Les médecins partagés sur le suicide assisté
Après la publication d’un « avis citoyen » proposant de légaliser l’assistance au suicide, les points de vue des médecins divergent sur le bien-fondé d’autoriser une telle pratique.
17/12/13 journal La Croix
(Patrick ALLARD/REA)
Dans une unité de soins palliatifs.
Pour les uns, il faut accompagner une demande croissante dans la société. Pour les autres, le suicide assisté est incompatible avec la mission médicale.
Avec cet article
Un « panel citoyen » propose de légaliser le suicide assisté
L’avis publié lundi 16 décembre par la « conférence citoyenne sur la fin de vie », qui propose de légaliser le suicide assisté, continue d’agiter les esprits. En particulier parmi les médecins, qui seraient concernés au premier chef si une telle pratique devait être autorisée en France. « Nous proposons bien un suicide médicalement assisté », a ainsi précisé hier l’un des 18 citoyens du panel constitué à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), en ajoutant : « Il n’est pas question qu’on laisse les personnes livrées à elles-mêmes avec trois pilules. »
En réalité, selon le système choisi, l’implication des médecins serait plus ou moins forte : il peut n’intervenir qu’en amont dans un cadre d’expertise (diagnostic de la maladie incurable, évaluation de la lucidité du patient, prescription du produit létal) ou assister à l’ensemble de l’acte.
Assistance au suicide
À ce stade du débat, l’avis citoyen n’étant que consultatif, les points de vue sont très partagés dans la profession. Pour le président de MG France, le principal syndicat de généralistes, la question du suicide assisté ne doit pas être tabou. « En tant que généralistes, nous sommes impliqués dans l’accompagnement de la fin de vie, souligne Claude Leicher. Certains de nos patients expriment le souhait d’être aidés à mourir, certains vont au bout en se suicidant, c’est une réalité. Si la société devait autoriser l’assistance au suicide, il faudrait l’accepter et en prendre notre part. »
C’est aussi l’avis du médecin et ancien ministre Bernard Kouchner : « Après tout, à qui appartient la vie ? (…) Finalement, il y a deux réponses : ou la vie appartient à Dieu, ou la vie appartient à soi-même et nous sommes libres de notre propre destin et de notre propre corps », a déclaré hier le cofondateur de Médecins sans frontières sur RFI, estimant que « choisir sa mort doit être possible ».
Sédation en phase terminale
Pour Claude Leicher, le médecin devrait en outre « assumer ses responsabilités » en étant présent tout au long de l’acte. « On ne peut pas poser l’ordonnance sur la table et fermer la porte, estime-t-il. Il y aurait un rôle de surveillance, comme pour la sédation en phase terminale car les patients ne métabolisent pas tous de la même manière. »
Le généraliste concède néanmoins qu’une telle évolution législative nécessiterait un travail de formation approfondi des médecins, « non seulement pour maîtriser les protocoles mais aussi pour mener une réflexion éthique personnelle sur les implications d’un tel geste ». Pour l’heure, le syndicat MG France n’a pas arrêté de position officielle sur le sujet.
Du côté du conseil de l’Ordre, on fait preuve d’une grande prudence. Dans un texte du 8 février, l’instance avait rappelé « les principes éthiques (…) des médecins depuis l’origine : ne pas donner délibérément la mort mais s’interdire toute obstination déraisonnable ». Dans cette veine, l’Ordre s’était opposé à l’idée d’une aide active à mourir.
Contrat de vie
Après la publication de l’avis citoyen, son président, Patrick Bouet, rappelle que « donner la mort n’est pas dans le contrat du médecin, qui doit demeurer un contrat de vie avec le patient ». C’est pourquoi l’expression « suicide médicalement assisté » lui paraît totalement inappropriée. « Il y a une antinomie dans les termes », dit-il. Si le suicide assisté devait être voté, le président de l’Ordre ne serait pas contre un rôle d’expertise en amont, notamment pour protéger les patients – quand leur lucidité est entravée par exemple –, mais pas plus. Au-delà, l’implication du médecin dans cette pratique serait, selon lui, incompatible avec les valeurs fondatrices de la profession.
C’est aussi le point de vue de Vincent Morel, le président de la Société française de soins palliatifs (Sfap). « Donner la mort ne fait pas partie du rôle du médecin. » Il relève le risque de confusion qu’il y aurait à ébranler « les deux repères fondamentaux sur lesquels repose la médecine, que sont l’interdit de tuer et celui de s’acharner. »
Ce spécialiste de la fin de vie remarque également que l’interdit a une vertu importante : celle d’obliger à inventer des solutions particulières pour le mieux-être de chaque patient. « Quand un malade exprime le souhait de mourir, les équipes se démènent pour répondre à sa souffrance. Vous n’imaginez pas l’énergie et l’imagination déployée, y compris le vendredi à 18 heures. Et on y arrive ! Qu’en serait-il si la “solution” du suicide assisté devait être légale ? On sous-estime l’impact d’une telle pratique sur la solidarité. »
MARINE LAMOUREUX