"Mourir sous sédation profonde peut prendre trois semaines !"
Renaud Février
Par Renaud Février
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Publié le 12-03-2015 à 16h25
Pour Jean-Luc Romero, président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, la loi sur la fin de vie adoptée par les députés ne va pas assez loin. Interview.
Des médecins rendent visite à un patient qui va être euthanasié dans un hôpital de Bruxelles. Photo d'illustration. (Yves Logghe/AP/SIPA) Des médecins rendent visite à un patient qui va être euthanasié dans un hôpital de Bruxelles. Photo d'illustration. (Yves Logghe/AP/SIPA)
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Les députés ont approuvé mercredi 11 mars la création d'un droit à la "sédation profonde et continue", mesure au cœur de la nouvelle proposition de loi sur la fin de vie portée par les députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS).
Cette possibilité de "dormir avant de mourir pour ne pas souffrir", selon les termes de Jean Leonetti, sera réservée à des malades atteints "d'une affection grave et incurable.
Pour une partie de ses détracteurs, la mesure ouvre le droit à l'euthanasie. Mais pour Jean-Luc Romero, président depuis sept ans de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), elle ne va, au contraire, pas assez loin puisqu'elle ne légalise pas "l'euthanasie active", comme le proposait un amendement déposé par le socialiste Jean-Louis Touraine.
Joint par "L'Obs", Jean-Luc Romero présente même ce texte comme "un recul". Explications.
Vous avez exprimé votre déception après le rejet de l'amendement Touraine. Pourtant, la mesure adoptée par l'Assemblée, la sédation profonde et continue, est dénoncée par certains comme une forme d'euthanasie. Quelle est la différence ?
- Le résultat du vote de l'amendement Touraine signifie quelque chose : une majorité de députés socialistes ont voté pour l'amendement, contre l'avis du gouvernement. Il a été rejeté uniquement parce que l'UMP a voté contre.
Concernant la sédation profonde, c'est bien sûr une forme d'euthanasie, les opposants ont raison de le dire. Elle va permettre à des personnes de mourir plus tôt. Sans alimentation et sans hydratation. Cela peut être très bien pour certains mais aussi très violent pour d'autres. "Plus tôt", ça peut durer trois semaines !
Souvenez-vous que Vincent Lambert a survécu 31 jours à une procédure d'arrêts de soins. Et aucune étude ne prouve que les gens ne souffrent pas… Les personnes qui souhaitent partir n'ont pas envie de passer par la sédation. Ils veulent mourir.
Nous allons donc continuer plus que jamais à militer pour un droit à l'euthanasie active, avec laquelle les choses iraient plus vite.
Au-delà, je m'estime trahi. Car pendant la campagne présidentielle, les membres de l'équipe de de François Hollande nous assuraient que l'engagement 21 du candidat socialiste, c'était l'euthanasie, même si le mot n'était pas utilisé…
[Engagement 21 du candidat François Hollande : Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité, NDLR]
Est-ce selon vous une manière pour l'exécutif de ne pas relancer un sujet sensible, après le mariage pour tous ?
- Oui, probablement. Mais le résultat c'est que personne n'est content. Le jour du vote de la loi, nous manifestions, tout comme les "anti-euthanasie".
Et pour la gauche, c'est une erreur fondamentale de ne pas légaliser l'euthanasie. La fin de vie est une question qui touche tout le monde. Un vrai enjeu de société.
J'en suis à mon septième tour de France pour l'association. Et les salles sont combles. Je n'ai jamais vu une mobilisation comme ça sur un sujet de société, même pour le mariage pour tous. Ça ne s'arrête jamais.
Mais on continue avec la même loi, la loi Leonetti, en l'amendant, sans jamais en faire le bilan, notamment concernant les soins palliatifs et l'acharnement thérapeutique. Les directives anticipées représentent aussi un échec flagrant de la loi : en France, seuls 2,5% des mourants en ont pris. En Allemagne, c'est le cas de 14 % de la population.
Et on voit bien que le sujet n'est pas clos : certains partent à l'étranger pour mourir dignement et d'autres sont poursuivis pour avoir assisté leurs proches ou leurs patients à mourir, en France.
Vous évoquez les directives anticipées, via lesquelles chacun peut stipuler son refus d'un acharnement thérapeutique ou d'être réanimé. Avec la nouvelle loi, elles deviendraient contraignantes pour les médecins. Etes-vous satisfait de cette mesure ?
- Je suis sidéré de voir tout le monde s'extasier devant ce texte, notamment sur les directives anticipées. Car elles seraient contraignantes, certes, mais il y aurait des exceptions.
La première, "en cas d'urgence vitale" : les médecins pourraient ne pas avoir le temps de consulter les directives anticipées. Et je suis inquiet pour les médecins, car les familles ou même les malades réanimés contre leur gré pourraient vouloir porter plainte.
Deuxième exception : si les directives anticipées sont jugées "manifestement inappropriées" par le médecin. "Manifestement inappropriées", ça peut être tout et n'importe quoi. Cette notion n'existe pas dans le droit ! Si cette mesure est votée, le texte explosera plus tard. De notre côté, nous déposeront une Question prioritaire de constitutionnalité. Et on poursuivra les médecins à chaque fois qu'ils utiliseront cette exception pour ne pas suivre les directives anticipées. Avec cette loi, on va assister à une multiplication des affaires juridiques…
En plus, les directives anticipées devront être rédigé sur un document officiel. Au niveau de notre association, nous avons un fichier regroupant 40.000 directives, qu'en fait-on ? Et toutes les personnes qui ont des directives anticipées écrites sur papier libre ?
Ce texte, c'est un recul pour les patients. Ça commence à être dramatique.