Toucher vaginal sans consentement : une pratique bien réelle
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Lucile Quillet | Le 05 février 2015
Accusé d'inciter les externes à s'entraîner au toucher vaginal sur des patientes endormies sans leur consentement, l'hôpital Lyon-Sud a démenti mercredi. Mais trois étudiants en médecine témoignent du contraire.
La polémique ne cesse d'enfler depuis lundi, jour où Karim, internaute, publie sur Twitter le lien vers un document de l'université de médecine de Lyon-Sud, qui recommande aux étudiants externes d'apprendre à réaliser un toucher vaginal sur des patientes endormies lors de leur stage au bloc opératoire gynécologique.
Si le message est énigmatique, le document l'est moins. Et met le feu aux poudres lorsqu'il est publié par
Metronews. Depuis, le fichier a mystérieusement disparu du site de l'université de Lyon-Sud.
L'hôpital affirme demander le consentement
Levée de boucliers. L'hôpital Lyon-Sud n'a pas tardé à démentir : ce document n'est pas actuel et traînait sur le site. En bloc opératoire, « tous les participants se présentent, et les patientes savent tout à fait quel est le rôle de chacun et cela se fait avec leur consentement préalable », selon le docteur Daniel Raudrant, ancien chef du service gynécologie. Dans une tribune sur le
Nouvel Obs, Lucas, un des étudiants de la fac de Lyon-Sud déclare que l'on « n'apprend pas à faire de toucher vaginal au bloc ». L'Ordre national des médecins s'insurge aussi : « Si des faits de cette nature s’étaient produits, l’ordre ne doute pas un instant que des professionnels de santé, infirmiers, aides-soignants, travaillant au sein de cet établissement auraient saisi les instances compétentes. »
Les étudiants témoignent du contraire
Pourtant, plusieurs voix s'élèvent pour témoigner du contraire. À commencer par la doyenne de l'UFR de médecine Lyon-Sud Carole Burillon, qui a maladroitement concédé que l'« on pourrait effectivement demander à chaque personne l'accord pour avoir un toucher vaginal (TV) de plus, mais j'ai peur qu'à ce moment-là les patientes refusent ». Sur
Terra Femina, le gynécologue et auteur du livre
Le Chœur des femmes Martin Winckler ne semble pas s'étonner de ce genre de pratiques en France, qu'il qualifie de « viols couverts » et qui ne représenteraient que « la partie émergée de l'iceberg ». En 2011 déjà, une étudiante en médecine avait dénoncé ce procédé sur son blog Sous la Blouse Blanche dans un post baptisé
« tu sauras jamais », où elle sous-entendait que plusieurs étudiants s'entraînaient à la chaîne sur une même patiente inconsciente.
"Le toucher vaginal est obligatoire avant une opération gynécologique"
Tous les étudiants ne sont pas aussi indignés. Certains assument sans problème cette pratique, décomplexés, jamais à bout d'arguments pour dédramatiser la polémique qu'ils trouvent absurde. Premier argument : le TV n'est pas un « exercice » mais un acte obligatoire avant toute opération gynéco. « On ne profite pas du fait que la patiente soit endormie pour s'exercer à faire un TV ! s'énerve Antoine, 25 ans, étudiant à Lyon-Sud et ancien stagiaire au CHU Femme-Mère-Enfant de Lyon. Il doit être fait de toute façon, ça fait partie de la démarche thérapeutique, comme avant n'importe quelle opération autour de la sphère vaginale, justifie-t-il. Alors autant que ce soit nous qui le faisions. »
"En CHU, la patiente sait qu'un étudiant peut intervenir"
Autant que ce soit eux... même s'ils ne sont que des étudiants ? La patiente ne devrait-elle pas savoir qu'elle sert au passage de cobaye à l'étudiant, quand bien même ce serait pour la bonne cause ? Deuxième argument des étudiants révoltés : il n'y a pas besoin du consentement de la patiente, puisqu'elle vient dans un centre universitaire hospitalier (CHU). « Si la patiente vient dans un CHU, elle est forcément d'accord ! s'exclame Anaïs, ancienne stagiaire du CHU de la Croix-Rousse, un peu exaspérée. Elle sait que tout ce qui peut être fait par un médecin peut aussi être réalisé par un étudiant. C'est valable pour le toucher des testicules ou le toucher rectal, que l'on fait avant d'autres opérations. » Clément, 26 ans, ancien étudiant en médecine de l'université Lyon-Est, abonde dans ce sens. « Si on veut être tranquille, sans étudiant, ou avoir une chambre simple, il faut aller dans une clinique. Le CHU, ce n'est pas l'hôtel ! » lâche-t-il.
Sous prétexte qu'elle a choisi l'établissement, la patiente est renvoyée à ses responsabilités. Un argument un peu facile, vu le peu d'informations qui lui sont données. Si elle sait que des externes sont présents, n'aurait-elle toutefois pas son mot à dire au sujet d'une possible intervention ? Qui plus est durant son sommeil ? Selon Santé info droits, « dès lors que vous confiez votre santé à un établissement, vous faites confiance à l'intégralité de l'équipe. En revanche, le médecin a un devoir de supervision. Et toute erreur médicale commise serait susceptible d'engager la responsabilité de l'établissement ». Cette confiance sous-entend donc que la patiente accepte que n'importe quel membre de l'équipe la touche.
De son côté, la direction des usagers de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (APHP) précise qu'en la matière « les textes sont clairs, il faut respecter la volonté du patient et le recueil de son consentement ». Renvoyant vers l'article L1111-4 du Code de la santé publique qui stipule que « l'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés ». Marion, 25 ans, en cinquième année de médecine, n'en a pourtant jamais été informée. Au contraire, elle se souvient avoir entendu plusieurs médecins et internes dire qu'« en CHU, le patient ne peut pas dire non », sans savoir s'« il y avait vraiment une règle fixe ». Le flou juridique règne, laissant les règles devenir des cas particuliers au gré des CHU et des médecins.
Une information qu'on se garde toutefois de donner
Si les CHU assurent être transparents sur la présence des étudiants lors des interventions, l'opacité règne au moment d'informer la patiente sur le déroulement de l'opération. Au CHU de Bourg-en-Bresse où Clément était en stage, seule la brochure de pré-hospitalisation précise qu' « un examen médical supplémentaire sera pratiqué par un étudiant en médecine ». Mais lors de la consultation chez le gynéco et au moment d'endormir la patiente le jour de l'hospitalisation, rien. Pourquoi ce silence ? « Je pense que si le médecin n'a rien dit, c'est tout simplement parce qu'il n'y a pas pensé », plaide Clément, un peu naïvement.
- Citation :
- La patiente est plus considérée comme un corps que comme une personne
Pourtant, le gynéco qui encadrait son stage avait pris soin de le prévenir qu'il ferait un TV au bloc opératoire bien avant. « On profitera de l'opération pour que tu fasses un toucher vaginal. Il n'y a rien de mieux pour s'entraîner, tu seras à l'aise », lui avait-il lâché. Ce fut la seule fois où Clément est intervenu au cours des quarante opérations auxquelles il a assisté. Une fois a suffi pour « avoir le doigté ». « J'en avais fait un auparavant sur une patiente éveillée. Quand ton chef t'explique où il faut mettre les doigts et comment les tourner, c'est très gênant. Au bloc, c'est plus facile et pratique d'expliquer crûment le procédé. C'est un acte médical, sans arrière-pensées, on ne cherche pas à nuire. La patiente est plus considérée comme un corps que comme une personne », glisse-t-il maladroitement.
Un corps disponible... Face à certaines réactions qui qualifient l'acte de viol, Clément reste sceptique. « Quitte à parler d'éthique, je trouve ça bien plus dégueulasse d'apprendre à arnaquer les gens dans des cours de pub ou de commerce que d'apprendre à faire un examen gynéco pour les soigner. »
http://madame.lefigaro.fr/societe/polemique-autour-de-touchers-vaginaux-sur-patientes-endormies-et-non-consententes-050215