Face à la mort : Soins palliatifs et euthanasie
Alors que la population vieillit et que près de 75% des morts surviennent en institution (hôpital, hospice, maison de retraite), le débat sur les conditions de la fin de vie pour améliorer les droits du malade est plus vif que jamais. Longtemps il s’est cantonné dans un affrontement entre deux camps : les « monstrueux »partisans de l’euthanasie et les défenseurs des soins palliatifs. Où est la monstruosité, du coté de ceux qui souhaitent respecter la demande des malades ou du coté de ceux qui plaident pour la vie quel que soit le choix du patient ?
Histoire et définition du mot
L’euthanasie signifie à la fois une belle mort et la mort douce, et dans l’Antiquité elle signifie aussi le choix du suicide, jugé préférable à une mort plus pénible.
Au 17ème siècle, Francis Bacon [1] considère que la médecine doit à la fois soigner et adoucir la douleur, y compris au moment de la mort. Pour lui, l’euthanasie consiste en une maîtrise de la douleur. S’il ne s’agit pas de hâter la mort, il s’agit en quelque sorte de faire reculer la souffrance. Pendant la première moitié du 19ème siècle, ceux qu’on appela les utilitaristes, John Stuart Mill et Bentham soutiennent que la seule chose désirable comme fin est "le bonheur, c’est-à-dire le plaisir et l’absence de douleur". Et pour eux la vie devient inutile lorsque la douleur l’emporte sur le plaisir. Ils reprennent là une tradition très ancienne puisque au premier siècle dans la ville de Marseille, Valère Maxime rapporte qu’un citoyen qui souhaitait se débarrasser de la vie pouvait le faire en avalant un poison à base de ciguë à condition d’exposer devant le sénat de la ville les raisons pour lesquelles il se suicidait : "procédure courageuse tempérée de bonté ne permettant pas qu’on quitte la vie sans raison, tout en offrant à celui qui sait clairement pourquoi il désire en sortir un moyen rapide de réviser son destin." Souvenons-nous qu’il en est de même chez les utopiens de Thomas More au début du 16ème siècle. Là, c’est toute la société qui se cabre, qui exhorte le malade devenu une charge pour tous d’accepter la mort ; il doit se débarrasser lui-même de la vie ou inviter les autres à l’en délivrer. Cependant le malade doit le demander lui-même et l’accord doit être donné par les prêtres et les magistrats.
Les ravages de l’euthanasie eugénique
Au 19ème siècle, Sir Francis Galton traite de la question en proche de Darwin. Pour combattre les facteurs de dégénérescence, il fait appel à l’eugénisme dont le développement marquera incontestablement la réflexion sur l’euthanasie. On sait que Hitler reprendra ces thèses dans Mein Kampf dès 1924. A peine arrivé au pouvoir en 1933, il réunit un congrès eugéniste et crée un comité d’euthanasie. C’est de ces structures que sortira ce qu’on a appelé l’"aktion T4" dirigée depuis le 4 Tiergartenstrasse à Berlin. On sonde les directeurs d’hôpitaux et d’asile pour savoir si les malades sont susceptibles de travailler et quand ils ne le sont pas, ils doivent être 2envoyés dans des fondations charitables où ils sont exécutés. Il faut cependant noter que tout cela se fait dans le secret car Hitler et son parti ont peur de la réaction des croyants face à cette pratique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Hitler arrêtera l’opération T4 en août 1941 alors qu’elle avait déjà tué 100 000 handicapés et 75 000 personnes âgées.
En France, entre 1940 et 1944, 40 000 malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français et Max Lafont a montré dans L’extermination douce [2] comment les malades recevaient au mieux les rations prévues par le gouvernement de Vichy qui en fait n’assuraient pas leur survie. On les disait fous parce qu’on les considérait tous "inaptes à l’humanité et incurables". Bien sûr, le pouvoir de l’époque n’avait pas donné explicitement l’ordre de les liquider comme l’avait fait Hitler, mais un petit nombre de médecins seulement s’étaient mobilisés pour en sauver quelques-uns. Pour autant, la sur-mortalité n’avait pas inquiété l’immense majorité de ceux qui en étaient responsables [3]. Plus grave encore, le voile de l’oubli qui a été jeté sur cette terrible hécatombe.
Robert Misrahi [4] a pleinement raison de préciser que les décisions autoritaires issues d’un pouvoir totalitaire sont exclues de la question de l’euthanasie puisque « de telles décisions criminelles furent basées sur la négation des sujets et de leur liberté et prises par conséquent sans eux et contre eux » [5].
Emergence de l’euthanasie compassionnelle
L’euthanasie compassionnelle a pourtant elle aussi une histoire. Sans revenir encore à l’Antiquité, soulignons que Pasteur par exemple se résolut à mettre fin à la souffrance de 6 paysans russes venus le consulter à Paris parce qu’ils étaient atteints de la rage. Il faut noter que cette décision resta longtemps secrète, qu’elle fut collégiale, ce qui créa le précédent d’une initiative médicale collective et secrète dont les traces demeurent encore dans la pratique du corps médical contemporain. Mais bientôt, au début des années 80, un peu partout dans le monde, des associations se créent pour exiger le droit à mourir dans la dignité. Nous allons revenir sur les conditions dans lesquelles les associations de soins palliatifs se sont multipliées dans notre pays quelques mois après la naissance de l’ADMD. Mais en France, ce qui a fait date c’est un manifeste du 1er juillet 1974 en faveur du droit à l’euthanasie signé par des universitaires, des médecins, des pasteurs, dont Jacques Monod et d’autres prix Nobel, qui déclaraient : « Nous nous déclarons pour des raisons éthiques en faveur de l’euthanasie. Nous croyons que la conscience morale réfléchie est assez développée dans nos sociétés pour permettre d’élaborer une règle de conduite humanitaire en ce qui concerne la mort et les mourants : nous déplorons la morale insensible et les restrictions légales qui font obstacle à l’examen du cas éthique que constitue l’euthanasie ».
La concomitance entre les associations de soins palliatifs et l’ADMD
Au début des années 80, l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) est née. Six mois plus tard, le premier service de soins palliatifs était mis sur pieds, animé en majorité par des militants chrétiens bénévoles. Bien qu’inavouée, une compétition existe donc, depuis l’origine, entre l’ADMD et les soins palliatifs. Ce rappel est indispensable pour comprendre dans quel contexte conflictuel se pose aujourd’hui la question de la fin de vie.
La problématique des soins palliatifs exprime le fait qu’une thérapeutique d’accompagnement essentiellement structurée autour du traitement de la douleur a remplacé une médecine d’éradication du mal.
La formation et le soutien des soignants et des bénévoles font partie de la démarche. Les valeurs portées par le mouvement des soins palliatifs remontent à une origine pionnière anglo-saxonne dû au Saint Christopher’s Hospice autour de Cicely Saunders. Le docteur Maurice Abiven (1924-2007) interniste bien connu, fut l’un des pionniers de cette pratique des soins palliatifs en France et Charles Henri Rapin, médecin gériatre suisse, l’est dans le monde francophone de la gériatrie.
Les partisans des soins palliatifs sont presque toujours opposés à l’euthanasie définie comme l’administration de substances à dose mortelle dans le but de provoquer la mort dans un objectif compassionnel. Un des points importants défendus par le mouvement des soins palliatifs est la place à reconnaître dans notre société à celui qui meurt. Pour le mouvement des soins palliatifs, il est important de se rappeler que la mort est un phénomène naturel de la vie, que les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave. Il s’agit donc de prendre en compte la souffrance globale du patient, qu’elle soit physique sociale, psychologique ou spirituelle. Pour autant, la philosophie de ce mouvement interdit de vouloir hâter la survenue de la mort, y compris quand celle-ci est demandée par le patient.
L’idéologie catholique des soins palliatifs
Il y a en fait cohérence entre la conception médicale des fins de vie et la philosophie qui préside aux soins palliatifs. Dans notre pays, l’une comme l’autre sont idéologiquement modelées par le catholicisme. Il y a comme un non-dit religieux des sources morales de cette éthique médicale et laïque. Toute personne un peu familière de la littérature qui a trait à l’éthique médicale se convaincra aisément de l’importance de philosophes comme Paul Ricoeur et Emmanuel Levinas. C’est un judaïsme sous influence chrétienne qui baigne toute l’œuvre de Levinas. Et la foi chrétienne hante l’œuvre de Ricoeur. Dans La problématique du sujet aujourd’hui [6], Robert Misrahi souligne l’a priori religieux des pensées de Levinas et de Ricoeur qui certes suivant des voies différentes font "vaciller la valeur et la certitude du sujet devant la grandeur infinie de l’Etre caché". Cette philosophie de l’Autre "qui n’est pas essentiellement l’autre homme mais l’Altérité comme Etre et comme Infini n’est pas réellement une philosophie mais une détermination de la croyance." Pour les croyants comme pour les médecins, il est des philosophies plus hospitalières que d’autres.
Deux volontés contradictoires
Selon Martine Ruszniewski, psychanalyste, « l’homme possède d’insoupçonnables ressources, aux effets parfois singuliers mais aptes à faire cohabiter en lui deux attitudes apparemment contradictoires : alors qu’une part de lui-même demeure irrémédiablement immergée dans la réalité d’une mort inéluctable, l’autre persiste résolument à se tourner vers un désir de vie sans limite » [7]. Ce sont précisément « ces états de dédoublements alternés dans la conscience du sujet qui engendreront une scission ou clivage du moi » [8]. On comprend tout le positif de cette notion (le clivage du moi) qui exhorte les médecins à redoubler de vigilance face à ce malade qui le matin dit son souhait de mourir et le soir son désir de vivre. Nous voulons suggérer que l’impensé de l’euthanasie trouve à s’articuler sur ce savoir psychanalytique. Le patient privilégie, souvent à son insu, nous dit Martine Ruszniewski, l’une ou l’autre partie de son Moi clivé. La compréhension et l’interprétation de cette notion, on le pressent confusément, présupposent, de la part des soignants, une sensibilité et une disponibilité d’esprit peu fréquente.
On nous dira peut-être que tous les services de soins palliatifs ne sont pas porteurs d’une telle idéologie ou au moins ne la jouent pas comme telle. Mais de même que Robert Misrahi précise qu’il appartient à la puissance publique de légaliser la possibilité de l’euthanasie thérapeutique, c’est-à-dire la possibilité pour le médecin non pas de décider, mais d’accéder à la demande d’un malade qui deviendrait l’objet de souffrances extrêmes qu’il est seul habilité à dire tolérables ou intolérables, de même ne devrait-on pas enseigner à ceux qui officient aux soins palliatifs qu’il est essentiel de trouver les moyens d’accéder à la demande d’un malade qui ne peut plus tolérer sa souffrance, ou au moins de contribuer à ce que le problème soit médicalement affronté ? La prégnance du dolorisme chrétien dans notre culture explique le fait que la décision du sujet malade face à sa souffrance peine à trouver un écho favorable. Il est naturel qu’on alerte les soignants sur le fait que la dose de morphine qui contribue à freiner la douleur peut devenir anesthésiante, voire létale, mais pourquoi ne leur rappelle-t-on pas avec force que le patient reste quoiqu’il arrive un sujet libre qui a le droit de décider de son avenir ? Dans Penser la mort ?, Vladimir Jankélévitch nous enjoint de ne sacraliser ni la vie, ni l’euthanasie. Toute vie n’est pas forcément bonne à vivre. Au nom de quoi, imposerait-on à une personne en fin de vie de continuer un chemin qu’elle ne veut pas suivre ?
L’exception d’euthanasie
L’ADMD considère que le souhait d’un patient qui, en pleine santé, décide de demander qu’on lui permette d’achever son existence en cas de maladie grave et incurable est recevable. Le patient a évidemment le droit de changer d’avis, et toute demande d’euthanasie ne peut et ne doit être acceptée telle quelle. Elle doit être répétée, insistante et éventuellement confirmée par la famille .Dans ce cas et dans ce cas seulement, on peut se demander si l’exception d’euthanasie envisagée par le comité national consultatif d’éthique (CNCE) n’est pas un compromis acceptable. Le CNCE définit " l’exception d’euthanasie " de la façon suivante : " l’exception d’euthanasie " est motivée par le principe de l’engagement solidaire et du consentement. " Face à une situation de détresse, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable …/…, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être qualifiée d’engagement solidaire. ".
" L’exception d’euthanasie " ne conduit pas à une dépénalisation du geste. En revanche, elle permettrait aux juges de prendre en considération les mobiles. Il s’agit d’apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit mais des mobiles qui les ont animés : souci d’abréger des souffrances, respect d’une demande formulée par le patient, compassion face à l’inéluctable.
Cependant, l’exception d’euthanasie n’est pas recevable actuellement et nécessite par ailleurs outre des précisions complémentaires du CCNE une réforme de la législation pénale. A ce jour, l’euthanasie reste encore un geste clandestin et prohibé.
Pour autant, il ne s’agit pas forcément de légiférer sur l’euthanasie afin de ne pas ouvrir la porte à des pratiques anarchiques ou généralisées : mais de permettre à des équipes médicales responsables de répondre collectivement à la demande insistante d’un patient
Les demandes d’euthanasie et la réponse partielle de la loi Léonetti
Régulièrement cette question de l’euthanasie revient sur le devant de la scène à propos de la réponse apportée par certains médecins et certains membres du personnel soignant à la demande réitérée d’un patient qui souhaite en finir. . Pour autant, l’acte létal ne doit pas être forcément le fait d’un médecin ou d’un thérapeute, car, rappelons-le, le serment d’Hippocrate et la logique de la pratique médicale concernent l’entretien de la vie et excluent l’administration de la mort…
C’est dans ce contexte que fut donc votée la loi Léonetti. D’une part elle refuse l’obstination déraisonnable lorsque les soins apparaissent "inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie". Elle préconise la possibilité pour le médecin de "soulager la souffrance" en appliquant "un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie", à condition d’en informer le malade ou la personne de confiance. D’autre part elle donne le droit au malade conscient de refuser un traitement à condition que le médecin ait tout mis en œuvre pour "le convaincre d’accepter les soins indispensables" et ait fait appel à un autre membre du corps médical". Enfin, elle donne la possibilité pour le médecin, si le malade est inconscient, de limiter ou d’arrêter un traitement inutile" à condition de respecter les règles précises. Elle doit tenir compte des "directives anticipées" du malade si elles ont été rédigées moins de trois ans auparavant. Cette loi, qui fut votée à la quasi-unanimité des deux chambres fut incontestablement un progrès, mais reconnaissons qu’elle n’aurait pas permis à un Vincent Humbert d’obtenir le cocktail létal qu’il demandait. A moins qu’on élargisse la notion de souffrance bien au-delà de ce que Léonetti avait envisagé.
Une loi mal appliquée et des perspectives contradictoires
Fin 2008, Jean Léonetti, l’ex-président de la mission parlementaire pour l’accompagnement de la fin de vie écrivait dans Le Monde que sa loi réglait 95-99% des problèmes. Mais il affirmait que cette loi, bien que votée à l’unanimité, était mal connue et mal appliquée.
Avec trois députés issus de formations politiques différentes, il a conduit une nouvelle mission d’évaluation qui a donné naissance à 20 propositions destinées à améliorer la loi. La mission s’est rendue en Grande-Bretagne et dans les trois pays qui autorisent le suicide assisté et l’euthanasie : la Suisse, la Belgique et la Hollande. Critiquant de façon un peu rapide l’expérience du Benelux, mais surtout l’Association Dignitas qui en Suisse cautionne l’assistance au suicide usant d’hélium introduit dans un sac en plastique sur le tête du mourant, il a parlé de « barbarie civilisée » comme d’un risque pour nos sociétés évoluées. Du même coup, il reconnaissait qu’en France, malgré la loi de 2005, "on meurt mal, souvent dans l’abandon et la souffrance".
L’étude MAHO (pour mort à l’hôpital) a montré que 80% des malades qui mouraient avaient des symptômes d’étouffement et ne bénéficiaient pas d’analgésiques ou de sédation. Les trois quarts des malades meurent seuls, sans leur famille, accompagnés d’un soignant, alors que le décès était prévisible. Si la loi Léonetti permet de lutter contre l’acharnement thérapeutique (avec décision d’un collège médical), elle ne comble pas le fossé qui sépare le cadre légal du droit des patients, le respect de leur dignité, de ce qui se passe dans la réalité. La législation permet par exemple de désigner un tiers de confiance, mais pratiquement ce n’est qu’exceptionnellement le cas. Les décisions sont encore prises trop rapidement sans suivre forcément une procédure collégiale. Pourquoi la communication et l’information seraient bien pratiquées en fin de vie alors qu’elles ont trop souvent manqué à l’hôpital ? Les soignants ne sont pas formés à l’échange avec le « patient » (on ne parle jamais de « personnes malades ») et la loi est perçue par certains malades comme une possibilité d’augmenter encore le pouvoir et la protection des médecins au détriment de la volonté des patients.
La démarche palliative encore insuffisamment pratiquée n’est pas valorisée puisque ce qui importe d’abord c’est le curatif dont la tarification à l’activité a renforcé l’impact. Cela ne pousse par les soignants à se poser la question de savoir jusqu’où ils doivent poursuivre des soins, d’où, malgré la loi, un acharnement thérapeutique trop fréquent, un allongement de la durée des séjours à l’hôpital et une augmentation de la souffrance des malades. Le rapport de la cour des comptes de fin 2008 pointe les disparités géographiques dans l’accès aux soins palliatifs. Ceux-ci restent trop souvent l’affaire des experts, voire même d’un seul soignant référent. La demande est pourtant forte tant parmi les usagers que parmi les soignants qui voudraient disposer d’un plus grand nombre de lits en soins palliatifs. Mais les moyens manquent. L’épuisement, le "burn out" de certaines infirmières est souvent dû à la mauvaise gestion de la fin de vie dans les services. La collégialité est trop souvent exceptionnelle et les soignants discutent du sort d’un patient en fin de vie, trop tard, et n’abordent pas l’environnement du patient, le dialogue avec sa personne de confiance, mais aussi son histoire, ses souhaits.
Lors d’un sondage BVA de mars 2009 commandé par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), 86% des Français interrogés sont déclarés favorables à ce que l’euthanasie soit dans certains cas autorisée en France "lorsqu’une personne atteinte d’une maladie incurable en phase terminale la réclame". Chose nouvelle, les croyants, toutes religions confondues, se déclarent eux aussi majoritairement favorables à l’autorisation sélective. Nul ne peut nier l’évolution de l’opinion publique en matière d’euthanasie. En mars 2007, 2000 soignants avaient publié un appel en faveur de la dépénalisation de l’euthanasie : "Nous soignants, avons aidé des patients à mourir …" écrivaient-ils. Au moment où le docteur Laurence Tramois et l’infirmière Chantal Chanel comparaissaient devant les assises de la Dordogne, accusés d’empoisonnement pour avoir donné la mort à une patiente atteinte d’un cancer en phase terminale (elle demandait d’en finir), ces soignants affirmaient [9] que la loi Léonetti était insuffisante. Et ils demandaient l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires à l’encontre des soignants mis en accusation, une révision de la loi pour dépénaliser sous conditions les pratiques d’euthanasie en s’inspirant des réformes déjà réalisées en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, et des moyens adaptés permettant d’accompagner les patients en fin de vie quels que soient les lieux : domicile, hôpital, maison de retraite. Emmenés par le docteur Labayle [10], ils se revendiquaient de l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 : la dignité.
Dans son livre, Denis Labayle estime que la législation Léonetti ne constitue qu’une "étape modeste" qui ne résout pas les cas les plus douloureux. Cette "mauvaise loi n’empêchera pas d’autres affaires d’éclater", prédit-il. C’est au nom de l’affirmation de la liberté de choisir sa mort que Denis Labayle plaide dans son livre. Pour lui, les patients doivent pouvoir choisir la manière dont ils veulent mourir. Le débat est confisqué depuis bien longtemps par le corps médical qui estime que toute décision médicale relève des professionnels et seulement d’eux. On peut se demander si le simple respect de la loi Kouchner de 2002 qui stipule qu’aucun soin ne peut être donné sans l’accord du patient et que celui-ci peut indiquer par écrit son refus de réanimation en cas de coma ou de maladie terminale, règlerait un très grand nombre de situations douloureuses. Mais toute la culture des médecins hospitaliers ne les a pas préparés à respecter la volonté des patients.
Le plus important, lorsque quelqu’un demande à mourir, n’est-il pas de soulager ce qui le fait souffrir au point de vouloir en finir ? Les Britanniques, pourtant champions des soins palliatifs, le disent très bien. Quelqu’un qui ne souffre ni physiquement ni moralement ne demande pas à mourir. Si les médecins français, encore très rétifs et très mal formés à l’usage des antalgiques majeurs étaient plus soucieux de soulager vraiment leurs patients, ils les entendraient moins souvent demander à mourir.
Derrière ceux qui pensent que la loi Léonetti telle qu’elle est est largement suffisante, il y a donc l’idée que la Suisse ou le Benelux auraient eu tort de légiférer sur l’euthanasie qui se serait banalisée jusqu’à s’appliquer à des personnes atteintes d’Alzheimer ou à des vieux qui se disent seulement fatigués de vivre. On est bien obligé de constater que chez nous aussi on rencontre nombre de personnes qui, craignant l’approche d’un Alzheimer, supplient qu’on leur permette de mourir quand cette maladie atteindra des proportions trop importantes. Ceux-là demandent à écrire des directives anticipées et se questionnent pour savoir s’il faudra aller chez nos voisins pour qu’on accède à leur volonté compte tenu de ce qui reste interdit en France. Comment ne pas entendre ces personnes âgées qui chez nous, en France comme en Suisse ou au Benelux disent qu’ils ont assez vécu, que la maladie chronique qui les mine depuis des années et qui reste pourtant à peu près contrôlée médicalement, fait qu’ils sont devenus las de leur vie, qu’ils refusent qu’elle devienne pour eux et pour leurs proches plus lourde et lancinante encore. Les progrès de la technique médicale les font vivre plus longtemps mais la chronicisation s’accompagne souvent de souffrances morales sinon physiques. Les soins palliatifs ont fait eux aussi des progrès et on ne meurt plus assez vite au point que certains trouvent les fins de vie interminables voire insupportables, d’autant que la mort est annoncée sans qu’on sache quand elle interviendra.
Lorsque la loi Léonetti autorise qu’on arrête de nourrir et d’hydrater un malade, est-ce plus éthique que de lui remettre le cocktail létal qu’il demande ? N’est-il pas essentiel - transformation de la législation ou pas - qu’on soit prêt à se laisser interroger par la singularité et la diversité des situations concrètes qu’il faut avoir les moyens d’accompagner dans leur intimité et leur complexité ? Chantal Sébire, qui avait écrit en vain au président de la République en demandant qu’on l’aide à mourir, n’aurait accepté ni l’arrêt d’alimentation et d’hydratation, ni la sédation terminale, ni le contact référentielle avec un médecin de soins palliatifs que lui propose Monsieur Léonetti dans son nouveau texte.
Le docteur Bernard Senet, défenseur de l’euthanasie volontaire, était prêt à donner à Chantal Sébire les moyens de mettre fin à sa vie. Elle savait qu’elle risquait d’être emportée à court terme soit par une hémorragie soit par une hypertension intracrânienne. Elle avait perdu l’odorat, le goût, la vue et souffrait terriblement. Elle était intolérante à la morphine. Les autres médicaments qui lui avaient été prescrits pour calmer ses douleurs n’étaient pas assez efficaces et l’endormaient, ce qu’elle ne supportait pas. Elle a expliqué qu’elle était contente qu’un médecin accepte de l’aider. Pour autant elle ne voulait pas imposer à sa fille de 12 ans la mort violente de sa mère, ce qui aurait été le cas lors d’une hémorragie. Elle savait qu’elle risquait d’être emportée à court terme. Elle avait demandé à la justice qu’on lui permette d’en finir. Devant le refus qui lui fut opposé elle a choisi le suicide. Pour le docteur Senet, un médecin ne devrait pas laisser sans moyens son malade parvenu à cette extrémité. Au lieu de conserver le pouvoir en disant "non", il devrait être autorisé à répondre à la demande de son patient. Si certains évoquent la sacralité de la vie, on ne peut que leur dire que laisser quelqu’un mourir dans la souffrance n’est pas respectueux de la vie. L’euthanasie peut dans certaines circonstances être un geste de solidarité et de compassion Ce qui fait problème dans la loi Léonetti c’est que dans certains cas, très encadrés, on n’a pas proposé de moyens pour que le malade, convaincu qu’il n’y a pas d’autre solution, prenne son sort en main et décide d’en finir. On ne peut pas laisser un patient mourir de faim parce que c’est la seule solution envisagée par la loi. Tout le monde se souvient du jeune Hervé Pierra qui a fait en 2006 les frais de la stricte application de cette loi. Il a agonisé pendant six jours, agité de convulsions terribles, sous les yeux de ses parents. Lorsque certains médecins sont confrontés à un tel cas aujourd’hui, ils suppriment la nourriture et injectent un anesthésiant dont ils augmentent progressivement la dose jusqu’à ce que le malade s’en aille. On appelle cela "une sédation assistée en phase terminale". C’est une mort douce mais elle est illégale.
Nadine Morano, ex ministre de la famille avait proposé l’instauration d’une commission nationale d’euthanasie chargée d’examiner les cas exceptionnels graves pour donner ou non son accord. C’est sans doute vers quoi il faudrait aller, comme le proposait le Comité national consultatif d’éthique. Dans les grandes lignes, c’est la législation des Pays-Bas si décriée chez nous. Car la loi Léonetti ne répond pas à tous les cas de figure. Elle n’autorise que le "laisser mourir" et non le "faire mourir", ce qui conduit à voir surgir périodiquement de nouveaux drames qui susciteront de nouveau des controverses enflammées. Malgré le bon travail des équipes de soins palliatifs qui demande à être développé, soutenu et encouragé, il y aura toujours des cas où on pourra dire qu’on est confronté « à une demande de mort qui a un sens et à laquelle il est légitime d’accéder »Ne devrait on donc pas se ranger au point de vue du Conseil national consultatif d’éthique qui recommandait l’exception d’euthanasie ?
Antoine Spire
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