l’amour & la mort (penser solidairement la fin de vie) 11 février 2013
Par
marie cosnay Début
2013, on voyait de graves questions d’avenir proposées au débat public.
Le mariage tout d’abord, engagement symbolique devant tiers, de
personnes de même sexe. La loi sur le mariage, qu’on a appelé « pour
tous » faisait beaucoup parler d’elle. Sous-jacente et accompagnante,
lors du grand débat sur le mariage : la question de la PMA[1], de la GPA[2].Au
même moment, on réfléchit à comment, de façon solidaire, accompagner la
fin de vie. Les partisans de l’euthanasie demandent une loi. Le Pr
Sicard a rendu au président de la République au mois de décembre 2012,
le rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie, Penser
solidairement la fin de vie. Ne vivrait-on pas un temps où ce qui est en crise, ce sont des
définitions, les grandes définitions : la naissance, l’amour (& la
conjugalité), la mort ? Comment notre XXIème siècle, qui sait qu’il ne
fera pas l’impasse sur l’affaire de la biogénétique dans ses aspects
éthiques et sociaux, comme il ne fera pas l’impasse sur les questions
cruciales d’écologie, d’inégalités et de propriété intellectuelle,
comment notre XXIème siècle se positionnera-t-il (et il commence à le
faire) devant la naissance, l’amour et la mort ? Ces trois points, ces
trois moments qui font de l’homme ce qu’il est, ce qu’il est ou croit
être, ce par quoi il est raconté et défini ? Ce moment où des décisions sont à prendre (les lois à
voter), à propos de ce que nous nous représentons comme « nature
humaine », provoque une certaine panique. La panique, on l’a entendue à
propos du mariage pour tous et de la PMA, on peut la résumer ainsi :
quel récit faire aux enfants ? Comment leur faire entendre qu’ils sont
issus, malgré le lien de deux personnes du même sexe, de la différence
sexuelle ? Panique aussi quand on pense à la fin de vie, de plus
en plus difficile pensons-nous puisque nous vivons plus vieux, et plus
malades. On en parle ? On explique, on raconte ? C’est ainsi qu’est née l’idée de cet entretien avec Fabienne Deyris Carcedo.
*
Fabienne, tu es médecin généraliste, tu travailles depuis 10 ans
dans un service de cancérologie et depuis 3 ans à domicile, comme
médecin coordonnateur dans une structure d’hospitalisation à domicile.
Un jour tu m’as dit : à la fin de la vie, c’est encore la vie. Tu m’as
montré alors quelque chose qu’on va rarement voir. Tu as ouvert un peu
(discrètement, à ta façon) le rideau sur ton métier, sur ce chemin de la
fin. Tu m’as montré que la fin de la vie ce n’est pas seulement un
instant fatal et tragique. Que c’est une route, aussi, et qu’elle est
faite de moments. Comme tout le reste jusque-là. Que ces moments
comportent souffrances et petits bonheurs - et espérance peut-être ? -
comme nos moments de vie qui semblent, par le temps, fort éloignés de la
mort. La mort que je côtoie dans l’exercice de mon métier (que je
distingue de la mort brutale, par homicide ou accident) est un processus
naturel qui met fin à la vie d’un homme ou d’une femme par une maladie
grave, incurable. La fin de vie de chacun est aussi singulière qu’a pu
être la vie de chacun. Les vieux ou les malades atteints d’une maladie
grave incurable prennent conscience de leur propre finitude et sont à la
fois encore tellement en vie - avec toutes les ambivalences que cela
comporte.
Il n’y a pas de fin de vie idéale mais des fins de vie. Par exemple
si quelqu’un a choisi la solitude pendant sa vie, on doit respecter
cette solitude sur la fin de sa vie sans la qualifier d'isolement.
Familles éclatées et divorces font que de plus en plus de personnes sont
seules au domicile. A partir du moment où la personne est en capacité
de prendre cette décision de solitude, avec les risques que cela peut
comporter quand on devient fragile (chutes, etc), on va s’engager à le
suivre dans son choix. Bien sûr si ce choix se modifie nous organiserons
un transfert en structure qui pratique (si possible !) des soins
palliatifs.
Mais suivre le patient quand il choisit la solitude, c’est quelque
chose de difficile pour les soignants : ça veut dire qu’on va fermer la
porte de cet appartement en sachant qu’on prend le risque, et qu’on
l’assume, que le patient meure seul.
Je ne veux pas donner d’exemples précis de ce que j’appelle une fin
de vie singulière. Si je rentre dans l’anecdote, ce sera de
l’exceptionnel. Or la fin de la vie ce n’est pas de l’exceptionnel,
c’est tout le contraire.
La fin de vie, on la résume à l’aspect médical et soignant alors que
nos soins ne sont qu'un outil (nécessaire) pour que le patient se sente
dans le plus grand confort possible - pour qu’il puisse vivre, avec ses
proches et pour lui sa propre fin de vie.
Qu’est-ce qu’on fait, par exemple, à l’hôpital, de la sexualité, de
l’intimité des patients ? Dans les services les chambres sont équipées
de hublots. C’est compliqué pour un conjoint de rejoindre le lit de la
personne hospitalisée quand n’importe qui peut regarder par le hublot et
surgir.
Ça va être un problème de société, l’accompagnement des personnes en
fin de vie, on le sait. Le rapport sur la fin de vie du Pr Sicard
[3]dénonce l’insuffisance du congé qui consiste à accompagner un parent en
fin de vie : ce congé est de 3 mois, renouvelable 1 fois, il s’appelle
le congé de solidarité familiale. L’allocation ne couvre que vingt et un
jours sur 6 mois. On voit qu’il y a un problème, que c’est ridiculement
insuffisant.
Accompagner un mourant c’est d’abord accepter de se mettre au rythme
de la maladie, au rythme de sa réflexion avec ses allers-retours. Un
patient sait qu’il va mourir, il fait des projets quand même, ce n’est
pas du déni. Il faut pouvoir accompagner cela, ce que j’ai appelé les
ambivalences.
Je pense au mythe d’Actéon, chez Ovide. Il est là, Actéon, il
assiste bel et bien à sa mort – mais métamorphosé, il est sous image de
cerf, c’est-à-dire qu’on ne le reconnait pas, ses chiens le disent
absent, ils l’appellent. Il est plus présent que jamais puisqu’il
souffre (ses chiens qui ne le reconnaissent pas le dévorent) mais il est
dit absent. Qu’Actéon serait un mythe qui dit quelque chose de
la présence de la mort chez le mourant, de la présence du mourant à sa
mort. Dans ton métier, il semble qu’on aide quelqu’un à être présent à
sa mort ? Comment, et à quelle distance ? Non on ne part pas du principe que c’est important d’assister à sa
propre mort. La plupart du temps les gens meurent dans leur sommeil ou
dans un coma provoqué par la maladie elle-même. Pour quelqu’un qui
s’étouffe ce n’est peut-être pas intéressant d’assister à sa mort. Dans
un tel cas, on a la possibilité d’endormir le mourant, on dit qu’on le
sédate.
Face à une fin de vie, on évalue les symptômes, on fait le point sur
la pathologie et les risques encourus, on en discute avec le malade mais
on n’en discute pas brusquement : ça vient petit à petit. Les peurs du
mourir s’expriment puis on se met d’accord sur un processus. Qu’est-ce
qu’on peut craindre le plus ? Mourir en s’étouffant - comme noyé. Quand
un patient prononce cette peur-là, on a fait un grand pas. On est dans
la violence des mots, on peut chercher une issue. La possibilité, c’est
l’endormissement, grâce à un médicament de la famille des
benzodiazepines. C’est un geste très protocolisé, on injecte
progressivement le produit, très progressivement. Alors soit la crise,
la maladie, emporte le malade et il meurt sans s'en rendre compte "en
dormant", soit après la crise le malade se réveille se souvenant peu du
moment car le produit a un effet amnésiant.
C’est un geste encore trop tabou. Les défenseurs de l’euthanasie
disent que c’est un geste hypocrite. La réalité c’est : quelqu’un tient
une seringue, injecte la solution progressivement dans le corps d’un
malade pour qu’il s’endorme, recherche la dose nécessaire à ce seul
endormissement sans intention d’accélérer ou de donner la mort.
C’est un geste qui intervient lorsqu’en toute fin de vie, les
symptômes mettant en jeu le pronostic vital sont insupportables pour le
patient. Je dis bien : insupportables pour le patient, pas pour
l’entourage. Tellement sont fréquentes les différences de ressentis
entre patient et l'ntourage. C’est un geste qui est, doit être, consenti
au préalable par le patient. Pouvoir proposer cela à un patient qui
présente ce risque et le comprend très bien, c’est important pour
apaiser les craintes. C’est aussi lui signifier que dans ces moments-là,
s’ils surviennent, on ne l’abandonnera pas
De nombreux soignants ont peur de ce geste. On touche là au tabou de la mort infligée.
C’est sans doute important qu’on ait peur de ce geste, qu’il soit
un peu tabou ? En tout cas, que le soignant ait conscience de ce qu’il
pèse ? Y a-t-il des prescriptions de cette injection sans consentement
du patient ? Il y a des prescriptions sans consentement du patient. Il y a
en France une opposition entre la médecine curative et la médecine
palliative et la fin de vie est peu abordée avec les patients atteints
de maladie graves incurables. Il n’est pas étonnant, alors, que 80 ou
même 90 % de la population demande une loi sur l’euthanasie par peur du
souffrir et du mourir. Une loi sur l’euthanasie par peur d’une mort au
déroulement insupportable pour soi et pour l'entourage….
L’euthanasie, voilà qui nous évite de penser au soulagement des
souffrances. Le soulagement des souffrances, c’est pourtant notre
travail, nous nous devons de le faire avec beaucoup de
professionnalisme. Je veux dire par là que tous les moyens doivent être
mis en œuvre pour soulager les douleurs. La loi Léonetti du 22 avril
2005 nous y oblige : malheureusement la prise en charge de la douleur
est encore trop insuffisante, trop peu enseignée. Je déplore la
méconnaissance et la sous-utilisation des traitements à base de morphine
avec tous les tabous qui continuent à être véhiculés.
La morphine et ses tabous ? Oui, des questions comme : est-ce que je vais devenir toxicomane ?
Et par ailleurs : si on utilise de la morphine, c’est donc que c’est la
fin ?
Alors on attend trop longtemps à l’utiliser pour soulager efficacement les douleurs.
Il faut imaginer que 80% des médecins déclarent n’avoir reçu aucune
formation à la prise en charge de la douleur pendant leur cursus ! Le
nombre d’heures consacré au module « douleur, soins palliatifs,
anesthésie » peut varier entre 2h et 35h. En six ans d’étude….
La priorité de la médecine palliative est le soulagement de
tousles symptômes d’inconfort en fin de vie. Les douleurs, bien sûr, mais
aussi l’angoisse, les difficultés pour respirer, les nausées ainsi que
des choses pourtant simples qui ne sont malheureusement pas toujours
prises en considération comme la bouche sèche. Comment garder et avoir
du lien avec l’autre…. Avec un conjoint à qui tant de choses sont
encore à partager malgré la fatigue, lorsqu’une bouche est sèche au
point que parler devient un gros effort. Comment recevoir un petit
enfant que l’on a envie d’embrasser ou à qui on aimerait raconter une
histoire lorsqu’une bouche est sale et malodorante… On est loin de la
médecine technicienne.
Le soulagement des symptômes est notre premier devoir de soignant.
Mais cela ne suffit pas il convient aussi de s’inscrire dans un projet
de fin de vie afin de lui donner un sens.
Un sens à sa mort, alors ? Plutôt un sens à sa fin de vie. Un sens jusqu’à la fin de sa vie. Le
sens sera propre à chaque patient et le projet élaboré avec lui. Je ne
sais pas si les gens acceptent de mourir. Mais nous écoutons ce qu’ils
ont à dire, leur vie, leur fin de vie, leurs peurs, leurs angoisses.
Parfois on peut prévoir tel ou tel cas de figure, on peut expliquer - et
puis d’autres fois on n’a pas de solution mais c’est dans cet échange
que naît la relation de confiance et que les craintes les plus profondes
peuvent s’exprimer. Ecouter en se mettant au rythme de la personne
malade suffit bien souvent à apaiser.
L’entourage aussi a des choses à dire, des craintes parfois éloignées de celles du malade. Nous devons être là pour lui aussi.
Ecouter, expliquer, rassurer, être là tout simplement.
On vit notre vie, on n’aperçoit pas la fin. La vieillesse, la
difficulté à vieillir, la maladie chronique, la fatigue et les fins de
vie, les deuils : tout cela on ne le respecte pas beaucoup, on ne s’y
intéresse pas beaucoup. Combien de jours de congés pour un fonctionnaire
après la perte d’un proche ? Je me souviens que c’est peu. Sans doute
cette négation va-t-elle de pair avec la peur de la mort. Walter
Benjamin a écrit que la génération d’après la grande guerre celle qui
est revenue muette du champ de bataille, s’est débrouillée pour ne plus
voir ses vieux mourir à la maison. On ne voit plus quelqu’un mourir près
de soi et le résultat dit Walter Benjamin ? La fin des récits, la fin
des conseils, la fin de la narration, des histoires racontées, la fin du
conte. Aujourd’hui 70% des personnes meurent à l’hôpital, les personnes ne
sont plus confrontés à la mort, à l’agonie de leur proche, d’un voisin
comme cela était le cas autrefois. La mort est mise à distance. Au
contraire on assiste dans les médias à une mise en scène de la mort
violente, accidents, guerres, meurtres. Alors la mort naturelle… Sa
place est difficile à trouver. Ce n’est pas une place glorieuse.
Tu parles de la place des histoires racontées. J’ai envie de dire que
souvent avec un malade, une famille, je conte, je tente de raconter
comment cela pourrait se passer. Je le fais à partir de mon analyse
clinique de la situation médicale, celle-ci me permet d’émettre des
hypothèses sur le mourir et sur les risques ainsi que de pouvoir
rassurer sur ce que nous pourrons faire pour apaiser. Bien sûr nous
n’avons aucune certitude sur le moment et le comment. Cette part de
mystère nous rend humble vis-à-vis de la mort, de la vie, de l’humain
qui est en face de nous.
On parle de finir sa vie dans la dignité. Qu’est-ce que c’est, la
fin ? On ne l’a jamais, peut-être, notre propre rapport à la fin :
c’est comme Achille qui ne rattrape pas la tortue, on subdivise les
segments de temps et jamais on ne voit la mort venir. Et qu’est-ce que
la dignité ? On fait tout pour que notre vie dure le plus longtemps
possible, personne n’entretient un facile rapport à la fin, à la
finitude. Malgré ça, on est prêt à choisir (dans la loi, par peur du
souffrir et du mourir, comme tu as dit) de pouvoir programmer la fin. De
la signifier dans la loi. Au nom de la dignité. Je ne comprends pas
très bien. La dignité d’un homme tient en son humanité, ce qui correspond à
l’essence de l’homme. Le petit Larousse dit aussi que c’est le respect
du à une personne ou à soi même. Elle est donc indépendante de l’âge, de
l’état de santé, d’un handicap physique ou psychique…
Cette définition aujourd’hui est galvaudée car le mot de dignité est
utilisé pour exprimer l’idée que je me fais de moi-même ou le regard que
me porte autrui. Ce qui change complètement le sens.
Je me souviens d’une patiente qui avait rédigé des directives
anticipées stipulant que pour elle sa vie ne vaudrait plus le coup
d’être vécue à partir du moment où elle ne serait plus autonome pour sa
toilette intime…. Et ce jour est arrivé, elle a exprimé avec étonnement
que ce moment qu’elle redoutait était bien là mais qu’en aucun cas elle
ne voulait mourir maintenant. Elle attendait la venue de sa petite
fille, passait de bons moments avec son compagnon malgré une dépendance
physique totale. Je ne dis pas, et elle ne le disait pas non plus, que
cela lui était facile mais elle investissait sa vie d’une autre manière
en s’adaptant et en déplaçant ce qu’elle avait pu nommer digne ou
indigne.
Ainsi on entend des malades en fin de vie, des personnes âgées dire :
« je ne sers à rien » « regardez ce que je suis devenue, ma vie n’est
plus digne d’être vécue » « je suis de trop » « je suis un fardeau »
(pour qui ?) Ce n’est pas la dignité qui se perd alors mais l’estime de
soi. Que renvoyons-nous à ces personnes en écoutant ces mots, ces maux ?
Que renvoie la société à ces hommes qui ne lui servent plus à rien ? Où
est la notion de solidarité ? L’euthanasie comme réponse conforterait
ces idées qu’on se fait, ce serait comme si alors la loi permettrait de
répondre : « vous n’êtes plus digne de vivre mais vous avez encore la
possibilité de mourir dans la dignité »
Le débat sur l’euthanasie est plus d’actualité que jamais puisque le
Pr Sicard a rendu le 18 décembre 2012 au président de la République le
rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie. Le titre de ce
rapport est « penser solidairement la fin de vie ».
Ce qu’il montre avant tout c’est que selon les sondages d’opinion, 80
à 90% des français demandent une loi sur l’euthanasie : ils expriment
une peur de la fin de vie insupportable, la peur de souffrir et de voir
souffrir leurs proches. Ce rapport pointe du doigt le paradoxe de la
médecine toute puissante à qui on donnerait le pouvoir (au nom de sa
liberté de choix) d’abréger la vie en pratiquant des euthanasies.
Une chose est certaine, les citoyens, les patients ne sont pas
satisfaits de l’écoute médicale. De gros progrès sont à faire dans
l’écoute de la parole de l’autre, le soulagement des symptômes. L’accès
aux soins palliatifs est trop inégal.
Les demandes effectives d’euthanasie sont rares et lorsqu’elles sont
entendues par une équipe formée aux soins palliatifs dans le souci d’une
prise en charge globale, la plupart disparaissent (soulagement des
symptômes, écoute, travail sur l’estime de soi). Le constat de ce qui se
passe dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie et/ou le suicide
assisté nous incite à être prudents : en effet l’étude des demandes et
l’organisation de l’euthanasie sont faites par des associations
pro-euthanasie. Le contrôle est a postériori… il porte plutôt sur le
respect de la procédure, sans regard sur le respect de l’indication.
L’euthanasie correspond à la transgression d’un interdit, celui de
donner intentionnellement la mort. Légaliser signifie changer la norme
pour l’ensemble de la population, la loi ne s’occupe pas du cas
particulier. Et la Loi Léonetti répond bien à la majorité des situations
de fin de vie.
La loi Léonetti de son vrai intitulé « loi relative aux droits des
malades et à la fin de vie » du 22 avril 2005 est très peu connue. Elle a
permis de donner plus de droits aux patients notamment avec les
directives anticipées qui permettent au patient de dialoguer avec le
médecin et de rédiger ce qu’il veut ou ne veut pas en termes de soins
pour sa fin de vie, ce dialogue si important à l’alliance thérapeutique.
L’obstination déraisonnable (ce que la plupart des gens appellent
« l’acharnement thérapeutique ») devient avec cette loi un interdit. La
loi favorise la prise de décision en collégialité en privilégiant les
souhaits du patient. Elle a fait du soulagement de la douleur un devoir
du médecin.
Il faut faire connaître cette loi auprès des citoyens, des
professionnels. Nous devons face à un patient atteint d’une maladie
incurable en fin de vie penser la médecine en terme de confort, écouter
les souhaits, les craintes du patients, réfléchir en termes de balance
bénéfices / risques lorsque nous proposons ou arrêtons un traitement.
Afin d’accompagner le patient « dans sa globalité » nous devons le faire
en équipe pluridisciplinaire, aides soignantes, infirmières,
psychologues, assistants sociaux et médecins. Les aspects de la fin de
vie vont au-delà des préoccupations médicales, elles sont aussi
existentielles, socio-économiques. Nous devons nous donner les moyens
d’accompagner les personnes vulnérables en les respectant jusqu’au bout
de leur vie. C’est le devoir d’une société de se donner les moyens de
s’occuper de ses mourants.
J’aurais envie de citer pour finir le philosophe Paul Ricoeur. Il prend ces notes, rassemblées aujourd’hui sous le titre
Vivant jusqu’à la mort[4] alors qu’il accompagne sa femme atteinte d’un mal incurable :
« C’est un autre regard que celui qui voit l’agonisant comme
moribond, ayant bientôt cessé de vivre. Le regard qui voit l’agonisant
comme encore vivant, comme en appelant aux ressources les plus profondes
de la vie, comme porté par l’émergence de l’essentiel dans son vécu de
vivant-encore, est un autre regard. C’est le regard de la compassion et
non du spectateur devançant le déjà mort. Compassion vous avez dit ?
Oui mais encore faut-il bien entendre le souffrir-avec que le mot
signifie. Ce n’est pas un gémir-avec, comme la pitié, la commisération,
figures de la déploration, pourraient l’être, c’est un lutter avec, un
accompagnement à défaut d’un partage identifiant, qui n’est ni possible,
ni souhaitable, la juste distance réglant la règle de l’amitié comme de
la justice. Accompagner est peut-être le mot le plus adéquat pour
désigner l’attitude à la faveur de laquelle le regard sur le mourant se
tourne vers un agonisant, qui lutte pour la vie jusqu’à la mort, et non
vers un moribond qui va être bientôt un mort. »