Dans le labyrinthe des soins de fin de vie
Cancéreux en phase terminale, Christian Plessis-Bélair s’interroge: où va-t-il finir ses jours?
16 juillet 2016 |
Marco Fortier |
Santé Photo: Jacques Nadeau Le DevoirChristian est toujours bien vivant, trois semaines après son arrivée aux soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame.
Depuis trois mois, il ne lui reste plus que
« quelques jours » à vivre. Mais il s’accroche. Contre toute attente, Christian Plessis-Bélair, atteint d’un cancer foudroyant, mange encore trois repas par jour, peint des tableaux et a même pris un petit verre de rouge, l’autre jour, à l’étage des soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame.
Le Devoir vous a parlé de lui la semaine dernière : cet homme de 62 ans est entré à l’hôpital pour un mal de jambe, à la mi-avril. Il n’en est plus sorti. Christian souffre d’une forme extrêmement virulente de leucémie. Trois mois plus tard, donc, on rejoint le patient à sa chambre du cinquième étage de l’hôpital, rue Sherbrooke à Montréal. Il a mal partout. Un mal terrible. Mais la méthadone et le Dilaudid engourdissent la douleur.
Il garde le moral, Christian. Une force de la nature. Un nuage plane tout de même dans sa petite chambre : il est question de le déménager à l’hôpital Marie-Clarac, la plus grande maison de soins palliatifs du Québec, dans le nord de Montréal. Un hôpital à la réputation irréprochable. Mais Christian ne veut rien savoir d’y aller. Il veut rester là où il est, aux soins palliatifs de Notre-Dame.
« Il n’est pas question que j’aille ailleurs. Je commence à m’adapter ici. Je connais les infirmières, je connais tout le personnel, c’est rassurant. Recommencer tout ça à une autre place, ça ne me tente pas », dit-il, assis dans son lit.
« Ici, c’est le bonheur. Je suis traité aux petits oignons. Les infirmières sont exceptionnelles. Elles travaillent tellement, elles n’arrêtent pas deux minutes. Et la nourriture est bonne. » En attendant la mort
Christian est toujours vivant, trois semaines après son arrivée aux soins palliatifs. C’est une unité conçue pour les mourants, ici ! Il est le premier à rire du fait qu’il déjoue tous les pronostics. Il a accepté la mort, il est prêt à partir lorsque son heure sera venue, mais il profite de chaque minute que la vie lui offre.
Il est vrai que les séjours à l’unité des soins palliatifs sont généralement de courte durée. Une dizaine de jours en moyenne, d’après ce qu’on nous dit. Depuis trois semaines, presque tous les patients du cinquième étage ont été remplacés…
« Aucun transfert n’est effectué sans l’autorisation du patient ou de sa famille », assure Sylvie Robitaille, conseillère en communication au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), dont relève l’hôpital Notre-Dame. Les médecins traitants peuvent discuter d’un transfert s’ils jugent que c’est dans l’intérêt du patient. Mais rien n’est imposé.
En principe, le malade a le droit d’aller où il veut pour recevoir des soins palliatifs — ou encore l’aide médicale à mourir — fournis par l’État. Dans les faits, ce n’est pas si simple.
« Avant, tout le monde décidait pour le patient en fin de vie : le Bon Dieu, le curé, le médecin… Aujourd’hui, le patient a le libre choix, mais c’est une situation très complexe », dit Yvon Bureau, travailleur social de Québec et consultant bénévole pour un mourir digne et libre.
Mourir à la maison
Constatons d’abord les chiffres : où les Québécois meurent-ils ? Le ministère de la Santé et des Services sociaux a compilé les statistiques entre les années 2000 et 2012. Près de six personnes sur dix (59 %) meurent à l’hôpital. Une portion de 20 % des décès surviennent dans un foyer pour personnes âgées, officiellement appelé centre hospitalier de soins de longue durée (CHSLD). Et 3 % des morts se produisent dans d’autres types d’établissement de santé.
Mais encore ? Encore 7 % de la population meurt
« dans un autre lieu », dans un accident, en voyage à l’étranger, etc.
Le dernier chiffre, un des plus importants, est la proportion de 11 % des gens qui meurent chez eux. C’est un des chiffres les plus importants, parce que le gouvernement cherche à augmenter à 20 % la part des décès à la maison.
En théorie, Christian Plessis-Bélair aimerait finir ses jours sur le Plateau Mont-Royal, où il a vécu toute sa vie. Son petit appartement d’artiste célibataire de 62 ans serait toutefois mal adapté pour servir de « chambre d’hôpital ». Et aucun de ses proches n’a l’espace ou la capacité de l’accueillir.
Si jamais Christian décidait d’aller chez lui, le système de santé et services sociaux pourrait l’aider.
« On a tout ce qu’il faut pour lui permettre de s’installer chez lui. On offre même la chimio palliative à la maison », dit Bérard Riverin, directeur général de la Société de soins palliatifs à domicile du Grand Montréal.
L’organisme permet à 1300 malades en phase terminale par année de se faire traiter gratuitement à la maison. Le « taux de succès »— ceux qui meurent bel et bien chez eux — est de 41 %. Les deux tiers meurent en moins de trois mois. Certains s’accrochent un an, parfois même deux ans.
La Société de soins palliatifs à domicile fournit tout : lit d’hôpital, appareils pour distribuer les médicaments antidouleur, fauteuil roulant. Une vingtaine d’infirmières, 12 préposés aux soins, un psychologue, une soixantaine de bénévoles bien formés et du personnel administratif sont au service des patients.
L’organisme fournit depuis quatre ans des préposés aux bénéficiaires de nuit : cette seule mesure a fait passer le « taux de succès » (de décès à la maison) de 18 % à 41 %.
Le prix de la dignité
Bérard Riverin comprend Christian Plessis-Bélair de vouloir rester à l’hôpital où il est traité depuis près de trois mois. C’est un réflexe normal pour un patient en perte de repères.
« On peut comprendre les hôpitaux ou les médecins d’avoir des critères d’admission aux soins palliatifs. Il peut y avoir des patients qui ont des besoins plus urgents. Mais normalement, le patient devrait rester là. Je suis contre le transfert, je trouve que ça ne serait pas humain de faire ça », dit-il.
Il est fréquent que des patients en toute fin de vie, qui ont été traités à domicile ou à l’hôpital, viennent finir leurs jours dans une des 31 maisons de soins palliatifs du Québec, explique de son côté Lucie Wiseman, directrice de la Maison Au diapason, qui offre huit lits à Bromont, dans les Cantons-de-l’Est. La moitié de ses patients meurent moins d’une semaine après leur arrivée.
Les résidences privées pour personnes âgées ont aussi flairé une « occasion d’affaires » avec les soins palliatifs : la soeur de Christian Plessis-Bélair a déniché une maison pour retraités de Montréal prête à accueillir le patient pour 2500 $ par mois. Cette résidence exige le paiement de trois mois minimum, même si le patient devait séjourner seulement trois jours — plus le coût des médicaments et des soins médicaux.
Oui, les soins palliatifs représentent un marché d’avenir : avec le vieillissement de la population, le nombre de décès a augmenté de 14 % au Québec entre les années 2000 et 2012 — de 53 287 à 60 800. De quoi faire rêver les entrepreneurs prêts à tout pour aider les gens à « mourir dans la dignité ». S’ils sont disposés à en payer le prix.