Un argument de Rachels sur l’euthanasie
8 juin 2013 9h53 · Normand Baillargeon
On doit à James Rachels un argument connu dans les milieux concernés par l’euthanasie (éthique, droit, médecine) et il m’a semblé intéressant de le rappeler en ces heures où le débat sur cette question fait rage au Québec.
Rachels part de cette distinction qu’on fait couramment, et que d’aucuns jugent cruciale, entre euthanasie active et euthanasie passive.
Il y a euthanasie active quand une personne — typiquement ce sera un ou une professionnelle de la santé, notamment un médecin : mais ce peut aussi être toute autre personne — pose délibérément un geste qui a pour conséquence la mort d’une autre personne, le patient.
Il y a euthanasie passive quand un patient meurt du fait qu’une personne, — typiquement, ici encore, ce sera un ou une professionnelle de la santé, notamment un médecin: mais ce peut aussi être toute autre personne — ne fait pas ce qui, si cela avait été fait, aurait maintenu en vie le patient. (Il peut s’agir de commencer un traitement ou de le poursuivre)
Cette distinction est souvent tenue pour très importante sur le plan moral : l’euthanasie active serait en effet moralement condamnable, même quand elle est pratiquée à la demande du patient, tandis que l’euthanasie passive serait moralement acceptable. Cette distinction entre euthanasie active et euthanasie passive est également une des sources de certaines législations sur l’euthanasie qui tiennent la première pour illégale, mais pas la seconde. C’est ainsi qu’on condamnerait, selon ces législations, un médecin qui, même par compassion, pose un geste qui tue son patient; mais on ne condamnerait pas un médecin qui ne pose pas un geste qui eut maintenu son patient en vie — ce qui a causé son décès.
C’est cette distinction que Rachels conteste avec son célèbre argument exposé dans un article de 1975. Le voici:
Smith touchera un important héritage si son cousin de six ans devait mourir. Un soir, Smith entre dans la salle de bains où son jeune cousin prend son bain, le noie et fait en sorte que la chose semble accidentelle.
Jones, lui aussi, touchera un important héritage si son cousin de six ans devait mourir. Un soir, il entre dans la salle de bains où ce jeune cousin prend son bain. Il a l’intention de le noyer. Mais en pénétrant dans la pièce il voit j’enfant faire une chute, se heurter la tête contre le bain et retomber le visage dans l’eau, évanoui. L’enfant se noie sous le regard de Jones, qui ne fait rien pour l’empêcher.
C’est la clarté et l’importance sur le plan éthique de la distinction entre les deux types d’euthanasie que Rachels conteste ici en soutenant qu’il est des cas où tuer n’est pas moralement plus condamnable que laisser mourir. Si c’est bien le cas, si l’euthanasie passive n’est pas moralement si éloignée de l’euthanasie active, ne devrait-on pas, si on permet l’une, permettre aussi l’autre? (Notons que Rachels ne dit pas que l’on devrait permettre l’une ou l’autre.)
Qu’en pensez-vous?
L’article discuté ici est: RACHELS, J.«Active and Passive Euthanasia», New England Journal of Medecine, 292, pp, 78-80, 1975. On peut le lire ici.