Limitation et arrêt thérapeutique
Marianne Desmedt
Dans Gérontologie et société 2004/1 (vol. 27 / n° 108), pages 167 à 176
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1Au cours du siècle dernier, l’ampleur et la rapidité des progrès scientifiques ont bouleversé le paysage médical. La mise à disposition de moyens médicaux extrêmement sophistiqués destinés sinon à restaurer la vie du moins à soutenir les fonctions vitales nous a obligés à réintégrer le sens de la limite et la question de la finalité du soin. La limitation ou l’arrêt de thérapeutiques « actives » pose des questions éthiques auxquelles il n’est pas simple de répondre. Ces questions sont pourtant nécessaires. Elles sont une garantie de l’humanité et de l’humanisation de la pratique médicale, dans une reconnaissance de l’intérêt unique du patient.
2La personne atteinte d’une maladie incurable développe à l’approche de la mort un état de détresse où les symptômes physiques se mêlent étroitement à la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Elle attend du monde de la santé une aide pour traverser au mieux l’ultime étape de son existence. Le médecin devra se questionner sur les soins et les traitements qu’il pourrait lui proposer, sur la pertinence de recourir ou de renoncer à ceux qui viseraient à prolonger l’existence. Afin que cette décision soit la plus appropriée possible, il devra s’assurer que certaines conditions éthiques sont réunies. Cet article vise à définir le concept de l’arrêt thérapeutique, à en délimiter les caractéristiques, à le distinguer du refus de soin mais aussi de l’abandon thérapeutique et de l’euthanasie.
DÉFINITION ET CHAMP D’APPLICATION
3On entend par arrêt thérapeutique le fait de renoncer, moyennant certaines conditions éthiques, à entamer ou à poursuivre un traitement visant à prolonger la vie d’un malade. Il s’agit, en quelque sorte, d’une attitude allant à l’encontre d’un acharnement thérapeutique [1]
[1]
«Attitude qui consiste à poursuivre une thérapie à visée… qui consisterait à mettre systématiquement en œuvre tous les moyens médicaux dont on dispose pour maintenir une personne en vie.
4Cette définition est simple mais son champ d’application est complexe. Pour décider de poser ou de renoncer à un acte médical, le médecin s’appuie sur deux principes éthiques de base : la bienfaisance [2]
[2]
«La bienfaisance comme l’étymologie l’évoque (benefacere)… et l’autonomie [3]
[3]
«L’autonomie est le signe du respect de la personne qui…. Il est évident, qu’après avoir reçu l’accord du patient, il a le devoir de lui administrer un traitement qui lui est bénéfique comme il a le devoir de renoncer à un traitement qui n’a aucune chance de réussir. Cette situation est simple : le patient accepte en toute connaissance de cause de renoncer à une thérapeutique qui selon le médecin, ne l’aidera pas. Elle se complique lorsque le soignant est indécis à l’égard de l’effet bénéfique de la thérapeutique, lorsque le malade est incapable de s’exprimer, lorsqu’il hésite ou lorsqu’il s’oppose à l’avis médical.
5
C. a 87 ans. Elle est veuve, sans enfant. Il y a 7 ans, elle a présenté des troubles de la mémoire. Les médecins ont posé un diagnostic de démence. Depuis, elle vit dans une maison de repos. Son état neurologique s’est fortement dégradé au cours des derniers mois. Il n’y a plus moyen de communiquer avec elle. Elle est grabataire, entièrement dépendante et fait des fausses routes lors de l’utilisation de la sonde de gavage alimentaire. L’une d’elles entraîne une pneumonie dont la gravité nécessite une hospitalisation. Un traitement antibiotique par voie intraveineuse est débuté. La malade crie, s’agite et arrache à plusieurs reprises sa perfusion. Le médecin hésite à poursuivre la thérapeutique anti-infectieuse.
L’ABSENCE DE BÉNÉFICE THÉRAPEUTIQUE
6Pour renoncer à un traitement qui vise à prolonger la vie, le médecin doit acquérir la conviction que le malade n’en tirera aucun bénéfice [4]
[4]
De «bene» (bien) et «facere» (faire).. Cet élément est primordial mais difficile à appliquer car le seuil au-delà duquel le bénéfice thérapeutique s’efface est flou. La notion de bénéfice renvoie au concept d’une médecine fondée sur des preuves. Elle demande au médecin de se ranger aux évidences scientifiques disponibles pour appliquer le meilleur traitement possible [5]
[5]
«Des échelles de niveau de preuve sont proposées tant en ce…. Mais il pourrait être dangereux de se satisfaire du seul niveau de preuve accumulé pour décider d’appliquer ou pas une thérapeutique. On s’écarterait de l’intérêt propre du patient.
7La notion de bénéfice doit en effet être également interprétée dans sa forme la plus subjective. Nous ne pouvons nous contenter d’une analyse technique centrée sur des paramètres rationnels et quantitatifs [6]
[6]
La durée de vie, l’intervalle libre, le taux de rémission…. Le bénéfice thérapeutique attendu doit être examiné au regard d’un objectif clinique personnalisé, en intégrant dans la réflexion médicale des arguments centrés sur la qualité de vie, le confort et le bien être du patient. Finalement, même si le soignant s’arrête inconsciemment sur les bienfaits de la thérapeutique [7]
[7]
R. Starzomski. Ethical issues in palliative care. Journal in…, la notion de bénéfice est indissociable de celle du risque. Il ne faut pas oublier de peser les désagréments et les contraintes engendrés par le soin pour s’assurer qu’ils ne surpassent pas le bénéfice escompté.
8A l’issue de cette démarche, le soignant et plus spécifiquement le médecin, renoncera à appliquer un traitement dont les bénéfices seraient nuls (traitement futile [8]
[8]
Certains auteurs préfèrent éviter le terme futile et utiliser… ) ou secondaires par rapport aux risques encourus (traitement disproportionné).
9Cette décision relève du professionnel de la santé mais ce dernier ne pourra conclure à l’absence de bénéfice qu’après s’être soigneusement entretenu avec le patient. Beaucoup d’hommes et de femmes ont mûri tout au long de leur vie les circonstances dans lesquelles ils désirent quitter ce monde et plus encore celles qu’ils ne voudraient pas vivre. Il faudra les interroger sur leurs valeurs, leurs attentes, leurs craintes afin d’estimer le plus justement possible s’ils tireront ou non un bénéfice du traitement proposé.
10A cette occasion, de nombreuses difficultés peuvent surgir. Certaines situations seront difficiles à gérer.
L’INCERTITUDE THÉRAPEUTIQUE
11Elle est fréquente et survient lorsqu’un doute subsiste quant au bénéfice thérapeutique attendu. La nature et la qualité du dialogue établi avec le malade sont dans ce cas particulièrement importantes. Le médecin aura avec le patient une explication franche sur l’attitude thérapeutique offerte. Il énoncera le plus clairement possible le vide scientifique mais il évitera à tout prix de laisser au malade l’entière responsabilité du choix.
12Cette démarche peut être pénible pour le médecin qui, confronté aux limites du savoir, ressent une certaine impuissance. Elle pourrait même être entravée s’il se laissait porter par la valorisation de l’acte ou par l’illusion du devoir accompli en utilisant tous les moyens mis à sa disposition.
LE PATIENT INAPTE
13Un risque comparable existe lorsque le malade n’est pas en mesure de donner son avis. Le médecin devra pourtant, comme dans les autres situations, renoncer à appliquer les traitements dont le patient ne tirera pas bénéfice. S’il est face à un patient incapable de s’exprimer, il ne pourra pas l’interroger mais devra recueillir, par d’autres moyens, le maximum d’informations concernant ses attentes et ses craintes à l’égard de la thérapeutique envisagée. Il cherchera à savoir s’il a pris soin de transmettre ses intentions lorsqu’il était encore à même d’exercer ses droits. Il consultera les proches et l’équipe soignante à la recherche de paroles, de comportements ou de gestes qui l’aideront à reconstituer, au mieux, le désir du malade.
14Une difficulté supplémentaire peut surgir lorsqu’un désaccord et des propositions divergentes se manifestent. La situation peut même devenir conflictuelle si la famille estime qu’elle est la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour le malade et réclame l’administration d’une thérapeutique que le soignant juge excessive ou néfaste. Il faudra revoir chaque proposition en se centrant sur l’intérêt du malade et parfois, répondre à la requête des proches en espérant qu’au fil d’un cheminement commun, ils prendront conscience de l’inutilité du traitement entrepris.
LE DÉSACCORD PATIENT-SOIGNANT
15Un même désaccord survient lorsque le patient, en personne, demande au soignant d’entreprendre ou de poursuivre un traitement dont il ne bénéficiera pas. Le médecin n’est pas tenu d’accepter. Il a le droit et même le devoir de refuser d’administrer une thérapeutique s’il estime que celle-ci est contraire au bien du patient ou au bien de la collectivité.
16La place accordée à l’autonomie n’en fait pas un droit absolu. Prôner l’autonomie du malade comme seul agent moral serait ignorer les principes de bienfaisance et de justice. La relation patient – soignant ne peut exister sans le pluriel de l’autre [9]
[9]
M.S. Richard. Soigner la relation en fin de vie. Ed. Dunod,…. Du reste, pour Emmanuel Kant [10]
[10]
«Chaque homme a en lui une telle capacité de développement…, l’autonomie n’est pas seulement un attribut de la personne mais un devoir, une responsabilité : le malade est libre de décider mais de façon raisonnable, pas selon la seule expression de son désir.
17Toutefois pour éviter de nuire à l’intérêt du malade, le soignant procédera de façon progressive et prudente. Un diagnostic d’incurabilité bouleverse l’existence par les changements physiques qu’occasionne la maladie mais surtout par la crise psychologique qu’entraîne la proximité de la mort. Face à un pronostic inéluctablement mortel, il existe le temps de l’événement et celui du choix. Le patient n’est pas immédiatement en situation de pouvoir exercer son droit à l’autonomie, surtout lorsqu’il s’agit de décider symboliquement de la fin de son existence. Il a besoin de temps.
18Le moment où le soignant s’apprête à renoncer n’est pas toujours celui où le malade accepte sa propre finitude. lI faudra cheminer à son rythme, lui donner la possibilité d’exprimer ses questions, ses craintes et ses soucis. Il faudra être attentif à ses mécanismes de défense [11]
[11]
M. Ruszniewski. Face à la maladie grave. Ed. Dunod, Paris;…, à la dénégation massive, au refus de savoir et lui donner une information sans employer « les mots qui angoissent ». Il faudra accepter l’ambivalence, les contradictions, les fluctuations, la complexité. La limitation et l’arrêt thérapeutique ne prennent leur signification que dans un processus permanent. Il s’agit de chercher avec toute la souplesse qu’exige l’évolution médicale et psychologique du malade, le juste équilibre entre un respect de son autonomie et la responsabilité de « soutenir un vouloir vivre sans infliger de traitement nuisible » [12]
[12]
M.S. Richard. Soigner la relation en fin de vie. Ed. Dunod,…. Cette souplesse manque lorsque le soignant s’ancre dans une réflexion binaire qui classe le malade en « curatif ou palliatif ». Plus de nuances s’imposent.
19Il est indispensable de moduler, d’individualiser l’attitude médicale afin de préserver l’espoir et les projets de vie nécessaires au malade. Certains patients ont besoin d’agir pour se sentir vivre. Pour ceux-là, « ne rien faire » devient vite insupportable. Attendre une aggravation sans être actif médicalement les révolte. S’il n’y a pas d’obligation pour le soignant d’entreprendre un traitement qui ne bénéficiera pas au malade, il faut reconnaître qu’une décision d’abstention prise dans de telles conditions a des conséquences néfastes. Lorsqu’il s’agit d’un patient capable de discernement, elle peut être vécue comme une violation de son autonomie. Cela ne prime pas sur le devoir de « ne pas nuire »mais oblige à négocier en y mettant toute l’énergie et en respectant le temps nécessaire pour arriver à un consensus.
20
A. a 71 ans. Il souffre d’un cancer de la plèvre. Malgré l’administration de deux schémas différents de chimiothérapie, la maladie évolue. Une collection liquidienne s’est créée autour du cœur (péricardite). Le patient séjourne à trois reprises dans le service de soins intensifs afin d’assécher cette collection. Lors du dernier séjour, le médecin réanimateur a beaucoup de difficultés à ponctionner le liquide. Au vu des adhérences nées des manœuvres antérieures, il estime que la prochaine tentative sera infructueuse. Le malade est averti de la situation. Un mois plus tard, il est admis en urgence pour une péricardite récidivante. Il exige un transfert dans le service de soins intensifs.
LE REFUS DE SOINS
21Il est légitime et même recommandé de ne pas proposer au malade d’entamer un traitement dont il ne bénéficiera pas mais il est obligatoire, d’un point de vue éthique [13]
[13]
«Le consentement du malade consacre la liberté de chacun sur… comme légal [14]
[14]
«Le patient a le droit de consentir librement à toute…, d’obtenir son consentement avant de lui administrer un traitement qui lui sera bénéfique. Cela laisse place à l’éventualité d’un refus : le malade a la possibilité et même le droit [15]
[15]
«Le patient a le droit de refuser ou de retirer son… de refuser un traitement dont il pourrait tirer bénéfice.
22Les motifs du refus peuvent être variés même s’ils sont liés d’une façon ou d’une autre, à une forme de souffrance. La lourdeur du traitement, la faiblesse du bénéfice au vu de l’évolution de la maladie et de l’affaiblissement général, l’incapacité à lutter davantage et le désir de ne pas prolonger la vie dans de telles conditions sont fréquemment évoqués. Mais un patient peut également s’opposer à un traitement parce qu’il n’a pas compris les enjeux de la nouvelle médication, parce qu’il a peur, parce qu’il espérait un répit, parce qu’il cherche à conserver une marge de liberté face à un corps qui le lâche, parce qu’il teste ses limites, celles de son entourage ou parce qu’il appelle à l’aide …
23Il convient d’écouter le malade avec attention, de l’interroger, de décoder, de comprendre les motifs et les mobiles qui entraînent le refus. Il faudra démêler ce qui entre dans le cadre d’un défaut d’information, d’une crainte, d’une révolte ou d’un désespoir de ce qui entre dans le cadre d’une parole sensée. Certains refus sont l’expression d’un choix personnel, libre, réfléchi et profond. Il faut les entendre sans schéma préétabli, au point d’être dérangé et peut-être même remué dans nos certitudes. Cette disponibilité d’écoute est indispensable pour ne pas s’opposer, consciemment ou pas, à l’expression du malade. Elle n’est pas simple à donner car le refus de soin représente pour le soignant une véritable épreuve. Il le remet en question. Lorsqu’il est vécu comme un désaveu, le refus peut être à l’origine d’un sentiment d’injustice et conduire le médecin sur une voie ne répondant pas réellement à la demande du patient.
24Le refus thérapeutique doit être situé dans l’histoire de la personne et de sa construction psychique. Lorsque la fin de la vie approche, certains malades regardent le temps qui reste comme une perspective insupportable. Ils expriment à travers leur refus une envie d’arrêter l’insupportable, bien souvent dans l’ambivalence. Chaque nuance dans l’expression, chaque contradiction dans le discours invitent à la prudence. D’autres malades vivent le temps à venir comme nu, dépourvu de sens. Ils ne supportent pas d’être en dessous de leur capacité et n’acceptent pas la déchéance imposée par la maladie.
25Le soignant a tout à fait le droit d’essayer de les convaincre de choisir le traitement qu’il leur recommande sans que cela n’altère le côté volontaire du consentement. Mais avant, il devra les informer sur le traitement et les conséquences de leur choix. Il devra ensuite s’assurer que le malade a assimilé les renseignements qui lui ont été donnés car l’utilisation d’un vocabulaire simple ne suffit pas à rendre le discours intelligible [16]
[16]
D. Razavi, N. Delvaux. La prise en charge médicopsychologique…. Une tempête émotionnelle traverse celui qui reçoit une mauvaise nouvelle, il peut être choqué et n’avoir rien compris [17]
[17]
D. Razavi, N. Delvaux. Psycho-oncologie. Ed. Masson, Paris;….
26
P. a 75 ans. Il est atteint d’un cancer de la prostate. Il a bénéficié pendant trois ans d’un traitement hormonal. Ensuite, la douleur et la fatigue ont réapparu. Depuis peu, un volumineux œdème des membres inférieurs s’est développé. Il empêche le malade de se mobiliser. P. est hospitalisé. La tumeur a envahi tout le petit bassin et met en péril le fonctionnement des reins. S’il ne met pas en place une dérivation, le médecin estime que la vie du patient est en danger à court terme. P. est informé de son état. Il demande s’il est possible de réduire l’œdème des jambes. Devant la réponse négative, il s’oppose à la mise en place des sondes de néphrotomies.
EUTHANASIE ET ABANDON THÉRAPEUTIQUE
27Il reste à distinguer l’arrêt de traitement de l’euthanasie et de l’abandon thérapeutique.
28Les notions d’arrêt thérapeutique et d’euthanasie [18]
[18]
«Il y a lieu d’entendre par euthanasie l’acte, pratiqué par… ont longtemps été associées. Toutes deux conduisent, à leur façon, au décès du malade. L’expression « euthanasie passive » [19]
[19]
«On parle d’euthanasie passive pour qualifier des situations… a d’ailleurs été utilisée pour décrire l’abstention d’un soin prolongeant la vie d’un malade. L’arrêt thérapeutique et l’euthanasie diffèrent pourtant profondément. L’arrêt thérapeutique peut, certes, précipiter l’instant de la mort mais il met fin à une vie qui sans suppléance technique se serait déjà arrêtée. Il ne s’agit pas d’arrêter délibérément la vie mais d’admettre que la mort qui survient est la conséquence de la maladie et de certaines décisions thérapeutiques qu’elle a pu imposer. En revanche, l’euthanasie met intentionnellement [20]
[20]
«Le mot “euthanasie” connote désormais une relation de… fin à une vie qui aurait pu continuer sans l’administration du produit létal.
29L’arrêt de traitement diffère également de l’abandon thérapeutique. Arrêter un traitement ne signifie pas « ne pas faire » mais « faire autrement ». Cela demande au soignant de continuer à venir en aide au malade, ne fusse qu’en l’orientant vers d’autres modalités de prise en charge. Seuls les traitements futiles ou disproportionnés sont arrêtés, les soins visant à préserver le confort et le bien être étant maintenus ou entrepris [21]
[21]
«Les soins palliatifs ne sont peut-être pas la dénomination….
30Chaque soignant, plus spécifiquement chaque médecin, a l’obligation morale de limiter ses soins à une thérapeutique bénéfique au patient. Il ne s’agit pas de rejeter les techniques médicales modernes mais de s’interroger sur la finalité du soin, en particulier lorsque l’espérance de vie est limitée et les moyens pour lutter contre l’affection mortelle dépassés. S’il est établi qu’elle n’entraînera aucun gain, la thérapeutique ne devrait pas être entreprise.
31Cette décision est probablement plus difficile à assumer que celle qui conduirait à poursuivre ou à entreprendre le traitement. Elle demande de cheminer au côté d’un patient informé le plus objectivement possible de l’évolution péjorative de sa maladie. Elle exige de s’engager dans une relation fondée sur la confiance, une relation qui envisage le malade dans sa globalité et l’unicité de son être. Elle requiert d’écouter le patient sans se situer dans la maîtrise du savoir. Elle pousse le soignant à assumer la responsabilité de l’arrêt de soin, même s’il se sent impuissant, blessé dans son identité professionnelle.
32Lorsque cette démarche est entreprise, la décision d’arrêt thérapeutique ne peut être que bénéfique pour le patient et son entourage. Elle contribue à élaborer un projet de soins cohérent. Elle réduit l’angoisse et les tensions liés à l’ambiguïté et au climat d’incertitude. Elle évite la pratique d’investigations inutiles et prévient un passage à l’acte sous la forme d’un acharnement thérapeutique ou d’un geste d’euthanasie.
La décision d’arrêter un traitement figure dans le dossier médical.
La nature des traitements à arrêter est précisée.
Le patient prend part à la réflexion. Le dossier médical mentionne sa participation et fait état de ses volontés.
La décision de renoncer à un traitement fait l’objet d’une discussion avec l’ensemble de l’équipe soignante.
La pertinence de la décision est réévaluée régulièrement.
La décision d’arrêter un traitement n’entraîne pas l’interruption des soins de confort.
Notes
[1]
«Attitude qui consiste à poursuivre une thérapie à visée curative alors même qu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état du malade et qui a pour résultat de prolonger simplement la vie». Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Rapport sur les sciences de la vie et les droits de l’homme; 1992, Fascicule 7.
[2]
«La bienfaisance comme l’étymologie l’évoque (benefacere) concerne l’action à faire. Elle comporte deux facettes : ne pas faire de mal au prochain ou mieux, positivement, lui faire du bien» G. Durand. Introduction générale à la Bioéthique. Ed. Fides Cerf; Québec; 1999, p. 208.
[3]
«L’autonomie est le signe du respect de la personne qui comprend au moins deux principes éthiques fondamentaux : premièrement les individus doivent être traités comme des agents autonomes et deuxièmement, les personnes dont l’autonomie est diminuée ont le droit d’être protégées». H. Doucet. Au pays de la bioéthique. Ed. Labor et Fides, Genève; 1996, p. 65.
[4]
De «bene» (bien) et «facere» (faire).
[5]
«Des échelles de niveau de preuve sont proposées tant en ce qui concerne les faits eux-mêmes que la synthèse qui en est faite par les sources de diffusion des connaissances». G. Llorca. Du raisonnement médical à la décision partagée. Ed. Med-Line, Paris; 2003, p. 70.
[6]
La durée de vie, l’intervalle libre, le taux de rémission complète ou partielle…
[7]
R. Starzomski. Ethical issues in palliative care. Journal in Palliative Care; 1994 : 10; 3 : 27-34.
[8]
Certains auteurs préfèrent éviter le terme futile et utiliser une terminologie plus précise : requis (nécessaire), contre indiqué (cause du tort), possiblement utile (on ne sait pas), inutile (n’atteint pas l’objectif escompté mais ne fait pas de tort).
[9]
M.S. Richard. Soigner la relation en fin de vie. Ed. Dunod, Paris; 2003.
[10]
«Chaque homme a en lui une telle capacité de développement moral. L’autonomie au plein sens du terme, c’est le développement de ce potentiel qui se déploie en trois facettes : le souci de soi, le souci d’autrui et le souci de chacun» E. Kant. Fondement de la métaphysique des mœurs. Ed. Vrin, Paris; 1987 : p. 128.
[11]
M. Ruszniewski. Face à la maladie grave. Ed. Dunod, Paris; 1999, p. 35-58.
[12]
M.S. Richard. Soigner la relation en fin de vie. Ed. Dunod, Paris; 2003.
[13]
«Le consentement du malade consacre la liberté de chacun sur son corps et garantit le principe d’inviolabilité» T. Marmet. Ethique et fin de vie. Ed. Erès, Ramonville; 1997, p. 36.
[14]
«Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable» Loi relative aux droits du patient, 22 août 2002; article 8, § 1er.
[15]
«Le patient a le droit de refuser ou de retirer son consentement tel que visé au chapitre 1, pour une intervention» Loi relative aux droits du patient, 22 août 2002; article 8, § 4.
[16]
D. Razavi, N. Delvaux. La prise en charge médicopsychologique du patient cancéreux. Ed. Masson, Paris; 1998 : p. 86-88 (La réception d’information).
[17]
D. Razavi, N. Delvaux. Psycho-oncologie. Ed. Masson, Paris; 1998 : p. 73-77 (L’adaptation psychologique).
[18]
«Il y a lieu d’entendre par euthanasie l’acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci». Loi relative à l’euthanasie, 28 mai 2002; Chapitre 1er, article 2.
[19]
«On parle d’euthanasie passive pour qualifier des situations dans lesquelles on omet ou on arrête des thérapeutiques qui auraient peut-être pu prolonger la vie du malade» T. Marmet. Ethique et fin de vie. Ed. Erès, Ramonville; 1997, p. 66.
[20]
«Le mot “euthanasie” connote désormais une relation de causalité et de responsabilité entre la mort du malade et l’attitude de ceux qui le soignent» T. Marmet. Ethique et fin de vie. Ed. Erès, Ramonville; 1997, p. 66.
[21]
«Les soins palliatifs ne sont peut-être pas la dénomination idéale pour désigner ce qu’il faut faire quand il n’y a plus rien à faire, autrement dit quand la guérison n’est plus l’horizon raisonnable du soin. Mais ils viennent rappeler en concentrant l’activité des soignants auprès des malades en fin de vie que le soin doit être une exigence ininterrompue dans la totalité de l’existence humaine» J. Ricot. Philosophie et fin de vie. Ed. ENSP, Rennes, 2003 : p. 9.
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