L’euthanasie, cette peur de la mort
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L'article
4 juillet 2013
7h00
Nicolas Boeuf
Que faire avec un malade condamné, quand la douleur se fait insupportable et que la mort est la seule échappatoire ? Lorsque l’extrême vieillesse, le handicap, réduisent le corps à une boule de souffrance, et l’esprit à peau de chagrin ? Le corps médical doit se positionner entre l’interdit de donner la mort et la prévention des affres de l’agonie.
Légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie. Un débat de société qui crispe, qui exacerbe les positions, car la vie et la mort nous touchent au plus profond de nous-mêmes. Engagement numéro 21 du candidat François Hollande, “l’assistance médicalisée pour terminer sa vie” revient sur le devant de la scène. Alors que le comité national d’éthique a rendu son rapport attendu le 1er juillet 2013, que Jean Leonetti, député-maire d’Antibes (06) est venu défendre sa fameuse loi éponyme sur la fin de vie à Saint-Apollinaire le 25 juin dernier, Dijon voit réapparaître le fantôme de Chantal Sébire.
Plombières-les-Dijon, 19 mars 2008. Chantal Sébire se suicide d’une dose massive de barbiturique. Depuis le mois de février de cette même année, le débat sur l’euthanasie fait rage dans la France tout entière. Une véritable tempête médiatique s’est emparée du cas l’ancienne enseignante au visage déformé par une tumeur rare et extrêmement douloureuse. Défigurée, privée de ses sens et tordue de douleur, Chantal Sébire interpelle le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, pour avoir le droit de “mourir dignement”. Le 17 mars 2008, le tribunal de grande instance de Dijon refuse sa demande. Elle met fin à ses souffrances deux jours plus tard.
Une distinction essentielle entre “laisser mourir” et “faire mourir”
Les passions, la pression médiatique ont à l’époque enflammé le débat. Le refus de Chantal Sébire de recourir à la morphine pour atténuer ses douleurs a souvent été oublié au profit de la dramatisation de l’histoire. Avec le changement de majorité, le débat est remis sur la table. Engagement numéro 21 de François Hollande pendant la course à l’Elysée : ”introduire la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité, dans des conditions précises et strictes”. Le monde médical ne semble pourtant pas prêt à sauter le pas vers la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie.
Le comité consultatif national d’éthique (CCNE), saisi en décembre 2012 par le président de la République a rendu un rapport prudent sur le sujet. Même s’il reconnait que la loi est améliorable, en tout cas mal appliquée, le comité souligne qu’elle ”opère une distinction essentielle et utile entre “laisser mourir” et “faire mourir”, même si cette distinction peut, dans certaines circonstances, apparaître floue”. Cette loi, c’est la loi Leonetti du 22 avril 2005.
“La loi est mal appliquée”
Son auteur, le député-maire d’Antibes, actuel vice-président de l’UMP, est venu la défendre, encore, et la développer, lors d’une réunion publique, le 25 juin 2013, à Saint-Apollinaire, sur l’invitation du député UMP de la deuxième circonscription, Rémi Delatte. Principal objectif de la loi : redire l’interdit de la pratique de l’euthanasie tout en protégeant les malades de l’acharnement thérapeutique. Elle affirme le droit du patient à arrêter ou diminuer ses soins. “Il faut trouver un équilibre entre le respect du choix du malade et la conscience de sa vulnérabilité”, détaille Jean Leonetti.
Deux schémas sont prévus dans le cas où un patient est condamné. S’il est conscient et qu’il veut arrêter ses soins, le médecin doit essayer de le convaincre tant qu’il y a un espoir, mais la volonté du malade prévaut au final. Dans le cas où il est inconscient, et s’il n’a pas laissé de consignes préalables, dont le comité d’éthique réclame la systématisation, la décision est prise en collégialité au sein de l’équipe médicale.
“La loi est mal connue et mal appliquée”, reconnait le ténor de l’UMP. Sensée donner un cadre à la prise de décision quant à l’arrêt des soins d’un patient, elle est souvent ignorée. Le processus d’arbitrage, plutôt qu’être collégial et transparent, reste encore concentré dans les mains du chirurgien, parfois obscur et trop soumis aux passions. Le comité d’éthique ne fait finalement que tirer le même constat. Il propose de généraliser les “directives anticipées”, les consignes laissées par un patient atteint d’une maladie grave, et rendre leur respect contraignant pour l’équipe médicale.
L’endormissement, une euthanasie “light” pour sauver la morale
“A quoi sert l’agonie ?”, s’interroge Jean Leonetti. “On est d’accord, la souffrance est inutile. Il faut la prévenir, même si cela doit entraîner l’accélération de la mort”. Pour le député-maire azuréen comme pour le comité d’éthique, il faut maintenir l’interdit pour les médecins de donner la mort, soit en fournissant des médicaments qui permettraient au patient de mettre fin à ses jours, soit en procédant de manière active, l’euthanasie. Alors que faire quand le malade demande la mort ?
Là encore, le comité d’éthique et Jean Leonetti tombent d’accord. “Quand en fin de vie, je souffre énormément, n’ai-je pas le droit de m’endormir, en attendant la mort ?”. La sédation profonde est aussi mise en avant dans le rapport rendu à François Hollande. Endormir le malade artificiellement, en supprimant les soins, voire l’alimentation et l’hydratation, en attendant la mort. “Le malade ne souffre plus, et l’on a plus la culpabilité d’avoir donner la mort, puisqu’elle est venue d’elle-même, naturellement, quand son heure était venue”. Une barrière bien fine entre les deux ? Certes, mais la moral est sauve, même de manière légèrement hypocrite.
Bientôt un projet de loi
Le gouvernement avait promis un projet de loi pour compléter la loi Leonetti pour le mois de juin 2013. Il prendra un peu plus de temps à arriver. Même si l’opinion publique penche largement en faveur d’une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, les résistances sont encore nombreuses. Pour beaucoup, la décision requiert de la distance, du temps et de la réflexion loin des emportements.
“Etre un homme, c’est savoir résister à la tentation de l’immortalité”, philosophe Jean Leonetti. “Savoir qu’il y a une fin, c’est peut-être la force de l’homme. Cela nous permet de passer quelque chose aux autres, car nous allons passer.” Avant de rappeler, finalement, la fameuse phrase de l’acteur et humoristique Francis Blanche : “La plus belle mort, c’est d’être tué à 80 ans d’un coup de revolver d’un mari jaloux”.
Nicolas Boeuf