Le Quotidien du Médecin
« Le Moment et la manière », un film plaidoyer pour l’aide à mourir, en salle aujourd’hui
22/10/2014
Crédit photo : DR
Récit d’outre-tombe. Anne (Matalon) est morte. Elle vivait avec un cancer des ovaires depuis 14 ans. Lorsque la caméra d’Anne Kunvari, amie de longue date, la filme au printemps, les attaques de la maladie n’ont pas entamé son humour, ni sa féminité soulignée d’un trait de maquillage. Elle se rend chez sa première oncologue, devenue une amie. Le Dr Elisabeth Angellier juge son état de santé « correct ».
Le suicide assisté comme horizon
Le suicide assisté en Suisse, Anne y songe. « J’y pense, mais je ne fais rien. Maintenant que je vais mieux, je devrais aller les voir », confie-t-elle. Aller voir à Zurich, pour tout organiser, et être sûre qu’elle pourra s’y rendre en toute tranquillité, si un jour, elle ne supporte plus son état.Aller à Zurich, parce qu’en France, elle ne trouve pas de réponse qui la satisfasse. « Si on avait l’euthanasie, ce serait différent... », dit-elle.
D’une idée caressée au début, le suicide assisté, Zurich, devient peu à peu une obsession, puis un but. Car la maladie, en trois mois, se fait de plus en plus présente et pressante. Une occlusion, la nuit, et c’est l’hôpital. Fausse alerte. Très vite, les douleurs renaissent, il faut de nouveau revenir aux urgences. « Je me pose des questions. Je veux anticiper, je n’ai pas envie de passer 15 jours de fin de vie ici, même si c’est très bien », explique Anne, dans son lit d’hôpital.
Pina Bauch, son héroïne, semble avoir choisi sa fin. Elle a dansé jusqu’au bout, puis est partie se reposer. Une semaine après, elle était morte. « Pourquoi aurait-elle dû se soigner ? Si c’était son choix de travailler jusqu’au bout... », médite Anne.
Lorsque la sonde nasogastrique irrite, que le ventre hurle, l’horizon du suicide assisté est réconfortant. « Ce qui me rassure, c’est de pouvoir décider de comment je vais arrêter de vivre. Choisir le moment et la manière. Je ne veux pas d’une mort dans ce service qui dure un mois. Cette idée m’apaise et me rend calme. Sinon, j’ai peur d’être piégée, de subir la mort », ressasse-t-elle.
L’été arrive. Anne aurait dû partir à Zurich, avec la réalisatrice, sa personne de confiance. Mais elle s’enfonce dans la maladie. Elle change d’établissement de santé. Et là, se sent réellement piégée. Son destin tient à l’avis du médecin, qu’elle connaît à peine. Une hospitalisation chez sa première oncologue ouvrirait une porte de secours. Mais le médecin est à l’étranger. Revenir à Saint-Antoine, où elle est bien connue, pour une sédation terminale ? Il n’y a pas de lit. Elle perdra connaissance et décédera dans cette maison étrangère.
Relation médecin/patient
« Que ta mort au moins nous soit utile », commente la réalisatrice Anne Kunvari, dont on sent la révolte née de l’impuissance à aider son amie. « Le moment et la manière » est un plaidoyer pour le droit de choisir sa mort. Il ne cache pas ses ambitions. Anne Matalon est elle-même membre de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.
Mais il dépasse le militantisme et aborde d’autres thèmes. Avant que la vie ne déjoue leur plan, les deux Anne souhaitaient faire un film sur la chronicité du cancer. Comment ne jamais douter du sens de la vie lorsque le corps lâche et n’est plus que douleur ? Pourquoi tenir, toutes ces années durant ?
« Les médecins disent que vivre depuis 14 ans avec un cancer de l’ovaire, c’est formidable. Mais non, ce n’est pas formidable. Je ne suis pas contente », dit Anne, entourée d’autres femmes malades.
Dans cette parole s’exprime aussi toute la difficulté de la relation patient/médecin – qui n’est peut-être pas sans lien avec le choix du suicide assisté. « Anne avait besoin d’une intermédiaire et d’une complice face au monde médical, car elle avait souvent l’impression de manquer d’informations et de ne pas être entendue », rapporte Anne Kunvari.