En France, les «résultats catastrophiques» des soins palliatifs fustigés dans une étude
Par Eric Favereau — 19 juin 2016 à 16:48
A l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, en mars 2015.
A l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, en mars 2015. Photo Philippe Wojazer. Reuters
Sur les 321 services sollicités, seuls 6 respectaient totalement ou partiellement les critères du dispositif des lits dédiés à la fin de vie, illustrant ainsi la déconfiture du dispositif.
En France, les «résultats catastrophiques» des soins palliatifs fustigés dans une étude
Ce n’est pas un fiasco, mais c’est peut-être pire. L’étude du Dr Edouard Ferrand, qui a été présentée ce week-end au congrès de la Société française des soins palliatifs, sur l’organisation des soins palliatifs à l’hôpital, pointe une totale inadéquation entre les textes réglementaires et la réalité. Et il n’en veut pour preuve que ce que l’on appelle dans le jargon administratif les lits identifiés de soins palliatifs (Lisp) : créés dans les hôpitaux en 2008 – il y en a formellement plus de 5 000 –, les établissements touchent pour leur existence des budgets supplémentaires, mais dans les faits quasi aucun ne fonctionne selon les critères prévus. «C’est vraiment dommage car c’est un très beau concept, mais il est mal utilisé, non évalué et les résultats sont catastrophiques», lâche le Dr Ferrand.
Dans la galaxie des soins palliatifs, ce médecin anesthésiste-réanimateur est un personnage à part : il a pris l’habitude, depuis plus de dix ans qu’il y travaille, de mettre les pieds dans le plat. Une de ses études avait révélé qu’«un patient sur deux mourait après une décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques» dans les services de réanimation. Aujourd’hui, il s’est penché sur l’organisation des soins palliatifs à l’hôpital. Schématiquement, trois types de structures coexistent : les services de soins palliatifs, les unités mobiles de soins palliatifs et, depuis 2008, les lits identifiés de soins palliatifs.
Sur le papier, ces lits se trouvent dans des services, soit de cancérologie, de médecine interne, de gériatrie… Pour en bénéficier, le service en question doit remplir un cahier des charges : avoir un plan de formation, des réunions pluridisciplinaires, un psychologue, des bénévoles, mais aussi une chambre individuelle avec des lits d’appoint pour les proches, des visites libres sans horaires précis… L’idée étant, donc, au sein d’un service, de pouvoir s’occuper au mieux de l’agonie d’un patient. En échange, l’hôpital bénéficie d’un budget spécifique supplémentaire.
«Moyens difficilement identifiables, voire détournés»
En France, il y a 5 057 Lisp, selon le rapport de la Cour des comptes de 2012. Sur les 600 000 décès recensés en France, 120 000 le sont dans un contexte de soins palliatifs : 80% de ces derniers décèdent en Lisp, ce qui représente 100 000 décès par an. Donc, si l’offre de soins en matière de soins palliatifs reste très inférieure à la demande, celle-ci est structurée très majoritairement autour de ces lits identifiés soins palliatifs.
Mais voilà, est-ce que, dans les faits, cela fonctionne ? Edouard Ferrand a sollicité plus de 320 services équipés de ce dispositif. Et il leur a posé des questions précises sur ces lits. Le résultat est édifiant. Sur les 321 services interrogés, seulement cinq respectent en partie les critères de Lisp et un seul en totalité. Selon l’étude, la moitié seulement des équipes mobiles dispose d’un référent chargé d’assurer la bonne marche de ces lits identifiés. 73% de ces équipes «considèrent que les personnels sont insuffisamment formés aux soins palliatifs, voire pas du tout». Dans 44% des services, il n’y a pas de réunions interdisciplinaires alors que «la collégialité est cruciale lorsqu’il s’agit de patients vulnérables». La présence d’un psychologue ou de bénévoles dans le service manque dans plus d’un cas sur deux. Bref, pour dire les choses simplement, le cahier des charges n’est jamais respecté. «On est face à un dispositif dévoyé, note Edouard Ferrand. Avec un décalage entre ce qui est reconnu et ce qui mériterait de l’être. Les moyens dédiés sont difficilement identifiables, quand ils ne sont pas détournés à d’autres fins.»
Qu’en déduire alors ? Et à qui la faute ? «Ce sont les équipes du service qui ont la responsabilité de ces lits. Or, dans les faits, ils ne s’en occupent pas, les directions des hôpitaux sont contentes parce qu’ils ont de l’argent en plus. Et les Agences régionales de santé, qui passent des contrats avec eux, laissent faire», constate, un peu désabusé, le Dr Ferrand. Bref, chacun y trouve son compte. En décembre, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, avait pourtant annoncé un nouveau «plan national pour le développement des soins palliatifs» pour la période 2015-2018. Un plan qui «vise à créer de nouveaux droits en faveur des malades et en mobilisant 190 millions d’euros, il vise également à corriger les inégalités d’accès à ces soins». Certes, mais les faits racontent une tout autre histoire…
Eric Favereau
http://www.liberation.fr/france/2016/06/19/en-france-les-resultats-catastrophiques-des-soins-palliatifs-fustiges-dans-une-etude_1460521