Euthanasie: Damien ou la dernière volonté
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Delphine Saubaber, publié le 17/06/2013 à 17:14
Il veut mourir puisqu'il ne peut vivre. A 33 ans, ce malade atteint d'une mucoviscidose incurable ne pèse plus que 37 kilos. Il y a un an, il a écrit à François Hollande pour obtenir le droit de partir dans la dignité. Rencontre.
Damien et Nicolas Delmer, tout deux atteints de mucoviscidose depuis la naissance, chez eux dans les Pyrénées-Orientales.
L'Express/N. Gonzague
Au téléphone, il y a d'abord cette voix d'enfant, fluette, arrachée à un corps de 37 kilos. "Je n'en peux plus." Il y a ces mots, aigus, réfléchis, qui se précipitent et appellent la mort, comme une délivrance. Il y a cette lettre écrite à
François Hollande, qui implore une aide à
en finir dans la dignité. Et il y a cette pluie qui n'en finit plus de tomber derrière la baie vitrée, en cette fin du mois d'avril.
Damien Delmer a tant de choses, urgentes, à dire. A 33 ans, il sait ce qu'on ne sait pas, à son âge. La fulgurance de la vie. La morsure incessante de la douleur: "Je suis malade depuis que je suis né." Une
mucoviscidose, la même que celle de son frère jumeau, Nicolas. Une maladie en miroir, incurable, fusionnelle, qu'ils vivent tous les deux à l'autre bout de la France, au pied des Pyrénées, dans la ville d'Amélie-les-Bains.
Ce matin de mai, le soleil chauffe les murs roses du petit pavillon. C'est ici, au milieu d'un nouveau lotissement à l'écart du centre. Une rivière couleuvre dans la verdure. Un chat promène nonchalamment sa petite vie sur le perron. Originaires de la région parisienne, Damien et Nicolas sont venus chercher la douceur du climat, il y a deux ans.
La mucoviscidose ne supporte pas le froid, l'humidité, le tabac. Elle mange l'air des poumons en épaississant leur mucus, entraîne des infections respiratoires à répétition. L'âge moyen de décès est de 24 ans.
"Je ne vis plus qu'allongé"
Damien ouvre la baie vitrée. Ses grands yeux fatigués sourient. Il glisse sur le sol avec peine, s'excuse doucement, en se rasseyant. "J'ai un peu de mal, ce matin." Il est midi. Il s'est déjà recouché deux fois. Ce sera la même chose cet après-midi. "Je ne vis plus qu'allongé." Parcouru de sueurs froides, depuis quatre mois. Il tremble dans son lit, sur les angles de son corps trop maigre, cherche l'air, souffle "comme un petit chien", sans savoir pourquoi.
Sous une table du salon, des piles de médicaments. Pour lui et Nicolas. Parfois jusqu'à 30 par jour. Sans parler de la kinésithérapie, deux heures au quotidien, ces séances de toux forcée pour expulser le mucus qui les laissent chaque fois KO. De sa chambre tapissée de photos de fleurs, Damien regarde le ciel: "Chacun sait le degré de
souffrance qu'il peut endurer. Pour moi, il est dépassé depuis longtemps." Nicolas regarde Damien. Au fil des années, il a vu son frère jumeau arrêter les Beaux-Arts, le tai-chi, la peinture. Lui, Nicolas, va mieux. Il tient tête à la maladie, stabilisée, s'est mis à la flûte traversière, au milieu des traitements. Et au kick boxing, après avoir conquis la ceinture noire de karaté. Au club de boxe d'Amélie-les-Bains, il surmonte ses épuisements d'un sourire, et épate son professeur, qui parle d'un exemple. Quand il rentre, il voit les marques sur le visage de Damien, son double. Tous les jours, il pense à la mort, "dans [son] coin". Et il vit pour deux.
Il y a un an, Damien a écrit une supplique à François Hollande, à peine élu. Il lui a rappelé
son engagement n° 21: "Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une
maladie incurable", en état de "
souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes", une
"assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité". Le chef de cabinet a répondu poliment: la loi de 2005 constitue une "avancée certaine", mais "il est malheureusement des situations dramatiques auxquelles ce texte ne répond pas". Il autorise, seulement, le "laisser-mourir": l'arrêt des traitements, la sédation et la morphine, dont on sait qu'elle crée, à terme, une dépression respiratoire, même si le malade n'en est plus conscient.
Partir en paix, chez lui
Damien a "la terreur de mourir étouffé". "Quand les opposants à l'euthanasie comprendront-ils qu'un patient rongé de douleur, dans un stress intenable, veut juste avoir le choix de sa propre délivrance, d'une mort douce?" Décider. Etre apaisé. A-t-il pensé au
suicide? "Je ne veux pas et je ne suis pas capable de m'infliger une souffrance supplémentaire." Damien ne peut même plus pleurer. Les larmes l'épuisent.
D'autres choisissent
le suicide assisté en Suisse. Il n'est pas transportable. Et il ne veut pas aller mourir dans un autre pays, "comme un voleur". A défaut de guérir, Damien rêve juste d'un passage comme on pousserait, abandonné, la grille d'un jardin de lumière. Une paix massive, chez lui, avec ses chats, dans ses rêves et ses réminiscences d'enfant où lui parle sa maman, emportée par un AVC en 2007.
Le papa, retraité, vit dans le Pas-de-Calais. Il y a ses appels, ceux de la famille, toute cette chaleur autour, des amis, aussi, comme celui venu vivre avec eux, pour les soutenir. Et puis l'aide des anonymes, à travers
le site qu'ils ont créé. Ils vivent de l'allocation adulte handicapé, 950 euros par mois, et toutes leurs thérapies ne sont pas remboursées.
Damien et Nicolas. Deux frères indissociables, qui ont passé un pacte d'amour, d'entraide mutuelle, "si les choses se compliquaient". Depuis vendredi dernier, Damien est de nouveau à l'hôpital, en pneumologie, soigné pour une septicémie.
JUMEAUX
Atteints de la même maladie, Damien (à g.) et Nicolas ont passé un pacte d'entraide.