Ils se battent pour maintenir leur proche en vie
Le conflit entre la famille Esturgie et l’hôpital de Vesoul dure depuis 10 mois. Au cœur des tensions : les soins apportés à Bernard Esturgie, 65 ans. Branché à un respirateur, alimenté par une sonde, il ne communiquerait plus qu’en clignant des yeux. La famille se bat pour poursuivre les soins.
Par Textes Éléonore TOURNIER - 07 févr. 2020 à 17:15 | mis à jour à 20:07 - Temps de lecture : 5 min
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Nicole et Florian Esturgie estiment que Bernard Esturgie n’est pas en fin de vie. Photo ER /Bruno GRANDJEAN
Le conflit entre la famille Esturgie et l’hôpital de Vesoul dure depuis dix mois. Et a pris des proportions dramatiques ces derniers jours. Le fils aîné, Benjamin, a reconnu en garde à vue avoir incendié une voiture de médecin du CHI et crevé les pneus d’une autre, « par vengeance contre le personnel » , a expliqué le procureur de la Haute-Saône lors d’une conférence de presse vendredi dernier. « On ne légitime pas ce qu’il a fait, on ne cautionne pas ces actes », parlent d’une même voix sa mère Nicole et son frère Florian. Suite à l’intervention d’Emmanuel Dupic, ils ont souhaité apporter des éléments de contexte. Évoquer la situation terrible dans laquelle est plongée la famille depuis le 2 avril, date à laquelle, Bernard, père et époux, a été hospitalisé à Vesoul, d’abord en soins intensifs puis en réanimation médicale.
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« Nous étions soulagés d’arriver dans cet hôpital »
Âgé de 65 ans, ancien instituteur à Bucey-lès-Gy, Bernard Esturgie est devenu hémiplégique en 2011 suite à une rupture de l’aorte et un AVC. Le 1er avril 2019, il est hospitalisé à Gray puis transféré le lendemain à Vesoul après une détresse respiratoire. « Nous étions soulagés d’arriver dans cet hôpital tout neuf », raconte son fils Florian. « Mais dès le lendemain, on s’est aperçu que la prise en charge n’était pas celle que l’on attendait. Lors d’une réunion, on nous a expliqué que s’il y avait des complications, mon père ne serait pas intubé pas vu son état, à cause de son handicap. Nous ne partagions pas cet avis. Oui, il est lourdement handicapé, mais il s’est adapté à cette vie, il a ses petits plaisirs », soutient le jeune homme.
Le soir même, Bernard Esturgie souffre à nouveau de détresse respiratoire. « À 23 h 45, j’ai reçu un coup de fil de l’hôpital. On m’a demandé s’il fallait l’intuber. J’ai répondu oui. On a essayé de m’en dissuader. On m’a dit qu’il n’en avait plus que pour deux semaines, qu’on allait juste le voir souffrir. Que je ne pensais qu’à mon bien-être », raconte Nicole. « Mon bien-être ? Je me suis occupée de lui pendant huit ans ! », s’offusque cette ancienne coiffeuse.
« Il n’est pas Vincent Lambert »
Bernard Esturgie est finalement intubé. Dans le doute, son épouse rappellera dans la nuit pour en avoir confirmation. « Après ce mauvais départ, la confiance a été rompue », explique-t-elle. Dès lors, mère et fils craignent que tous les soins ne soient pas prodigués à leur proche. « On nous a expliqué que s’il avait une infection, l’équipe ne la traiterait pas », affirme Nicole. S’estimant victime de « pressions » du corps médical pour ne pas continuer les soins, elle écrit au directeur de l’hôpital pour lui faire part de son incompréhension.
Lors d’une réunion avec les soignants, le terme « fin de vie » aurait été lâché. Ce que conteste la famille. « Qu’est-ce que la fin de vie ? C’est être lourdement handicapé ? Oui mon père a une vie compliquée. Mais il est conscient. Il communique. Il n’est pas Vincent Lambert. Il tient à la vie », assure Florian. Bernard, qui n’a pas laissé de directives anticipées, communiquerait actuellement avec ses interlocuteurs en clignant des yeux. Un clignement pour oui. Rien pour non.
Transfert ou retour à la maison ?
« On nous dit “votre père ne respire pas seul. S’il n’a plus de machine, il meurt”. Mais dans ce cas, une personne qui n’est pas dialysée meurt aussi ! », s’exclame Florian.
Au-delà du désaccord sur les soins, la famille rapporte des remarques culpabilisantes : « J’ai entendu : “actuellement, votre mari prend la place d’une personne sur ses deux jambes”. Je n’y peux rien s’il n’y a pas assez de place à l’hôpital », regrette Nicole.
La situation semble plus que jamais dans une impasse. Avec, en lame de fond, cette question : quelle structure pour prendre en charge Bernard Esturgie ? La famille, qui avait jusque-là refusé un retour à domicile, compte tenu de la lourdeur des soins, envisage cette option à contrecœur. « Je ne suis pas prête. Il faut une formation, du matériel », s’inquiète Nicole.
Ce jeudi, un transfert à l’hôpital Minjoz de Besançon aurait été proposé par l’équipe médicale.
À Vesoul, un médiateur médical et un médiateur non médical sont amenés à rencontrer les patients/familles en cas de litige. Photo ER /DR
Difficultés, réclamations à l’hôpital : qui saisir ?
Les représentants des usagers
Un représentant des usagers peut faire remonter les demandes des patients/familles à la direction de l’hôpital sur divers thèmes : tarifications, soins, délais de prise en charge… « Dans 90 % des cas, on trouve une solution », explique Dominique Cusey, représentant à Vesoul. Ce dernier regrette de ne pas avoir été saisi par la famille Esturgie avant que la situation ne prenne des proportions aussi extrêmes. « Nous aurions pu les rencontrer, essayer de leur expliquer les décisions prises, servir de tampon avant l’irrémédiable », explique-t-il. « Les patients sont pris dans l’affect. Les médecins sont dans un langage technique. Il faut favoriser le dialogue, les explications » Et d’inviter tout un chacun, en cas de difficultés, à contacter le représentant sur le site internet du GH70, rubrique « usagers ».
Le médiateur
Lorsque le directeur d’un établissement est saisi d’une plainte ou d’une réclamation, il peut demander l’intervention d’un médiateur. Les usagers peuvent aussi le faire, sous certaines conditions. À Vesoul, un médiateur médical et un médiateur non médical sont amenés à rencontrer les patients/familles. « Ils discutent avec eux pour donner des explications, essayer de se mettre d’accord », explique Dominique Cusey. Dans le cas de Bernard Esturgie, le médiateur n’a pas été saisi.
La commission des usagers
Dans chaque hôpital, il existe une commission des usagers. Elle se réunit au moins tous les trois mois et est chargée « de veiller au respect des droits des usagers et de faciliter leurs démarches afin qu’ils puissent exprimer leurs difficultés ». Elle est composée du représentant légal de l’hôpital, du médiateur médecin, du médiateur non-médecin et de deux représentants des usagers, tous astreints au secret professionnel. À Vesoul, 5 à 6 dossiers liés à des réclamations sont examinés lors de chaque commission.
Pascal Mathis, directeur du groupe hospitalier de la Haute-Saône. Photo ER /David HANISCH
Pas de réaction de l’hôpital
Contacté après la conférence de presse du procureur vendredi 31 janvier, Pascal Mathis, directeur de l’hôpital de Vesoul, n’avait pas souhaité réagir.
Sollicité ce mercredi, suite au témoignage de Florian et Nicole Esturgie, le directeur n’a pas souhaité s’exprimer, évoquant « l’enquête en cours ». Il donnera une conférence de presse mardi sur la prise en charge globale des patients dans un service de réanimation.