un fait d’actualité
mercredi 6 juillet 2011 par Michel Cavey (gériatrie, soins palliatifs )
Les informations du jour rendent compte de l’histoire de Michèle de Somer, récemment décédée d’un cancer, et qui laisse seul un fils tétraplégique. Elle a écrit deux au Président de la République ; la première fois il y a dix ans pour lui demander que soit mis fin à la vie de son fils, la seconde fois pour lui demander qu’après sa propre mort il soit pourvu à la prise en charge de son malade.
Personne ne contestera que cette histoire est horrible ; personne n’aura le front de prétendre qu’il sait ce qu’il demanderait, voire ce qu’il ferait si telle chose lui arrivait.
Voici ce qu’on trouve aujourd’hui sur le site de l’ADMD.
Michèle de Somer n’est plus. Cette maman courage qui, un an après l’affaire Humbert, avait demandé au président de la République d’alors, Jacques Chirac, le droit de mourir pour son fils Eddy, s’est éteinte vendredi dernier dans une chambre du CHU de Rouen. Le cancer du poumon qui la rongeait depuis près d’un an a emporté cette mère de famille qui, il y a tout juste dix ans, a vu sa vie se transformer en cauchemar.
Vincent Humbert comme voisin de chambre :
21 août 2001, sur une route de l’Eure, Eddy, 23 ans, perd le contrôle de son scooter et percute violemment la remorque d’un tracteur. En une fraction de seconde, la vie de ce jeune homme bascule, comme celle de ses proches. Multiples traumatismes, coma, Eddy se retrouve à l’état de plante verte, d’abord au CHU de Rouen, puis au centre héliomarin de Berck-sur-Mer, le refuge des grands tétraplégiques. A l’époque, son voisin de chambre est un certain Vincent Humbert…
Pendant un an et demi, les médecins tenteront sans relâche de sortir Eddy de cet état végétatif. En en vain. Ils finiront par annoncer à ses parents qu’ils ne peuvent plus rien pour lui, qu’ils ont tout tenté, qu’il doit partir. Eddy, les yeux rivés au ciel et constamment recroquevillé en position fœtale, réintègre alors la maison familiale. Sa chambre, tapissée de posters de Nirvana, est transformée en pièce médicalisée. La nouvelle vie de Michèle commence : elle quitte son travail et s’occupe 24 heures sur 24 de son fils qu’il faut nourrir par sonde, qu’il faut laver, qu’il faut changer… Un fils à qui l’on doit aspirer régulièrement sa sonde trachéale pour éviter qu’il ne meure étouffé, un fils qui demande une constante surveillance, un jeune homme qui redevient nourrisson…
« Un calvaire vécu au quotidien » :
Contrainte et forcée, Michèle dévoue entièrement sa vie à Eddy, au détriment de ses deux autres enfants, Sébastien et Laura, et de son mari, Dominique, qui trop affecté par l’accident de son aîné plonge petit à petit dans la dépression. Il succombera un an plus tard à une crise cardiaque. Michèle fera pourtant face au destin qui s’acharne sur elle. Avec courage, elle surnage. Mais quand l’affaire Humbert éclate, quand Marie libère son fils après qu’il a demandé à Jacques Chirac le droit de mourir, Michèle espère alors que sa situation va évoluer, qu’on va enfin s’intéresser à elle, à Eddy, et à son semblant de vie. Elle entre alors dans le combat et commence à militer pour une loi digne où l’euthanasie ne serait plus un mot tabou. Elle souhaite « que les politiques prennent conscience du calvaire que nous vivons au quotidien », confiait-elle à France-Soir le 23 novembre 2004. Elle aussi écrira à Jacques Chirac : « Monsieur le président, il attend cette libération… que dois-je faire ? Agir comme Marie Humbert ? », Expliquait-elle dans sa lettre adressée au président de la République et publiée dans nos colonnes. Une demande qui restera vaine, comme celle faite quelques mois plus tôt par Vincent Humbert.
« La loi Leonetti, une loi inhumaine » :
Devant ce refus, Michèle de Somer multipliera alors les entretiens, à la télé, à la radio, dans les journaux. Et elle, comme bon nombre de mamans, de parents, attendra beaucoup de cette embellie annoncée, de ce débat sur la fin de vie programmé à l’Assemblée nationale. Comme les autres, elle espérera que l’Etat, les parlementaires, mais aussi l’Eglise retirent leurs œillères, d’autant que les sondages réalisés à cette époque auprès de la population française penchaient pour un « oui » massif au droit à l’euthanasie, encadré par une loi. Mais comme beaucoup de gens qui vivent pareille situation, comme toutes ces familles au destin brisé, elle sera déçue, dépitée par le texte voté. « La loi Leonetti, une loi inhumaine », lançait-elle à l’époque.
Alors, voyant que les choses ne bougeront jamais en France, elle décida d’elle-même de cesser toute action, toute médiatisation. Souhaitant désormais vivre dans l’anonymat et ne plus espérer d’issue favorable « dans un combat perdu d’avance », elle promettra tout de même à son fils qu’un jour, elle l’aiderait à mourir. « Cela fait des années qu’il nous supplie d’abréger ses souffrances. Un soir après un reportage au journal télévisé, et bien avant son accident, il nous en avait même parlé, il nous avait dit de ne pas le laisser comme ça si, par malheur, il lui arrivait quelque chose. Son père lui avait fait cette promesse, il ne l’a pas tenu. Moi, je la tiendrai », expliquait-elle en début d’année lorsque nous avions repris contact avec elle pour savoir où en était sa situation. Une situation qui s’était un peu plus dégradée. Elle venait d’apprendre qu’il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. Que le cancer décelé était incurable. Alors elle a voulu témoigner, dire ce qu’elle avait sur le cœur.
Maman était déterminée, elle nous en parlait souvent. Elle voulait libérer Eddy, surtout depuis qu’elle savait que son cancer la rongeait un peu plus chaque semaine », explique sa fille, Laura, les larmes aux yeux. Un geste d’amour pour Eddy. « Elle lui avait donné la vie, elle voulait lui offrir sa mort, pour qu’ils partent tous les deux. » Michèle n’en a pas eu le temps. Le cancer a eu raison d’elle. Elle sera inhumée demain dans la plus stricte intimité.
Voilà qui est clair : L’ADMD est derrière cette affaire. Observons que cette fois-ci elle ne s’est pas, ou pas encore, mise en avant. Changement de tactique ? Manque de l’élémentaire courage qui voudrait la voir assumer ses agissements ? Peu importe au fond ; essayons plutôt de recadrer le débat.
C’est important, parce que depuis le début l’ADMD s’obstine à mélanger deux problématiques. Répétons donc ce que nous avons déjà dit.
L’euthanasie :
La question de l’euthanasie se limite à savoir ce qu’on doit faire quand un malade qui n’a plus d’espérance de vie (on peut débattre des limites de cette notion) termine ses jours dans des conditions insupportables. Je dis : « des conditions insupportables » parce qu’on ne doit pas réduire ces conditions à la douleur, il y a de multiples manières de souffrir. Dans ce cas il faut se demander s’il n’est pas plus raisonnable de mettre un terme à cette vie. Et la réponse est évidemment oui ; il paraît que c’est la position de 93% de français, on se demande comment on en trouve tout de même 7% pour dire non. La seule difficulté du raisonnement c’est qu’avec les moyens dont nous disposons, et à condition de les utiliser de manière adéquate, il n’existe plus de situation de cet ordre.
Le prix à payer s’appelle parfois la sédation terminale. Il s’agit de pratiquer une anesthésie générale. Je ne crois pas qu’il se trouve quelqu’un pour contester l’efficacité des techniques d’anesthésie générale ; cela signifie que, dans ces conditions la question du confort du malade est (sous réserve, encore une fois, d’une application convenable) résolue. Ce qui ne l’est pas c’est le spectacle qu’il donne, la souffrance de son entourage, et cela pose une grave question, mais on voit immédiatement que ce n’est pas la même. On se souvient de l’affaire Hervé Pierra, pour qui cette technique avait été mise en place, et dont les parents ont rapporté qu’elle avait abouti à un cauchemar. Je ne vais pas me mêler d’avoir une opinion sur ce qui s’est passé, je note simplement que cela pose les deux questions que je viens d’énoncer :
La méthode a-t-elle été appliquée correctement ? Il semble que non.
Quelle a été la part de la souffrance du malade et de celle de ses parents ? Nous reviendrons sur ce second point, qui est le plus difficile, et qui est aussi celui que pose l’affaire Michèle de Somer. Tout ce que je peux dire, c’est que je n’ai jamais rencontré de situations où la souffrance du patient ne soit pas contrôlable (libre à chacun de penser que j’aurai négligé cette souffrance). J’ajoute que si j’en rencontrais je n’aurais pas l’ombre d’une hésitation. Le combat pour l’euthanasie est archaïque.
Le droit au suicide :
Il y a des gens qui estiment que la fin de vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Soit. Ils revendiquent le droit de mettre fin à leurs jours. Soit. Je ne crois pas qu’on puisse légiférer sur un « droit au suicide », car la loi a pour but d’organiser la vie en société, d’où il résulte qu’elle n’a rien à dire sur ceux qui ne veulent pas de cette vie. Le suicide est tout simplement hors la loi, ce qui n’en fait nullement un délit, bien sûr ; et la loi aurait d’autant plus tort de s’en mêler qu’elle serait bien en peine de l’empêcher. La seule question qui se pose est de savoir comment on procède. Et je me bornerai à rappeler trois points :
Compte tenu du nombre de personnes qui font des tentatives de suicide qu’elles regrettent, il y aurait tout simplement une grave menace à l’ordre public à faciliter ce geste.
Rien n’est plus simple que de trouver les moyens de procéder à un suicide efficace et confortable ; il n’y a donc pas lieu d’y mêler les médecins. La grande escroquerie de l’ADMD est de prétendre le contraire.
Les patients dans cette situation ont encore les moyens de procéder eux-mêmes à leur suicide. Ce fut le cas, semble-t-il, de Chantal Sébire. Même si, dans cette dernière affaire, on sait que les choses étaient plus compliquées qu’on ne nous l’a dit (en particulier elle n’adhérait pas à un projet, pourtant réaliste, de soins palliatifs), cela prouve au moins que le problème posé n’existait pas. Pouvait-on simplifier la procédure ? Oui, à condition, je le répète, de prendre un risque social majeur.
Il faut étendre cette problématique à celle des malades qui ne sont pas en fin de vie mais qui estiment que la vie qu’ils mènent ne vaut pas d’être vécue. C’est la problématique de Vincent Humbert (je fais délibérément l’impasse sur les graves zones d’ombre qui planent toujours sur ce point) ; il semble que ce fut celle d’Eddy Somer. Les choses sont évidemment plus complexes car ces patients n’ont eu ni le temps de dire ce qu’il faudrait faire ni les moyens de le réaliser. Notons simplement :
Qu’il s’agit de situations d’exception, et que c’est ne rien comprendre à ce qu’est la loi que lui demander de résoudre les situations d’exception.
Que là encore l’application convenable de la loi Léonetti (dont j’ai dit ailleurs combien elle me semble critiquable), ou même simplement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, permet de leur apporter une solution correcte.
On voit que les deux questions sont différentes. Et l’ADMD se garde bien, quand elle brandit ses sondages, d’observer que les réponses sont différentes selon que l’on pose l’une ou l’autre ; c’est d’autant plus grotesque que dans les deux cas le oui est majoritaire ; la seule difficulté est qu’on ne précise pas que, sur un tel sujet, les réponses peuvent varier selon qu’on se trouve ou non soi-même en situation d’être confronté à ce problème. Je veux dire par là que quand on interroge des malades en fin de vie on ne trouve pas les mêmes résultats : si c’était le cas il y a longtemps que les soins palliatifs auraient explosé en plein vol.
Les gêneurs :
Mais voici que, sans la moindre vergogne, l’ADMD ajoute encore à la confusion en introduisant une troisième problématique. Car la question qui est soulevée ici est celle de l’avenir d’ Eddy de Somer maintenant que sa mère n’est plus là pour s’en occuper.
Entendons-nous.
Il n’est pas question de dire qu’Eddy de Somer n’est pas en proie à des souffrances insupportables : nous n’en savons rien, tout au plus pouvons-nous dire qu’il n’est pas en fin de vie, ce qui l’exclut du champ de l’euthanasie (car si on inclut dans ce champ, ce que l’ADMD ne va pas jusqu’à faire, la problématique des patients non en fin de vie, on change de civilisation). Mais ce n’est pas cela qui est mis en avant.
Il n’est pas davantage question de dire qu’Eddy de Somer ne revendique pas un droit à mourir : nous n’en savons rien. Mais ce n’est pas non plus cela qui est mis en avant.
Non : ce qu’on nous dit c’est que son avenir est problématique en l’absence d’un aidant que rien ne remplacera. Ce problème est de la plus haute importance : on sait que la situation de ces grands invalides est scandaleusement négligée ; on sait aussi que la grande (et légitime) terreur de tous les parents d’enfants handicapés est de savoir ce qui se passera quand ils ne seront plus là. Mais quel rapport avec l’euthanasie ?
S’agit-il de dire que faute de moyens financiers et humains adaptés, le mieux serait d’en finir ? J’ai toujours pensé que si l’ADMD ne regarde pas aux moyens qu’elle utilise pour plaider sa mauvaise cause, si elle joue sans retenue sur la confusion des idées, il serait injuste de la soupçonner de dérive eugéniste ; j’ai par contre pensé très fort qu’elle n’a pas suffisamment médité l’exemple des eugénistes autrichiens des années 1920, qui étaient des gens parfaitement honnêtes et sincères, dont les idées étaient très généreuses, mais qui n’en ont pas moins bâti des conceptions très dangereuses, que d’autres n’ont d’ailleurs pas manqué de dévoyer. Mais ici, pour la première fois, force est de constater que si on veut faire un lien entre l’affaire Michèle de Somer et l’euthanasie, alors cela ne peut s’obtenir que par le biais de théories eugénistes : que dit-on quand on dit que l’euthanasie serait un moyen de parer à la carence de la société ?
Je ne crois pas que l’ADMD en soit là. Ce qui se passe, simplement, c’est qu’elle est prête à faire flèche de tout bois pour semer un trouble dont elle espère profiter, et qu’elle n’a tout simplement pas réfléchi aux conséquences de ce qu’elle dit. Comme l’énonce le proverbe juif : le mensonge permet d’aller loin mais pas de revenir.
Ce qui par contre est patent c’est l’utilisation qu’elle fait de la souffrance. Et c’est là le point le plus difficile, et le plus scandaleux. Dans toutes ces situations la souffrance est majeure et diffuse : non seulement celle du malade, mais au moins autant celle de l’entourage. Je ne connais aucun moyen réellement efficace d’amener le proche d’un malade à faire la part, dans ce qu’il ressent, de ce que le malade souffre, de ce que lui-même souffre et de ce qu’il croit que le malade souffre. C’est d’autant plus impossible que, si peu qu’on se hasarde à dire que le proche, peut-être surévalue la souffrance du malade on s’entend immédiatement reprocher une sécheresse de cœur. C’est tout le problème posé par l’affaire Hervé Pierra : il se peut que la sédation dans laquelle il a été plongé ait été mal faite ; mais il se peut tout autant que, souffrant ce qu’ils ont souffert, ses parents n’aient pas été en mesure d’interpréter correctement ce qu’ils observaient, et qu’ils aient cru à tort que leur enfant ressentait quelque chose des signes qu’il montrait. Tâche impossible, malentendu inévitable, même si l’expérience des soins palliatifs montre qu’il l’est moins que je ne dis. C’est de cette souffrance dont l’ADMD tire une bonne part de son énergie. Faisant cela elle ne fait pas le bien.