En débat Entre angoisse et éthique la fin de vie divise le public
le 08/09/2013 à 05:00 Sailesh Gya
Jean-Luc Romero, à l’issue des débats. Photo Jean-Marc Loos
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- L’engagement n° 21 du candidat François Hollande – « terminer sa vie dans la dignité » en cas de phase terminale ou avancée d’une maladie incurable – a donné lieu à une table ronde organisée par le Parti socialiste du Bas-Rhin, hier, à Strasbourg.
Devenus récurrents, les débats sur l’accompagnement en fin de vie et sur l’euthanasie reflètent les évolutions sur ces questions depuis dix ans. Et aussi les angoisses de la société. La soixantaine de personnes venue assister à la table ronde organisée au cinéma l’Odyssée l’a encore constaté, hier matin à Strasbourg.
Élisabeth Ramel, secrétaire fédérale du PS chargée des questions de société, avait invité Jean-Luc Romero, médiatique président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Il publiera bientôt une lettre ouverte au président de la République pour une nouvelle loi légalisant l’euthanasie. À ses côtés, le député PS Armand Jung, qui a voté la loi Leonetti sur la fin de vie en 2005, le Dr Dominique Rohmer-Heitz, présidente de l’Association Jalmalv (Jusqu’à la mort accompagner la vie), et le responsable du service des soins palliatifs de l’Hôpital civil de Strasbourg, le docteur Laurent Clavel, ont partagé leurs expériences.
Romero : « Ma mort m’appartient »
Le respect de la volonté du malade est au cœur des controverses. Si le rapport Sicard en 2012 et le récent avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendu en juillet recommandent d’ « associer pleinement la personne et ses proches concernant sa fin de vie » , ils sont très réservés sur « un acte médical visant à accélérer son décès, et/ou le droit à une assistance au suicide ». Bref, il s’agit de ne pas franchir la frontière entre le « laisser mourir » , comme le prévoit la loi Leonetti, et le « faire mourir ».
Mais pour Jean-Luc Romero, le « paternalisme médical » , s’il s’est atténué, reste encore très présent, et n’évolue pas assez vite pour « mettre le patient au cœur de la décision ». « Nous sommes tous concernés, et nous en avons fait un débat médical, pourquoi les médecins s’occuperaient seuls de cette question ? Ma mort m’appartient » , a-t-il lancé.
Huées, applaudissements, remarques lancées à la cantonade, le public, âgé, saisit toutes les nuances des opinions présentées. Certains relatent ces moments douloureux où il faut faire un choix pour un proche. Sans compter les personnes en fin de vie, laissées dans une solitude lugubre, dont s’occupent parfois les bénévoles des associations Jalmalv ou Pierre Clément.
Génocide ou presque ?
D’autres sont hantés par la vision de leur propre fin de vie. « Je ne veux pas qu’on puisse disposer de moi », lance un homme dans le public. « Quand je serai un légume et qu’Alzheimer me rendra tout à fait confus, je veux savoir comment mes amis pourront faire en sorte d’abréger ma vie » , a souhaité un autre. Lié à la position de Jean-Luc Romero, ce témoignage reflète l’étendue des revendications sociétales, entre une aide active aux malades incurables qui le veulent et le droit à disposer de son corps. « Si on euthanasiait toutes les personnes atteintes de maladie neuro-dégénératives, on aboutirait à un génocide », a d’ailleurs répliqué Dominique Rohmer-Heitz.
Le responsable du service des soins palliatifs de l’Hôpital civil nuance la froide confrontation entre technique médicale et éthique. « Ce qui revient le plus souvent chez les patients est : je ne peux plus continuer à vivre parce que je souffre trop » , rappelle le docteur Laurent Clavel. Et de poursuivre : « Si on répond machinalement, sans recul, à une demande pour abréger la vie ou s’endormir définitivement, on risque de passer à côté d’une autre demande : celle de rester dans la vie, si jamais elle n’était pas dans un état de souffrance extrême ».
Encore peu de directives anticipées
Par ailleurs, il affirme que les directives anticipées, qui permettent au médecin de connaître les souhaits du patient dans le coma ou incapable de s’exprimer sur la possibilité de limiter ou d’arrêter les traitements alors en cours, sont encore rares. « On les lit ensemble, on les discute ensemble et dans le respect de ce qui a été énoncé, oui, on les prend en compte… »
« La mort n’est pas un acte individuel, je crois à la solidarité. Une décision individuelle personnelle due à la souffrance et à l’isolement serait d’abord un échec pour tous » , estime, pour sa part, Armand Jung, qui attend qu’ « un texte de loi qui fasse consensus » soit examiné à l’Assemblée nationale.