Le cri d’alarme d’une infirmière après une éprouvante fin de vie à domicile
08.06.17 Mise à jour le 07.06.17
Les déserts médicaux, les médecins qui se déchargent sur les infirmières, voici le récit presque insupportable d'une fin de vie qui aurait pu être mieux accompagnée. Alix, infirmière libérale et sa collègue, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour un patient dont la volonté était de mourir chez lui. Son souhait a été respecté. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il allait mourir seul et dans d'atroces souffrances. Nous sommes le 26 mai 2017 en France, et de tels décès ne devraient plus arriver dans notre pays. Pourtant, cela arrive encore. Ce post a été partagé par Pierrette Kaiser sur Facebook. Elle se fait ainsi le relais d’une triste expérience, celle de l’une de ses amies, Alix, infirmière libérale, qui lui a demandé de le partager pour dénoncer une situation intolérable.
soins palliatifs senior
Une infirmière s’est retrouvée impuissante face à la souffrance de son patient en fin de vie à domicile.
Le centre de convalescence l’a déposé sans bruit chez lui lundi dernier. “Allo les infirmières, il va bien, on vous le ramène”. M. X est revenu chez lui méconnaissable et en fin de vie plus qu’imminente. Des ulcères suintants sur ses deux jambes œdématiées et gonflées à bloc. Une respiration plus qu'encombrée. Une veinite qui avait fait doubler de volume son bras devenu rouge violacé. Son teint était pâle translucide : le visage de la mort. Celui qu’on apprend à reconnaître par expérience : quand la peau devient grisâtre et cartonnée, l’œil vitreux et le regard dans le vide qui reste accroché sur on ne sait trop quoi. Il ne s’alimentait plus, avalait de travers quand on essayait de le faire boire quelques gouttes d’eau et ne parlait presque plus. Il gémissait, un peu. Parfois. Allongé dans son lit, sans pouvoir bouger. Un corps mort. Ou presque.
“Sans ordonnance anticipée et adaptée de la part du médecin, nous n'avons rien pu faire de médical pour le soulager.
La terrible impuissance de l’infirmière face à la souffrance
En deux jours l’état [de M. X] s’est dégradé à vitesse exponentielle. Lui qui, il y a encore quelques semaines de cela, nous faisait des blagues. Des blagues pourries certes, mais des blagues quand même. Son médecin est passé le voir à son retour à domicile, car l’infirmière a insisté. “M. X ne va vraiment pas très bien, je crois qu’il est à deux doigts de l’urgence vitale”. Le médecin est venu, a griffonné un traitement en comprimé pour la douleur et pour les œdèmes et est reparti. Le seul souci, c’est que ce médecin, très peu à l’aise avec la mort et probablement pas au fait des prises en charge de fin de vie, n’a pas du tout géré l’anticipation du décès : les quelques prescriptions faites n’étaient pas adaptées à une fin de vie imminente. L’infirmière a insisté, elle a même suggéré d’appeler les soins palliatifs. Par téléphone, ils ont répondu que M. X n’était pas prêt, que ça n’était pas le moment. Point final. Le seul souci, c’est que M. X est mort ce matin, soit deux jours plus tard dans une agonie innommable, avec pour seul accompagnant son fils, resté reclus et choqué loin de lui, dans une pièce de la maison. Depuis hier après-midi M. X s'est vidé de son sang et mourrait à petit feu. Hémorragie digestive massive... Mais impossible d’appeler le SAMU. Il avait demandé explicitement de mourir chez lui et de ne pas repartir à l’hôpital. L'hôpital lui avait déjà coupé les deux pieds, il n'en gardait probablement pas un très bon souvenir... Mais sans ordonnance anticipée et adaptée de la part du médecin, nous n'avons rien pu faire de médical pour le soulager. Et il s’est vidé de son sang, comme on égorgerait un porc. Tout simplement, comme on viderait une bouteille d'eau en ses jours de canicule. Mais lui, s'est vidé par l’anus, par la bouche et même par les yeux (chose que je n’avais jamais vue). Il baignait dans sa merde et dans son sang, écroulé au milieu de son lit dégueulasse et il hurlait à la mort à chaque fois que j’essayais de le bouger pour éponger tout ce merdier. Dans ses derniers moment d’énergie, il a même réussi à crier « putain je m’étouffe !!! » Je pense que là, il s'étouffait vraiment... Ma collègue et moi nous n’avons rien pu faire de médical pour l'accompagner dignement vers sa mort. Nous avons été de bien belles et simples observatrices passives de cette déchéance programmée.
Alors j’ai fait ce que j’ai pu :
• J’ai pompé sa merde et son sang
• J'ai changé son lit 3 fois en 12h.
• Je lui humecté les lèvres et passé un linge mouillé sur son visage.
• J’ai essayé de lui faire avaler son comprimé de morphine. Tout ce que j’ai réussi à faire c’est qu’il s’étouffe un peu plus.
• J’ai pris son téléphone et j’ai appelé sa famille pour qu’il les entende une dernière fois. J’ai tenu le téléphone à son oreille pour qu’il entende ses proches et j'ai vu ses larmes couler sur ses joues (les miennes coulant avec).
• Je l’ai couvert en urgence d’un drap propre pour cacher son sang quand j'ai entendu son fils débarquer chez lui à 7h ce matin.
• Je lui ai tenu la main, je lui ai caressé le front. Un peu, mais pas assez. Pas assez du tout même.
• Je lui ai bêtement dit «courage» face à sa douleur, et «je sais bien» quand il m’a hurlé «je m’étouffe».
• Et puis je suis repartie bosser en le laissant tout seul avec sa mort pourrie et avec son fils perdu dans sa maison. Car j’avais déjà une heure de retard sur ma tournée.
• Ma collègue, elle, s’est levée à 7h du mat d’un bond réveillée par sa sonnerie de son téléphone, son jour de repos. Elle a pris ma relève sans hésiter quand je l’ai appelée au secours.
• Elle est arrivée juste à temps, pour son dernier souffle et lui a tenu la main.
• Elle lui a fait la toilette mortuaire, l’a lavé de toute sa merde et de tout son sang. Elle a jeté les draps, ouvert les fenêtres et lui a passé de l’eau de Cologne sur tout le corps avant que ses enfants arrivent et sentent l’odeur de merde et de sang digéré.
• Elle a acheté des bougies et les a disposées dans sa chambre, elle l’a habillé dignement et est allé couper des roses de son jardin. Celles qu'il aimait tant. Elle les a disposées tout autour de lui en attendant sa famille.
“Ce que j’aimerais vraiment, c’est que ce post puisse être lu par le maximum de médecins (…) car sans vous nous ne pouvons RIEN.
On a fait ce qu’on a pu. Mais on a rien fait de médical. En fin de matinée, à l’annonce de sa mort, le médecin a répondu en sms « merci d’avoir géré, une belle pensée pour lui ». Aucune prise de conscience de la réalité du terrain. Ou alors un déni si profond que je pense déjà à ses prochains patients qui ne sont pas encore morts mais déjà en danger. Alors voilà, ce post hyper long n’est pas gratuit et ne sert pas uniquement d’exutoire après cette matinée de merde. Je ne veux pas non plus attaquer les médecins et faire un amalgame de tous les médecins et de toutes les pratiques. Nous sommes des professionnels, avec chacun nos expériences sur le terrain et nos histoires de vie qui pèsent sur notre pratique au quotidien. Et qui font que l'on est probablement plus à l’aise dans certains domaines que dans d’autres. J’écris tout simplement car je ne peux pas cautionner une telle prise en charge et rester silencieuse après ce qu'il s'est passé. J’ai voulu aller voir le médecin pour discuter directement avec lui. Mais ma collègue, à qui appartient le cabinet, m’a demandé de ne pas le faire. De peur du grand pouvoir du médecin probablement... Omerta et chape de plomb... Je vais donc respecter sa demande. Mais je vais écrire pour dénoncer. Dénoncer non pas la personne mais les actes. Dénoncer une prise en charge qui ne doit plus se reproduire et faire que cette expérience soit au final quelque chose de positif pour l'avenir d'autres malades.
Ce que j’aimerais vraiment, c’est que ce post puisse être lu par le maximum de médecins. Surtout par les médecins généralistes et particulièrement ceux qui ne sont pas à l’aise avec la mort à domicile. Je ne vous juge pas. Je ne dis pas que vous êtes nuls ou de mauvaises personnes. Je voudrais juste que vous compreniez qu’une prise en charge d’une fin de vie à domicile est possible si une continuité des soins existe. Mais pour cela, il faut qu’elle commence. Et vous en êtes à l'initiative. C'est vous qui devez prendre la première décision, la nommer, la verbaliser. "On est en palliatif là, on y va!". Et nous, les infirmières, nous suivrons. Nous sommes sur le terrain trois fois par jour, pour mettre en actes vos ordonnances.
Mais sans vous nous ne pouvons RIEN.
“Prévoyez la dégradation de l’état du patient par des prescriptions anticipées qui vont nous servir à soulager nos patients.
Un appel lancé aux médecins généralistes
Alors, chers collègues médecins, le but de nos métiers quand on ne peut plus sauver est humblement d’accepter d’accompagner les patients dignement jusqu’à la fin. Alors s’il vous plait formez-vous par vous-même si vous ne l’avez pas été durant vos études. Appuyez-vous sur les protocoles qui existent, travaillez en collaboration avec les médecins des soins palliatifs, lisez des publications, lisez Elisabeth Kübler-Ross, allez sur internet, renseignez-vous, discutez avec nous. Avoir peur de gérer la mort des autres, ça se comprend. Mais au final, ne pas la gérer par peur est inacceptable. Pour la personne qui meurt.
On ne vous demande pas de venir tenir la main du malade jusqu’à son dernier souffle, on vous demande juste de faire ce que vous devez faire, et nous, infirmières, ferons le reste.
On attend de vous :
• L’annonce du diagnostic et du pronostic au patient et à sa famille. Cette annonce fait partie des droit des patients... Arrêtons de nous cacher derrière des demi-mots et des flous artistiques qui ne font que repousser le moment de l’acceptation de la mort. Et souvent c’est déjà trop tard. Le patient est parti, et la famille n'a rien compris. Nous ferons le reste après cette annonce : écouter, rassurer, être présent, faire le lien entre vous et eux, informer sur la suite, le constat du décès, les pompes funèbres…
• Mais surtout ANTICIPER !!!! Ne nous laissez pas dans la merde avec les ordonnances svp !!!!!! Nous ne pouvons rien faire sans vous !!!!!!!! Légalement, Nous n’avons même pas le droit de donner du Doliprane !
Prévoyez svp la dégradation de l’état du patient par des prescriptions anticipées qui vont nous servir à soulager nos patients le plus rapidement possible sans avoir à vous déranger, à attendre un médecin ou à chercher désespérément une solution un jour férié. J’aurais pu lui injecter des traitements en toute légalité qui l’aurait soulagé, et calmé. Et il serait parti en paix.
Mais je n’ai rien pu faire.
Alors si vous connaissez des médecins généralistes, s’il vous plait, partagez. On est là pour bosser ensemble, on se salira les mains pour vous sur le terrain, y’a pas de souci, mais aidez-nous dès le début aussi. On a besoin de vous. Une fin de vie à domicile est tout à fait possible dans n’importe quel contexte, aussi pourri qu'il soit. La personne finit irrémédiablement par mourir. Par contre, une fin de vie à domicile digne est un plus gros challenge. Elle demande une anticipation et la coordination d’une équipe. Travaillez avec nous svp, pour le bien de nos patients. Merci.
P.S. Ah oui, et svp, pas de «tu as fait tout ce que tu pouvais c’est super, tu ne dois pas t’en vouloir ». Je sais que c’est sympa de me dire ça, mais si vous voulez faire chose, juste partagez pour que ça soit lu par un maximum de médecins généralistes. Pour que ce genre de mort survienne le moins possible. Merci.