Comment mourir?
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Par Rubens Alain et , publié le 01/02/
2009 à 00:00
Aide active ou soins palliatifs: Marie de Hennezel et Denis Labayle divergent.
Ces deux-là ne sont pas faits pour s'entendre. La périlleuse ligne de front, c'est l'euthanasie. Marie de Hennezel est psychologue, le docteur Labayle est praticien hospitalier. Elle rejoint la première équipe de soins palliatifs qui s'occupa de cancéreux. Depuis toujours, Marie de Hennezel s'investit dans l'accompagnement des personnes mourantes. Denis Labayle a dénoncé, avec vigueur, ces lucratifs mouroirs que sont les maisons de retraite et le scandale de la canicule de 2003. Mais il est aussi un militant de la dépénalisation de l'euthanasie, en un mot, de sa légalisation. Il est à l'origine du manifeste des 2 000 soignants qui, sortis de la «clandestinité», ont publiquement affirmé avoir aidé à mourir des malades en fin de vie.
Les temps édulcorés de la mort en douceur
Son livre annonce la couleur. Dès 1998, le docteur Labayle se fend d'un plaidoyer pour une infirmière condamnée, lourdement, pour avoir donné la mort à six patients. Une compassion d'autant plus acharnée que les familles des victimes n'avaient jamais entendu leur proche évoquer un quelconque désir de mort. Le docteur Labayle n'aime pas le mot «euthanasie». Il lui préfère «aide active au départ» (AAD), et «autodélivrance» pour suicide, voire «aide à la délivrance» pour suicide assisté. Voici venir les temps édulcorés de la mort en douceur.
Marie de Hennezel n'a jamais cédé d'un iota sur ce point: «Une mort humaine et digne est possible sans recourir à l'euthanasie.» Elle refuse l'absurde et morbide acharnement thérapeutique. Mais dans la solitude du mourant, le dispositif d'accompagnement est capital. Le toucher, le regard et la voix peuvent border une médecine trop technicienne. Aussi, dans le rapport qu'elle remet en 2003, intitulé «Fin de vie, le devoir d'accompagnement», elle soutient que le psychologue est appelé à «décoder» la demande qui s'exprime derrière les plaintes du patient. C'est le thème de son livre. Ce qui provoque les sarcasmes du docteur Labayle. Mais pourquoi, diable, la plainte du mourant serait-elle univoque? La solitude, l'angoisse ou la haine de soi peuvent hanter la demande de mort. Pour le médecin, le psy tient plus de la béquille que du soutien.
2003, c'est l'affaire Vincent Humbert. Un jeune quadraplégique meurt aidé par un réanimateur avec la complicité de sa mère. C'est vrai, on dépêcha un kinésithérapeute et Vincent sentit l'air frais au bord de mer. Ce qui témoignait, à tout le moins, d'un certain retour du goût de la vie. On demanda au président de la République le droit de mourir et on s'étonna de son refus. Mais le chef de l'Etat n'avait pas à violer la loi qu'il incarne. Le docteur Labayle jette un regard admiratif vers les pays qui ont légalisé l'euthanasie: les Pays-Bas et la Belgique. Mais pas un mot sur le Québec, qui résiste aux sirènes lancinantes de l'euthanasie. S'il critique l'activité lucrative de l'association suisse Dignitas qui aide au suicide, prendre rendez-vous pour un aller simple paraît relever avec lui d'une formalité dérisoire. Les «euthanasistes» reprochent aux tenants des soins palliatifs de faire durer la souffrance. Si notre praticien fait l'éloge mesuré de la morphine, avancée majeure contre la douleur, il trouve les plus éminentes vertus au chlorure de potassium. C'est l'arrêt cardiaque brutal et imparable assuré. Cependant, sur un point, le docteur Labayle peut troubler le lecteur. Soit un état végétatif chronique. Légalement, un médecin, après sédation, peut cesser l'alimentation et l'hydratation artificielles. Dans ce cas, où passe la limite très ténue entre accompagner la mort et la provoquer?
A l'occasion de l'affaire Chantal Sébire, le rapport Leonetti sur la loi de 2005 sur la fin de vie écarte l'exception d'euthanasie et l'assistance au suicide. La légalisation de l'euthanasie ne passera pas. Pour une raison simple: jongler avec l'interdit de tuer, c'est la porte ouverte à toutes les dérives. Pourtant. André Comte-Sponville, philosophe, soutient la légalisation sur le site de l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité,
www.admd.net): «Un médecin me disait que la moitié de ce que dans notre existence nous allons coûter à la Sécurité sociale, nous le lui coûterons dans les six derniers mois de notre vie. Quand c'est pour six mois de bonheur [...] ceci vaut largement le coût. Quand c'est pour six mois d'agonie pour quelqu'un qui, au contraire, supplie qu'on l'aide à mourir, je trouve que c'est payer un peu cher ces six mois de malheur et d'esclavage.» Les mourants apprécieront à leur corps défendant.
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