La maladie de Charcot a rendu Damien tétraplégique en six ans
Par Hermance Murgue (à Chambéry), publié le 20/08/2014 à 17:30, mis à jour à 22:49
Le "Ice Bucket Challenge", ce défi américain, l'a médiatisée ces derniers jours: la maladie de Charcot ou SLA est une pathologie incurable qui entraîne une paralysie progressive du corps. Elle touche 8000 Français, dont Damien. L'Express l'a rencontré.
La maladie de Charcot a rendu Damien tétraplégique en six ans
En France, la maladie de Charcot touche près de 8000 personnes.
Annie Joly
"J'avais autant de chances de gagner au loto que d'attraper cette maladie". Damien est allongé dans sa chambre d'hôpital pastel dont le silence est troublé par le soufflet de son assistance respiratoire. Le quadragénaire semble bien frêle dans son tee-shirt rouge, au milieu d'imposantes machines qui témoignent des nombreuses opérations qu'il a subies. "Intubation, gastrostomie, fibroscopie..., énumère-t-il. J'ai même eu droit à des injections de botox pour m'empêcher de saliver abondemment".
Damien est tétraplégique. Il vit au service des soins palliatifs de l'hôpital de Chambéry (Savoie). Cet ancien ingénieur, titulaire d'un doctorat en physique, fait partie des 8000 personnes atteintes de la maladie de Charcot en France. Appelée aussi sclérose latérale amyotrophique (SLA), cette maladie se traduit par une paralysie progressive du corps, affectant neurones et fonctions respiratoires. Les causes restent inconnues. La maladie est sortie de la confidentialité quand l'ex-tennisman Jérôme Golmard a annoncé qu'il en souffrait. Elle a suscité l'intérêt aux Etats-Unis quand une association de lutte contre la SLA a lancé le "Ice Bucket Challenge", dont raffolent les stars. L'opération a permis de récolter 15 millions de dollars en quinze jours.
C'est en emmenant sa fille à l'école, un jour de septembre 2008, que Damien éprouve brutalement les premiers symptômes: il se met à boiter. "Mes proches n'y croyaient pas, même les médecins. Un neurologue m'a dit que j'avais une chance sur 1000 pour que ce soit ça", se rappelle Damien. Colère, tristesse, il "passe par tous les états". Ce dernier vit d'abord avec une épée de Damoclès au dessus de la tête pendant deux ans. Puis tout s'accèlère. Ses muscles répondent de moins en moins, les opérations se succèdent, la charge devient bientôt trop lourde pour sa famille.
"J'étais collé au plafond, je me regardais mourir"
Un jour de janvier 2012, Damien fait même une expérience de mort imminente, une "décorporation", explique-t-il. "Je suis tombé dans le coma. Quand je me suis réveillé, j'étais collé au plafond et je me regardais mourir", se remémore-t-il. "A ce moment-là, j'étais bien, zen, en paix. C'était très douloureux de revenir, mais j'étais fier d'avoir gagné cette bataille." Il choisit alors la trachéotomie pour l'aider à respirer. Seuls 20% des malades optent pour cette solution, note Damien. Car cela signifie d'être dépendant à vie d'une machine. Les autres préfèrent mourir.
Damien Perrier maladie de charcot
Annie Joly
L'accueil de ces survivants pose problème. "C'est une vraie question de santé publique", juge le docteur Pierre Basset, chef du service des soins palliatifs de l'hôpital de Chambéry. "Les soins palliatifs ne sont pas adaptés." Damien y est installé depuis 18 mois alors qu'un patient ne reste pas plus de 12 jours habituellement.
Aujourd'hui, seuls son sourire et ses lèvres restent mobiles. Des yeux qu'il bouge à une vitesse phénoménale. C'est grâce à eux qu'il communique. Il y a la manière simple: un battement de cils pour dire "oui", deux pour dire "non". Mais aussi la manière sophistiquée. Damien se sert d'un ordinateur, équipé d'une caméra où un logiciel capte le mouvement de ses pupilles. Avec ses yeux, il indique des lettres sur un clavier virtuel, retranscrites ensuite sur un écran présenté à son interlocuteur. Les conversations sont fluides, naturelles et, dès les premières secondes, on oublie l'ordinateur. Quand Damien est seul, il passe de son compte Facebook à des sites d'actualité en un battement de cil.
"La maladie m'a pris ce qui m'était le plus cher"
Il a dû effectuer 200 000 mouvements de paupières pour écrire son livre avec son amie Annie Joly. Entre un sourire et un regard raconte sa vie et livre les pensées de l'ex-bénévole au service des soins palliatifs. Sur le site Internet dédié à l'ouvrage, les internautes saluent surtout la capacité de Damien à faire face à une maladie aussi terrible avec autant de panache.
Accrochée à sa perfusion, trône une photo de sa fille, Emma, 13 ans. Chaque mercredi et chaque dimanche, elle lui rend visite, accompagnée de sa mère. "La maladie m'a pris ce qui m'était le plus cher", écrit le patient quand il a dû quitter son domicile. Aujourd'hui, "le plus dur est de ne plus avoir aucune intimité. Même pour la toilette, je suis dépendant", constate-t-il.
Au fil du temps, l'ex-ingénieur a pris ses marques et s'accorde même quelques petits plaisirs. Comme siroter un bon vin à la paille car ses papilles gustatives fonctionnent toujours. Dans cette vie immobile, Damien continue de faire fonctionner son cerveau à plein régime. "Je ne veux pas mourir", écrit-il en conclusion de son livre. Pour preuve, il a d'ores et déjà remis ses directives anticipées en cas de dégradation de son état de santé: être réanimé par tous les moyens possibles.