Fin de vie médicalisée: à quand une loi Claeys-Leonetti en Belgique?
Les médecins intensivistes français bénéficient d’un cadre légal qui permet de mettre fin à un acharnement thérapeutique lorsque le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté. La Belgique devrait suivre cet exemple.
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AFP
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Carte blanche -
Par Jean-Louis Vincent, intensiviste, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, ancien président de la Société Belge de Soins Intensifs.
Publié le 31/05/2022 à 13:18 Temps de lecture: 4 min
On parle beaucoup de la loi belge sur l’euthanasie, qui a 20 ans. On en vante notre avancée dans le domaine. On discute beaucoup moins de l’arrêt de traitement qui n’a plus de sens (le « withdrawing » plutôt que le « withholding »). L’argument parfois avancé suivant lequel « on a toujours fait cela en Belgique » n’est pas acceptable, d’autant plus que des procès pénibles auraient pu être évités. Ces questions se posent tous les jours dans les hôpitaux, avec beaucoup d’hésitation des équipes soignantes en l’absence de protection légale explicite. Certains médecins belges auront le courage de recourir à l’euthanasie non demandée, beaucoup d’autres auront trop peur de poursuites judiciaires éventuelles. On se met la tête dans le sable en niant le problème, en reportant la décision au lendemain, encore et encore…
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Notre loi sur l’euthanasie est résolument centrée sur les personnes capables de s’exprimer clairement, alors que nombreuses sont celles qui n’ont plus toutes leurs facultés intellectuelles. Les directives anticipées sont souhaitables, mais ne représentent qu’une solution très imparfaite à cette problématique. Dans les cas d’évolution progressive inéluctable – la maladie de Charcot est un cas exemplatif –, la personne doit pouvoir refuser un traitement dont elle juge le bénéfice insuffisant. Il s’agit de cas de non-escalade thérapeutique (« withholding ») qui ne nécessitent d’ailleurs pas de document signé si la confiance est établie avec l’équipe soignante. Dans les cas – les plus fréquents – d’évolution non prévisible, des directives anticipées reviendraient à refuser l’acharnement thérapeutique. Attention si on évolue vers une situation où beaucoup de citoyens signent un tel document, que ceux qui ne l’auront pas signé risquent encore plus qu’aujourd’hui la poursuite de traitements jugés déraisonnables… A la réflexion, ne pourrions-nous pas considérer que c’est comme si chacun avait signé un tel document demandant l’arrêt d’un traitement disproportionné ? Notre société devrait le reconnaître plus clairement. C’est peut-être ceux-là mêmes qui désireraient une poursuite de traitement à tout prix qui devraient remplir des directives anticipées, une procédure qui rappelle celle du consentement présumé au don d’organes, auquel une personne peut faire opposition.
L’exemple français
La vie des intensivistes (« réanimateurs ») français s’est vue transformée en 2005 par la loi Leonetti, permettant explicitement aux médecins de décider collégialement « de limiter ou d’arrêter un traitement inutile disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie ». La nouvelle loi Claeys-Leonetti de février 2016 a été plus loin, en prévoyant explicitement une sédation terminale, dans l’idée de mettre fin à ce qui devient l’acharnement thérapeutique (que certains préfèrent appeler l’obstination thérapeutique déraisonnable). Cette loi a été accueillie avec soulagement par les équipes de soins intensifs en France, car elle fournit aux praticiens la possibilité légale que « le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie. » Le texte de la loi prévoit spécifiquement la possibilité d’appliquer une sédation terminale lorsque le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté.
La France est en avance sur nous dans le domaine de l’arrêt thérapeutique. Les intensivistes belges aimeraient pouvoir bénéficier d’une telle protection. L’acharnement thérapeutique n’est même plus discuté dans le code de déontologie de l’ordre des médecins alors que l’ancien code de 1975 précisait seulement que « l’acharnement thérapeutique doit être évité », sans autre détail. Les représentants des réanimateurs belges à la Société Belge de Soins Intensifs se sont prononcés il y a plusieurs années en faveur de la possibilité d’installer une sédation terminale (« end of life in the intensive care unit », Journal of Critical Care, 29 : 174, 2014). Il ne s’agit que d’un texte émanant d’une société scientifique, avec une valeur juridique très limitée. Nous attendons toujours une loi Claeys-Leonetti en Belgique.
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