Société
Mardi 04 Novembre 2014 à 19:00 (mis à jour le 04/11/2014 à 20:08)
Damien Le Guay : "L’arbre de l’euthanasie et la forêt du mal mourir"
Par
Damien Le Guay Valeurs d'avenir. Philosophe, Damien Le Guay est président du Comité national d’éthique du funéraire, membre du comité scientifique de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs). Il vient de publier “le Fin Mot de la vie, contre le mal mourir en France”, aux éditions du Cerf.
L’euthanasie est au centre des débats sur la fin de vie. Va-t-on finir par accorder cette “liberté suprême” ou l’endiguement va-t-il se poursuivre ? Cette question échauffe les esprits, focalise l’attention. On finirait par croire qu’elle est essentielle. Or, il n’en est rien. L’euthanasie est une mauvaise réponse à une question qui ne se pose pas. Et si nos politiques voulaient (enfin !) agir, ils ne laisseraient pas perdurer de si nombreuses fins de vie aussi indignes.
Le rapport du professeur Sicard, en 2012, a dressé un constat accablant de la mort à l’hôpital. Il donnait des solutions. À budget constant, il demandait de réformer le système de santé, de mettre l’accent sur les soins palliatifs, tout en faisant des économies sur l’acharnement thérapeutique — trop souvent pratiqué et qui coûte très cher. Il demandait que se développe un accompagnement à domicile, plus confortable, moins cher et massivement désiré par les Français. À cela s’ajoutait une injonction à mieux former les médecins pour mieux soulager la souffrance. Il faut savoir que seulement 20 % des gens qui pourraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès. Et que 150 000 personnes, chaque année, meurent dans de mauvaises conditions de confort et d’accompagnement, alors que l’euthanasie ne concernerait que 5 000 à 7 000 cas. Ajoutons à cela que sur le million des personnes âgées qui sont en Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), 75 % d’entre elles le sont par nécessité plutôt que choix.
Et que s’est-il passé depuis deux ans ? Rien. Mme Touraine n’a pas plus pris à bras-le-corps ces questions que Mme Bachelot avant elle. Les réformes de structures tant attendues se font toujours attendre. Et le rapport du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) du 23 octobre juge sévèrement cette inaction ministérielle qui maintient la pire de toutes les inégalités — celle des Français devant la mort. Si toutes ces recommandations avaient été suivies d’effet, dit-il, l’actuel débat
« serait d’une tout autre nature ».
Car tout est lié. Les Français redoutent de mourir à l’hôpital, ils craignent l’indignité constatée et sont certains qu’ils n’auront alors plus leur mot à dire. Ils souhaitent plus de confort, plus d’écoute, plus de soins palliatifs. Et comme tout se fait attendre toujours et encore, ils disent vouloir l’euthanasie — de guerre lasse, sans enthousiasme, résignés qu’ils sont. Plutôt que d’entendre les doléances, on ne retient que la mauvaise solution. À croire que certains font tout pour elle — fût-ce au prix de centaines de milliers de morts indignes.
Si, après tout, l’euthanasie était “la” solution, les grincheux s’y résoudraient. Mais elle ne réglerait rien. La solution serait pire que les souffrances constatées. Les ministres devraient agir et non parler, réformer et non palabrer. Si 80 % des médecins n’ont pas reçu de formation pour la prise en charge de la douleur, à qui la faute ? Au ministère de la Santé. Si la France n’a pas mis en place un accompagnement à domicile, à qui la faute ? Aux décideurs. Si tous déplorent un “isolement en masse” dans les Ehpad, à qui la faute ? Aux politiques. Si le rapport Sicard regrette que
« l’encouragement répété en faveur des soins palliatifs [ne fût]
qu’incantatoire », à qui la faute ? Aux ministres, depuis des années.
Va-t-on encore une fois voir les partisans de l’euthanasie envahir les plateaux de télévision, tempêter contre le “complot des médecins et des cardinaux” ; ou Marisol Touraine, Manuel Valls et François Hollande vont-ils (enfin !), sans tergiversation ni double discours, lire jusqu’au bout le rapport Sicard (et le dernier du CCNE), prendre la mesure de la situation, se mettre à l’écoute des professionnels de l’accompagnement et des bénévoles en soins palliatifs et agir en profondeur ? Encore faut-il le vouloir. Le vouloir vraiment.