que par le corps médical, et mieux appliquée. Très bien : prenons-en acte et agissons en ce sens ! Mais cela ne suffira évidemment pas. Le rapport développe d’ailleurs de nombreuses autres pistes. Ainsi, il est expliqué qu’il est impératif que la parole du malade et son autonomie soient respectées. Concrètement, cela devrait se traduire tout d’abord par le développement et la facilitation des directives anticipées, une meilleure information sur elles et une application réelle. Or les implications de ces directives et le cadre juridique strict dans lequel elles doivent s’inscrire sont, aujourd’hui encore, trop méconnus. Votre proposition de loi agit-elle en ce sens ? Non. Met-elle en œuvre de véritables mesures facilitant cette pratique ? Non plus.
Certes, on peut considérer qu’une proposition de loi ne doit pas forcément être exhaustive, et la vôtre comporte certainement d’autres approches présentes dans le rapport Sicard. En annexe de ce dernier, l’Inspection générale des affaires sociales expose la problématique de la personne de confiance. Censée être l’interlocuteur privilégié du corps médical, la personne de confiance est celle dont la parole a le plus d’importance si le patient n’est pas lui-même en état de s’exprimer. Une fois encore, si ce concept est très intelligent dans la théorie, il n’est pas opératoire dans les faits. Compte tenu de l’impossibilité pour les médecins de déterminer qui est la personne de confiance, du doute quant à la capacité pour cette personne d’agir avec justesse et d’assumer le rôle primordial qui lui incombe, et de la distance qui peut la séparer du patient, ce dispositif peine à exister. Votre proposition de loi apporte-t-elle un élément de réponse à ce problème ? Non. Fait-elle seulement mention de la personne de confiance ? Non.
Je continue d’évoquer les pistes suggérées par le rapport Sicard. Il y est clairement recommandé d’instaurer, pour le corps médical, une formation aux problématiques de la fin de vie. Trop souvent, les patients se trouvent confrontés à des praticiens ne maîtrisant que trop peu cette situation forcément compliquée – d’autant qu’elle n’est jamais la même d’un patient à l’autre. S’il est une piste que nous devrions suivre, c’est donc bien celle-ci. Or votre proposition de loi ne propose rien en la matière. Il n’y est pas même fait allusion.
Dans une autre partie du rapport, il est question de l’ouverture des soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il s’agit d’un véritable chantier à ouvrir, car les soins palliatifs en EHPAD sont actuellement organisés par des équipes mobiles rattachées à des établissements hospitaliers ou par le dispositif d’hospitalisation à domicile. La proposition de loi que vous défendez apporte-t-elle une solution à ce problème ? Non. Elle n’y fait même pas allusion non plus. Certes, toute solution qui serait proposée créerait des charges nouvelles, et l’on sait combien il est compliqué d’insérer dans une proposition de loi des articles susceptibles de créer de nouvelles charges publiques. Cela démontre aussi le caractère inopportun de ce véhicule législatif : la procédure que vous avez choisie est inadaptée à un tel sujet.
On ne peut répondre qu’il suffit d’appliquer toutes les bonnes idées du rapport Sicard – on peut d’ailleurs juger que les propositions du rapport ne sont pas toutes bonnes, mais j’y reviendrai. Pourtant, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, il est écrit : « souhaitant qu’une nouvelle étape à la législation en vigueur soit franchie tout en faisant preuve de continuité, la présente proposition de loi, qui s’inscrit dans les orientations du rapport de la commission Sicard, vise à renforcer les droits des malades et à garantir le respect de leur dignité ». Apparemment, monsieur le rapporteur, vous avez fait de ce rapport votre bible, si vous me permettez l’expression.
M. Jean Leonetti, rapporteur. L’expression n’est pas appropriée !
M. François de Rugy. Mais toute bible donne lieu à différentes lectures et à des interprétations pour le moins distinctes. Vous ne dérogez pas à cette règle. Loin de vous inscrire dans une quelconque orientation du rapport, loin de renforcer les droits des malades, vous ne faites que réécrire votre propre loi de 2005. Finalement, on comprend bien pourquoi : il faut donner l’impression d’agir, pour défendre en réalité le
statu quo. Cette attitude est respectable mais, dans ce cas, pourquoi déposer une nouvelle proposition de loi qui n’apporte pas de réelle innovation ? Cette seule raison justifierait l’adoption de la motion de rejet préalable.
Par ailleurs, on peut contester votre décision d’inscrire cette proposition à l’ordre du jour dans la période actuelle. Vous avez vous-même parlé du problème de
timing – normalement, nous ne sommes pas censés employer des mots anglais lors de nos interventions à l’Assemblée nationale
(Sourires). La question du moment est, en tout cas, une vraie question.
Lorsque le Président de la République a confié la mission sur la fin de vie au professeur Sicard, il n’a jamais caché qu’il en découlerait un projet de loi relatif au droit de mourir dans la dignité – c’est une autre expression que l’on emploie souvent –, en accord avec l’engagement n° 21 du programme sur lequel il a été élu. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé lorsque le rapport lui a été remis : il a pris publiquement un engagement très clair, que nous avons salué. Vous vous souvenez sans doute, madame la ministre, que notre collègue Véronique Massonneau vous avait interrogée sur ce sujet ici même, lors d’une séance de questions au Gouvernement : vous aviez alors rappelé cet engagement.
Les conclusions du rapport ont été transmises au Comité consultatif national d’éthique, qui doit rendre son avis mi-juin, soit dans un mois et demi ou deux mois. Un projet de loi devrait ensuite être présenté en conseil des ministres. Il me paraît donc un peu étrange de vouloir, en quelque sorte, couper l’herbe sous les pieds du Gouvernement et du Président de la République en présentant cette proposition de loi maintenant.
Monsieur le rapporteur, nous avons également été un peu surpris par la façon dont vous avez conduit le travail préparatoire. Les députés du groupe écologiste, notamment Véronique Massonneau – elle ne peut pas être présente aujourd’hui, mais elle suit beaucoup cette question au sein de la commission des affaires sociales, dont elle est membre –, nous ont fait part de vos méthodes. Il est un peu surprenant d’envoyer des convocations par SMS et d’organiser une seule réunion, un mercredi matin, pour auditionner des personnes qui partagent toutes le même avis. C’est dommage, sur un sujet comme celui-là.
M. Jean Leonetti, rapporteur. Auditionner le professeur Sicard, ce n’est pas bien ?
M. François de Rugy. Cela ne suffit pas !
M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est quand même normal !
M. François de Rugy. Oui, mais il convient d’avoir une démarche aussi pluraliste que possible, puisqu’il existe une diversité de points de vue. Déjà, sous la précédente législature – j’étais moi-même député –, vous aviez conduit une mission rassemblant des députés de plusieurs groupes, mais vous aviez choisi au sein de ces groupes des députés qui partageaient votre avis.
M. Jean Leonetti, rapporteur. Trente-deux députés de mon avis ? Comment aurais-je fait ?
M. François de Rugy. Encore une fois, c’était dommage, car cela ne contribuait pas à une approche pluraliste du sujet.
J’ajoute un autre élément pour étayer cette motion de rejet préalable. Lorsque nos collègues du groupe RRDP ont inscrit à l’ordre du jour qui leur était réservé une proposition de loi visant à autoriser la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires, le groupe UMP s’est livré à une opération d’obstruction systématique pour empêcher l’examen de ce texte et,
a fortiori, son adoption. Les orateurs de l’UMP – je ne sais pas s’ils sont présents aujourd’hui – avaient avancé l’argument selon lequel on ne pouvait discuter d’une telle proposition de loi, qui ne comportait pourtant qu’un seul article, dans le cadre d’une niche parlementaire.
M. Jean Leonetti, rapporteur. Il s’agissait d’une loi bioéthique !
M. François de Rugy. J’ai envie de vous renvoyer cet argument : nous touchons aujourd’hui à un sujet beaucoup plus complexe…
M. Jean Leonetti, rapporteur. Mais il n’est pas bioéthique !
M. François de Rugy. …et qui ne peut, de surcroît, se résumer à un ou deux articles. Ce manque de cohérence est un peu regrettable : le groupe UMP aurait pu y penser…
M. Luc Chatel. Vous n’avez pas de leçons à nous donner !
M. François de Rugy. …ou éviter de faire de l’obstruction lors de l’examen de la proposition de loi relative aux cellules souches.
M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce texte relevait des lois de bioéthique !
M. François de Rugy. Vous le savez très bien, monsieur Leonetti ! Vous dites que la proposition de loi du groupe RRDP concernait des questions de bioéthique. La vôtre aussi !
M. Jean Leonetti, rapporteur. Non ! Il ne s’agit pas du même contexte de référence !
M. François de Rugy. Lors d’un précédent débat, en 2011, nous avions longuement abordé ce sujet avec des députés de différentes tendances, y compris de l’UMP – je pense à Henriette Martinez, par exemple. Ces questions sont complexes, mais on sait très bien que l’écrasante majorité du groupe UMP veut empêcher l’adoption de mesures sur ce sujet. Il n’est pas cohérent d’affirmer que l’on peut traiter – ou plutôt évacuer – le sujet de la fin de vie à la va-vite, à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi.
Contrairement au groupe UMP, je pense que les initiatives parlementaires ne devraient pas être restreintes par un temps déterminé – une journée, en l’occurrence ; mais, pour l’instant, il s’agit d’une règle à laquelle tous les groupes politiques se réfèrent, à l’exception du groupe écologiste. Quand on connaît et accepte cette règle, on ne propose pas de discuter, dans ce cadre, d’un texte qui appelle en réalité un débat beaucoup plus long que deux ou trois heures.
Pourquoi ne pas avoir voulu attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique ? Je ne vous ai pas entendu répondre à cette question. L’avis de ce comité – je tiens d’ailleurs à souligner l’adjectif « consultatif », y compris en référence à d’autres sujets – aurait pourtant nourri le débat, même s’il n’aurait pas forcément fallu suivre automatiquement cet avis qui n’enlève rien à nos prérogatives de législateur. Je déplore donc votre façon de faire.
Je me souviens aussi du débat du 19 novembre 2009 sur la fin de vie, qui avait été lancé par le groupe socialiste – à l’époque dans l’opposition – au moyen d’une proposition de loi dont Manuel Valls était le rapporteur. A l’époque, monsieur Leonetti, vous étiez évidemment intervenu : c’est normal !
(Sourires.) Vous aviez commencé par en appeler à un débat serein – vous l’avez fait à nouveau tout à l’heure.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur de Rugy.
M. François de Rugy. Votre intervention s’était terminée par des propos qui m’avaient choqué, avec des amalgames très éloignés du sujet. Je vous les rappelle, parce qu’ils sont importants : « Il y a une autre société, celle que nous appelons probablement tous de nos vœux, une société affirmant que la personne humaine ne se décline pas en fonction de sa force, que le nouveau-né, le mourant, le mendiant, l’homme mort dans les camps de concentration ne sont pas moins dignes que les autres. »
M. Jean Leonetti, rapporteur, et
M. Luc Chatel. Et alors ?
M. François de Rugy. Que faisait, dans ce débat, une telle référence à l’homme mort dans les camps de concentration, à l’une des périodes les plus sombres de notre histoire ?
M. Luc Chatel. Vous êtes médiocre !
M. François de Rugy. Monsieur le rapporteur, j’avais pensé retirer cette partie de mon intervention,…
M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est très bien que vous ayez rappelé mes propos ! Je vous les expliquerai !
M. François de Rugy. …mais je vous ai entendu tout à l’heure faire de nouveaux amalgames – très calmement, je le reconnais, mais ils ne m’en ont pas moins choqué.
Vous avez dit : « Je ne veux pas inscrire mon nom dans le marbre des pierres tombales. » Étrange formule ! Auriez-vous été gagné par la grandiloquence ? Vous avez ensuite remis en cause le droit de disposer de son corps, qui avait été rappelé par plusieurs collègues du groupe SRC et dont tout le monde sait très bien qu’il est au fondement de la loi de 1974 sur l’interruption volontaire de grossesse. Vous n’avez pas tenu ces propos par hasard !
Ensuite, vous avez déclaré : « Je n’accepte pas les lois d’exception », et vous avez glissé dans votre propos l’idée que quelqu’un avait dit : « Je suis contre les changements de législation sur la fin de vie, car j’ai toujours été contre la peine de mort. »
M. Jean Leonetti, rapporteur. Je citais Robert Badinter !
M. François de Rugy. Quel est donc cet amalgame insidieux ? Il est particulièrement choquant de laisser entendre dans ce débat,…
M. Jean Leonetti, rapporteur. Badinter vous a choqué ?
M. François de Rugy. …je vous le dis calmement car cela m’a même attristé, que légiférer sur le droit de choisir sa fin de vie – pour moi, cette question constitue l’essentiel du débat – équivaut à appliquer la peine de mort. J’ai déjà entendu de tels propos à l’extérieur de cet hémicycle. Franchement, ce n’est pas acceptable !
M. Chatel a dit que M. Leonetti était toujours très prudent et très mesuré dans ses propos. Dans ce cas, on ne prononce pas de telles paroles…
M. Luc Chatel. Vous n’avez pas de leçons à nous donner !
M. François de Rugy. …et on ne fait pas de tels amalgames !
Mme la présidente. Merci, monsieur de Rugy : il faut vraiment conclure.
M. Luc Chatel. Oui, passons à autre chose !
M. François de Rugy. Il me reste encore un peu de temps, madame la présidente : je dispose de trente minutes.
Mme la présidente. Non, votre intervention ne peut pas dépasser quinze minutes.
M. Luc Chatel. Au revoir, monsieur de Rugy !
M. François de Rugy. Je vais conclure, madame la présidente, car je ne cherche pas à retarder les débats. Je tenais à revenir sur ces propos qui m’ont profondément choqué.
En outre, je m’étonne de l’attitude qui consiste à institutionnaliser une forme de surplace législatif en présentant des propositions nouvelles dans le but de ne rien changer !
M. Copé, lorsqu’il présidait le groupe UMP, avait dénoncé le syndrome « un fait divers, une loi ». Sur ce point, il avait raison. Notre majorité n’a d’ailleurs pas cédé à cette façon de procéder. On lui a même reproché de ne pas vouloir agir sous la pression de l’émotion médiatique.
M. Luc Chatel. Avec Cahuzac, sur la transparence, vous n’avez pas cédé ?
M. François de Rugy. Nous prendrons le temps d’agir, monsieur Chatel.
Mais avec cette proposition de loi, nous sommes exactement dans la situation inverse. À chaque cas individuel médiatisé – je pense au médecin de Bayonne –, le débat s’emballe un peu dans la société, mais vous répondez invariablement qu’il faut faire mieux connaître la loi de 2005.
M. Jean Leonetti, rapporteur. On ne dit pas que cela !
M. François de Rugy. La ministre de la santé du précédent gouvernement ne disait pas autre chose, comme vous du reste, monsieur Chatel, dans votre intervention au nom du groupe UMP.
Si, au bout de huit ans, une loi demeure méconnue ainsi que vous le prétendez, c’est qu’il y a un problème. En fait, ce n’est pas qu’elle soit méconnue : c’est qu’elle ne répond pas aux problèmes. En tout état de cause, on ne peut refermer le débat, décider de ne toucher à rien ou de ne faire évoluer la loi de 2005 qu’à la marge.
Notre responsabilité de parlementaires consiste à répondre aux nombreuses questions concernant la fin de vie.
Mme la présidente. Je vous interromps, monsieur de Rugy, pour vous confirmer que, dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire, le temps imparti pour défendre une motion de procédure est de quinze minutes.
Mme Jacqueline Fraysse. Cela a été rappelé ce matin !
M. François de Rugy. Ce matin, il s’agissait d’une deuxième lecture.
M. Luc Chatel. On a compris que vous n’étiez pas d’accord !
M. François de Rugy. De tels sujets méritent que l’on s’y attarde. Apparemment, les points de vue divergents ne vous intéressent pas, mais, selon moi, tous doivent pouvoir être défendus.
Mme la présidente. Monsieur de Rugy, l’application du règlement n’est pas une forme de censure. Il s’applique quel que soit l’orateur.
M. Luc Chatel. Très bien !
M. François de Rugy. Vous pouvez applaudir, monsieur Chatel, mais ce n’est pas à la hauteur du sujet.
(Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)Je conclus car la présidence est souveraine.
Il faut, mes chers collègues, sortir de l’hypocrisie car, et c’est un fait, des euthanasies sont pratiquées dans notre pays. Il faut sortir de l’hypocrisie en regardant sereinement ce qui se pratique dans d’autres pays et en tirer les leçons, sans vouloir copier un modèle. Parler de sédation profonde, comme vous le faites dans ce texte, est une nouvelle forme d’hypocrisie, vous le savez fort bien. Faire croire que la loi de 2005 a réglé tous les problèmes relève tout autant de l’hypocrisie. C’est pourquoi je propose que nous adoptions cette motion de rejet préalable, afin d’entamer un vrai travail sur le sujet. J’invite naturellement le Gouvernement à tenir son engagement de présenter un projet de loi dès que le Comité consultatif national d’éthique aura rendu son avis.
(Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Leonetti, rapporteur. Ayant été mis en cause sur le fond et sur la forme par M. de Rugy, j’observe que, pour lui, le seul qui soit à la hauteur du débat, c’est lui-même !
Ce n’est pas moi, mais le Président de la République qui affirme être contre l’euthanasie.
M. Luc Chatel. Exactement !
M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce n’est pas moi qui affirme que la loi de 2005 est mal connue et mal appliquée, mais le rapport Sicard, commandé par le Président de la République. C’est le rapport Sicard qui préconise de ne pas modifier la législation actuelle et de ne pas en proposer de nouvelle. Je précise que les deux propositions que nous faisons émanent directement du rapport Sicard. Le Conseil consultatif national d’éthique a été saisi sur trois sujets. Nous en traitons deux, la solidarité en fin de vie et en phase terminale – vous avez raison, madame la ministre. Reste la question de l’autonomie. Je n’ai pas de réponse, mais je suis sûr que le Gouvernement s’en saisira et avancera.
J’ai auditionné M. Sicard, ancien président du Conseil consultatif national d’éthique, ainsi que M. Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie. Il me paraissait normal que l’on écoute leurs avis, d’autant que le professeur Sicard a été chargé par le Président de la République d’une mission de réflexion sur la fin de vie. Je n’ai fait que mentionner les avis de M. Sicard et de M. Aubry. Cessez dès lors de faire des procès d’intention, monsieur de Rugy, au motif que vous êtes en désaccord.
Je rappelle que les lois de bioéthique n’englobent pas la question de la fin de vie. J’avoue très sincèrement que je le regrette, car ce débat y avait sa place. Si nous avons consulté le Comité consultatif national d’éthique pour la législation sur l’embryon, c’est parce que nous avions, sur ma proposition, voté à l’unanimité une loi aux termes de laquelle, à chaque fois que l’on change un aspect de la législation bioéthique, il faut saisir le Comité consultatif national d’éthique et organiser des états généraux sur le sujet concerné.
Pendant la campagne électorale, nous nous sommes interrogés sur cette question et je me suis penché sur la formulation du Président de la République : assistance médicalisée à mourir dans la dignité. Faisait-il allusion aux soins palliatifs, ou pensait-il à un droit à mourir ? J’avais alors considéré qu’il y avait une certaine ambiguïté dans la formulation, ambiguïté que le Président de la République, alors candidat, a levée en se déclarant contre l’euthanasie.
S’il y a hypocrisie, monsieur de Rugy, elle est donc plutôt de votre côté lorsque vous prétendez que le Président de la République s’était engagé à proposer une loi sur l’euthanasie, alors qu’il a dit très clairement et à deux reprises qu’il y était opposé.
Ma démarche ne répond à aucune stratégie particulière et ne manque pas de cohérence. Si vous dites que cela ressemble aux lois de 1999, 2002 et 2005, vous avez raison : c’est dans cette continuité que je m’inscris. Vous affirmez que la loi est mal appliquée…
M. François de Rugy. Non, elle est inadaptée.
M. Jean Leonetti, rapporteur. …et qu’il faut aller vers une obligation d’application parce que, dans 30 % des cas, on continue à mourir dans la souffrance. Le professeur Sicard ne dit pas autre chose, et c’est que j’essaie modestement de traduire dans cette proposition de loi.
Veuillez me pardonner d’avoir dit que mon nom ne devait pas être gravé dans le marbre de la pierre tombale. Ce n’était pas de l’humour noir : je parlais de ma propre pierre tombale. Je ne suis pas attaché à ce que mon nom soit accolé à une loi. Et, contrairement à ce que vous dites, je n’ai pas choisi les trente-deux députés membres de la mission : chaque groupe a choisi ses représentants. Si nous avons fini par déposer un texte commun, c’est parce que nous avons progressé ensemble et fait des pas les uns vers les autres. La loi de 2005 n’est pas un système clos, monsieur de Rugy, elle est une étape qui mérite en effet d’être révisée. Elle l’a déjà été et elle le sera encore. Je rappelle qu’elle n’aborde que le problème de la fin de la vie, pas celui de l’autonomie.
Vous avez par ailleurs été choqué par mon évocation de la peine de mort. J’ai tout simplement rappelé les paroles de Robert Badinter. Si vous aviez bien écouté, vous auriez entendu que je ne les avais pas prononcées moi-même, Mme Fraysse l’a rappelé.
Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !
M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce qui m’a étonné dans ces propos, c’est que Robert Badinter considère que cela revient à donner la mort dans une société démocratique. Et son avis est respectable.
M. François de Rugy. Vous l’avez cité !
M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous le dénoncez, mais ne m’attribuez pas, monsieur de Rugy, les phrases que je cite entre guillemets.
Quant au problème de la dignité, je persiste à penser qu’il n’y a pas, comme le dit le docteur Jean-Marie Gomas, de « dignitomètre ». Un tétraplégique n’est pas mois digne qu’un paraplégique. Le mendiant, le mourant sont aussi dignes que celui qui gagne les Jeux olympiques. Nous devrions partager cette vision.
M. Gérald Darmanin. Bien sûr !
M. Jean Leonetti, rapporteur. Et si j’ai parlé des camps de concentration, c’est parce que les nazis voulaient attenter à la dignité de la personne humaine en dégradant les corps.
M. François de Rugy. Quel rapport avec notre sujet ?
M. Jean Leonetti, rapporteur. Cela signifie, monsieur de Rugy, qu’un homme est digne en lui-même. La dignité n’est pas à géométrie variable, elle est consubstantielle à l’humanité. Prétendre qu’il y a des variations dans la dignité, c’est porter atteinte à nos textes fondamentaux, c’est ce que rappelle Robert Badinter. Vous estimez sans doute qu’il est indigne de parler de ces sujets…
M. François de Rugy. Il est indigne de faire des amalgames avec les nazis !
M. Jean Leonetti, rapporteur. …et que la dignité est contingente. Selon nous, une telle vision est difficilement admissible dans une démocratie, et elle est incompatible avec nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Dans notre conception des choses, la dignité, j’en suis persuadé, tient à l’homme en lui-même, non à l’estime de soi. Notre société ne dit pas de quelqu’un qu’il est moins utile parce qu’il n’est pas rentable, parce qu’il est malade ou handicapé. Si l’on disait cela, la dignité de la personne en serait altérée.
M. François de Rugy. Qui dit cela ?
M. Jean Leonetti, rapporteur. Si vous n’avez pas compris cela, monsieur de Rugy, j’en suis désolé pour vous !
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)Mme la présidente. Au titre des explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Luc Chatel pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Luc Chatel. Monsieur de Rugy, je regrette que vos propos inutilement caricaturaux et polémiques…
M. Gérald Darmanin. Comme ce matin !
M. Luc Chatel. …aient rompu un consensus, non sur le fond car, contrairement à ce que vous prétendez, il n’y a pas de consensus sur le fond, mais sur la méthode, et nui à un débat de qualité, comme l’indiquait Mme la ministre tout à l’heure.
M. François de Rugy. Il n’y a pas de consensus, et en tout cas cela n’a rien à voir avec les camps de concentration !
M. Luc Chatel. Vous faites semblant de ne pas comprendre la position du rapporteur Jean Leonetti.
Cette proposition de loi aurait un air de déjà-vu, dites-vous. Au contraire, Jean Leonetti place sa démarche sous le signe de la progressivité. À plusieurs reprises, nous avons dit que la loi de 2005, qui avait fait l’objet de nombreux débats, était aujourd’hui dépassée et nécessitait un travail complémentaire. Nous proposons une démarche progressive, le contraire de ce que vous avez qualifié de réponse figée.
La grande différence entre nous, monsieur de Rugy, c’est que vous, vous avez des certitudes…
M. François de Rugy. Non !
M. Luc Chatel. …tandis que nous, nous avons en permanence des doutes, et nous le revendiquons, sur ces sujets. Nous admettons de ne pas être d’accord entre nous, mais nous voulons débattre en nous respectant.
M. François de Rugy. Vous appelez cela du respect ?
M. Luc Chatel. Le Parlement se grandirait d’aborder ces questions dans l’état d’esprit qui a prévalu en début d’après-midi.
Selon vous, la proposition de loi n’apporte aucune réponse aux problèmes d’aujourd’hui. Nos réponses sont celles du professeur Sicard. Les deux avancées proposées par Jean Leonetti sont celles du rapport Sicard. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera pas la motion de rejet préalable.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.
Mme Barbara Pompili. Je serai brève. Monsieur le rapporteur, les amalgames avec les camps de concentration sont une insulte, et je pèse mes mots
(Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
M. Luc Chatel. Ça suffit !
Mme Barbara Pompili. …à tous ceux qui s’occupent de mémoire et à tous ceux qui osent penser autrement que vous, notamment sur la question de la fin de vie.
Comme ce texte prend bien soin d’éviter le débat et que vous reprenez certaines mesures du rapport Sicard tout en en excluant d’autres, nous voterons la motion de rejet préalable.
M. François de Rugy. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Mme Jacqueline Fraysse. Ce texte se propose d’améliorer la législation actuelle. Comme je l’ai dit, rien dans ce qu’il avance ne nous heurte, il nous semble au contraire plutôt aller dans le bon sens, même si certains peuvent considérer qu’il ne va pas assez loin ou qu’il ne change rien. En tout état de cause, je n’ai pas de raison de fond de m’opposer à ce texte. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas la motion de rejet préalable.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Bernadette Laclais. Quelques mots pour exposer la position du groupe socialiste sur la motion de rejet préalable.
Tout d’abord, nous avons des interrogations à propos du calendrier – le rapporteur a eu l’occasion de fournir des explications à ce sujet et je l’en remercie.
Ensuite, nous considérons que cette proposition de loi n’aborde pas toutes les facettes de la problématique, tant le sujet est difficile, complexe et douloureux. En l’occurrence, il ne répond pas à la question que nos concitoyens nous posent très régulièrement. Quelles que soient les positions exprimées par les uns et par les autres, le débat doit avoir lieu de manière sereine. Pour notre part, nous estimons qu’il doit intervenir après que le Comité consultatif national d’éthique aura rendu son avis, sur la base du projet de loi annoncé par le Président de la République et par le Gouvernement. Les deux points évoqués dans la proposition de loi constituent seulement une partie de ce débat.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé une motion de renvoi en commission qu’il me revient de défendre. Nous ne voterons donc pas la motion de rejet.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Jeanine Dubié. Le groupe RRDP votera la motion de rejet préalable. Pour nous, il est essentiel d’évoluer vers une législation nouvelle, conforme à la proposition de loi que nous avions déposée en octobre 2012. Nous souhaitons que soit reconnu le droit à une assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité.
(Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)