Jean-Luc Romero : "La vie appartient au seul citoyen"
Le Point.fr - Publié le 10/07/2013 à 14:11
Le président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité assure que la réforme verra le jour sous la présidence de François Hollande.
Jean-Luc Romero. Jean-Luc Romero. © Joël Saget / AFP 22 12 Par Sihem Souid
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Le Point.fr : Le CCNE (Comité consultatif national d'éthique) a rendu son rapport au président de la République intitulé "Comment penser solidairement la fin de vie". Son avis sur le droit de mourir dans la dignité, qui est un de vos chevaux de bataille, s'est révélé négatif. D'où viennent selon vous ces crispations, ces doutes ?
Jean-Luc Romero : Pour rappel, la proposition 21 de François Hollande en 2012 : "Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité." S'il y a des doutes et des crispations, ce n'est que chez une certaine élite issue du corps des grands mandarins, qui, bien loin des cabinets, préempte les officines, les institutions d'État. Les Français approuvent à 86 % [selon un sondage Ifop/Pèlerin Magazine paru en septembre 2012, NDLR] le recours à l'euthanasie. Chez les médecins, c'est 60 % d'approbation [selon un sondage Ipsos/Conseil national de l'Ordre des médecins paru en janvier 2013, NDLR]. Il serait temps d'écouter le peuple, et non plus des experts autoproclamés. Avec ces experts, Giscard n'aurait jamais légalisé l'interruption volontaire de grossesse, ni Mitterrand dépénalisé l'homosexualité. La fin de vie, comme l'avortement en son temps, est une question citoyenne. Nous sommes tous experts de notre propre vie et, comme l'IVG ou la procréation médicalement assistée, ce n'est absolument pas une question médicale. D'autant que les médecins, ceux qui refusent une loi de liberté et d'égalité, savent très bien comment faire pour s'échapper eux-mêmes d'une vie qui ne serait devenue que de la survie ou de la souffrance.
François Hollande est pour l'ouverture d'un débat sur la fin de vie, mais se garde de prononcer le terme euthanasie, assumez-vous ce terme ?
Chacun a sa propre histoire. Sa propre perception des mots. Pour ma part, j'utilise ce terme, comme d'autres : "droit de mourir dans la dignité", "assistance médicalisée à la mort", "aide active à mourir", "interruption volontaire de vie"... Comme je l'indiquais dans la réponse précédente, les sondages utilisent toujours ce mot d'euthanasie [étymologiquement, la mort douce, NDLR], et les Français comprennent très bien ce qu'il recouvre : le respect des volontés de la personne en fin de vie, la mort dans la dignité, la sérénité. En Belgique, la loi de 2002 est une loi de légalisation de l'euthanasie. Chez nous, je respecterai le choix du président de la République. Peu importe le nom, du moment que cette ultime liberté nous soit accordée. Mais qu'on légifère enfin : en quelques années nous avons déjà eu neuf rapports, plusieurs débats. Il est urgent d'avancer...
Le droit de mourir dans la dignité verra-t-il le jour sous le quinquennat de François Hollande ?
Cette réforme essentielle verra le jour, oui. Les Français l'attendent. Le président de la République est un homme de détermination. Il questionne, écoute puis agit, dans l'intérêt de ses concitoyens et dans la fidélité à ses engagements. Aucun argument d'ordre religieux ne doit intervenir dans notre réflexion, même si, bien sûr, les Églises participent au débat. L'Association pour le droit de mourir dans la dignité mobilise de toutes ses forces pour que cette promesse soit tenue.
Pour ceux qui ne seraient pas forcément convaincus par cette proposition et qui verraient dans la légalisation de l'euthanasie un "permis de tuer", quels seraient vos arguments pour les faire changer d'avis ?
Je leur dirais que c'est aujourd'hui qu'ils sont envoyés dans l'au-delà sans rien avoir demandé ! Dans une interview au Point remontant au 27 mars 2008, Jean Leonetti reconnaît qu'il a débranché des patients car il fallait libérer des lits ! Je leur dirais que la loi actuelle permet déjà de hâter la mort lorsque la mort est là. Mais elle le fait de manière hypocrite et inhumaine, par l'utilisation de puissants sédatifs et de morphiniques, qui mettent de longues heures, voire de longues semaines, à épuiser le corps et à l'éteindre. Dans les hôpitaux français, il est possible de faire mourir des personnes sédatées en les privant d'alimentation et d'hydratation. Lorsque la vie n'est plus que de la survie, dans un pays libre, un citoyen doit pouvoir avoir accès à des produits efficaces pour mettre rapidement un terme à une vie de souffrances. Un droit nouveau n'est pas une obligation. Seule une loi permet d'éviter les dérives, car elle encadre les pratiques et sanctionne les débordements. Les populations des pays qui ont légiféré - comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, des populations semblables à la nôtre - vivent aujourd'hui sereinement. L'inquiétude de la mort demeure, naturellement, mais la crainte de la souffrance, de la déchéance, de la mauvaise mort n'existe plus, puisqu'il est possible à tout moment de dire stop. Tranquillement, sereinement. Dans notre République, la vie n'appartient qu'au seul citoyen, personne n'a le droit de décider pour lui-même, surtout pas en fin de vie - mon corps m'appartient ! -, et la souffrance n'est pas rédemptrice.
Farouche défenseur du mariage pour tous, estimez-vous que les droits des homosexuels ont été respectés malgré tout, alors que la loi votée n'inclut pas la PMA ?
La France est le 14e pays à adopter l'ouverture du mariage aux conjoints de même sexe. Comme beaucoup d'homosexuels, je suis heureux que nos amours vaillent enfin les amours hétérosexuelles. Et le 27 septembre, comme bien des Français, ce sera à mon tour de me marier. Ado, dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais imaginé que ce soit possible un jour ! Pour la PMA, comme beaucoup d'activistes, j'ai été déçu. Mais le combat n'est pas fini, ni perdu. L'égalité ne se partage pas, et cette promesse doit être tenue.