Euthanasie : "Faites-nous confiance, on s’occupe de tout."21 février 2013
Par
Silvagni Mardi 19 février à Paris, les rencontres
transdisciplinaires intitulées « LES BATTEMENTS DU TEMPS » recevaient
Didier Sicard, médecin, président d’honneur du Comité national
consultatif d’éthique (CNCE), et auteur du rapport sur la fin de vie
remis à François Hollande en décembre dernier. Après une brève
introduction de Jean-Claude Ameisen, l’actuel président du CNCE et
organisateur de ces rencontres, Didier Sicard a exposé durant près d’une
heure et devant un amphithéâtre comble les grandes lignes du rapport
qui est actuellement dans les mains du gouvernement et dont on peut
penser qu’il jouera un rôle déterminant dans les délibérations des
ministres concernés. Plusieurs annonces laissent penser que ces
réflexions aboutiront sans doute, avant la fin de l’actuelle session
parlementaire, à une proposition de loi sur la fin de vie.Notre propos ici n’est pas d’offrir une recension de la
longue et passionnante intervention de Didier Sicard, d’autant que la
vidéo de cette conférence sera très bientôt disponible sur le site du
Centre d’Etudes du Vivant.
De même, on ne saurait trop conseiller à toutes celles et ceux qui se
sentent concernés par l’éventualité de l’instauration de l’euthanasie,
sous une forme ou une autre, par le vote d’une loi venant réformer et
compléter l’actuelle Loi Léonetti, de prendre connaissance de ce
Rapport de la
Commission de Réflexion sur la fin de vie en France.
On en connaît les grandes lignes et l’orientation suggérée vers une
« sédation terminale », hypothèse à laquelle le Conseil de l’Ordre vient
de se rallier, si l’on ose dire,
in extremis. Il faut toutefois
prendre connaissance de ce travail considérable réalisé en seulement
quelques mois et qui constitue la synthèse la plus récente – et à notre
connaissance la première du genre effectuée à ce niveau de compétence –
sur l’état actuel de ce qu’il est convenu d’appeler la fin de vie en
France.
Non pas seulement pour s’informer de la situation telle qu’elle
ressort de ce véritable audit, mais aussi parce que les commentaires
violemment désapprobateurs des « pour » comme des « contre »
l’euthanasie en viendraient pour un peu à occulter les faits présentés
dans ce rapport, et à en déformer les conclusions.
Il suffit en effet de reprendre les nombreuses tribunes parues dans
la presse depuis le début de l’année pour être frappé par la virulence
de certains propos et pour prendre la mesure de la difficulté de
l’exercice – ô combien périlleux – auquel s’est livrée la commission
Sicard, en menant une investigation aussi impartiale que possible sur un
sujet aussi extraordinairement sensible et en terrain miné. Et les
mines, en effet, n’ont pas manqué, à commencer par des « postures » de
principe (pour reprendre un terme fréquemment employé par Didier Sicard)
et des engagements quasiment idéologiques s’opposant très violemment
les uns aux autres. Le tout dans un contexte passionnel amenant très
souvent les partisans et les opposants à l’euthanasie à des positions
caricaturales, voire à des propos outranciers. Certains en viennent
purement et simplement au déni. Sur ce point, la récente tribune d’un
cancérologue est caricaturale, qui prétend tout uniment n’avoir jamais,
de toute sa carrière, entendu une demande d’euthanasie, dont on nous
permettra de penser qu’on les aura d’autant moins entendues qu’elles
n’auront pas été écoutées.
On dit bien qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas
entendre. En effet, à écouter attentivement les commentaires livrés par
Didier Sicard, il apparaît clairement que c’est bien ce refus d’écoute
en lui-même qui constitue la véritable indignité infligées aux mourants.
Ce manque d’attention, de respect et d’écoute efface trop aisément les
murmures de mourants exténués dans le rythme effréné et le brouhaha d’un
service hospitalier débordé.
L’incompétence des personnels, à commencer par celle des médecins
eux-mêmes face au mourir des patients, a été à plusieurs reprises
longuement détaillée. Si elle est clairement évoquée dans son rapport,
Didier Sicard y est pourtant revenu avec une insistance d’autant plus
grande que la nécessité de rester impartial semble sur ce point lui
avoir pesé. Ce médecin formé dans les années 70, à une époque où
l’imagerie médicale et les laboratoires n’en étaient qu’à la préhistoire
d’une médecine aujourd’hui hyper-technicisée, a exprimé à plusieurs
reprises et en termes éloquents à quel point la médecine semble de plus
en plus coupée du corps même des patients, qu’on ne saurait plus
aujourd’hui ausculter, palper, écouter. Les stéthoscopes portés en
sautoir « comme de simples décorations » et dont on doute que l’on sache
encore se servir en seraient un triste exemple.
Difficile, en écoutant ce médecin évoquer cette « perte du corps »
par la médecine, de ne pas songer aux récentes déclarations des Facultés
de médecine espagnoles. Celles-ci, constatant le trop-plein de cadavres
à disséquer, se désespèrent de voir leurs étudiants préférer les
dissections virtuelles à l’enseignement de leurs maîtres, bistouri en
main. Désormais, à notre époque des vidéos games et des drones, ces
jeunes gens pressés et soucieux de s’épargner une initiation pénible et
supposée obsolète, plutôt que d’approcher les cadavres, préfèrent
toucher… des écrans.
À cette coupure du corps viennent s’ajouter d’immenses déficits de
formation qui correspondent finalement à un véritable évitement de la
mort, alors même que plus de 70 % des français meurent aujourd’hui à
l’hôpital. Dans ces conditions, l’indignité n’est pas dans un mauvais
traitement, mais dans cet évitement même, dans ces morts de vieilles
personnes amenées en urgence à l’hôpital par le SAMU appelé en urgence
par un entourage désemparé et démuni d’autres secours médicaux, qui
passent de vie à trépas sur un brancard, dans un couloir, seules et dans
l’indifférence générale.
Rappelons ici que ces lacunes, ces incompétences, ces déficits
d’information, de formation et de savoir-faire, n’ont pas attendu le
rapport de cette commission pour être cent fois repérées et dénoncées –
et d’abord par des associations de malades du sida
[1]. Sans doute
serait-il injuste de reporter sur la seule médecine en général et sur
la médecine hospitalière en particulier ce qui reste une attitude de la
société en général vis-à-vis des « vieux » comme de la mort, faite d’un
mélange inextricable de peur, de honte, de dégoût et de mauvaise
conscience. Et cette coupure du corps morcelé, dès la fin du siècle
dernier, par les spécialisations médicales, les spécialités
pharmaceutiques et les marchés en résultant, vient aussi compléter le
triste panorama des dégâts provoqués dans notre médecine par un
libéralisme économique plaçant la « profitabilité » au-dessus de tout.
Mais cela dit, il reste que jamais la confiance que le public fait à
ses médecins et au système de santé n’a jamais été aussi fortement
compromise qu’en ce début d’année 2013. Il faut revenir à la sinistre
époque du sang contaminé, puis du scandale des hémophiles, puis des
hormones de croissance pour se retrouver dans une telle ambiance de
défiance et de mise en cause tant des médecins, des hôpitaux et des
maternités que des médicaments et finalement du système de santé tout
entier : les dysfonctionnements de notre système de soins font plus que
jamais la « Une » de l’actualité et suscitent la défiance des patients.
La liste des affaires qui défraient la chronique et contribuent à
remettre en cause la confiance des usagers envers le système de soin en
général et des médecins en particulier est impressionnante : en pleine
affaire du Médiator et en quelques jours de janvier, l’histoire
désastreuse des pilules de 3
e et 4
e génération et
de Diane 35 (un produit contre l’acné prescrit comme contraceptif) vient
disputer la palme aux gros titres consacrés aux condamnations à de la
prison ferme pour plusieurs médecins dans l’affaire des surirradiés.
Tout cela vient porter à son comble une ambiance désastreuse sur fond
de dépassements d’honoraires, de redondance d’examens médicaux, de
sur-prescription ou mésusage de médicaments, d’efficience même de telle
ou telle technique médicale, de performance des hôpitaux, d’inégalités
de plus en plus criantes d’accès aux soins…
Pour en revenir à la conférence de Didier Sicard, c’est pourtant dans
ce contexte désastreux de scandales et d’affaires plus déplorables les
unes que les autres que les conclusions de sa commission misent,
implicitement, sur l’inaltérable confiance des Français en leur
médecine : « Les Français ont une confiance absolue en leurs médecins »
réaffirmait d’ailleurs Didier Sicard lors de son intervention, sans
paraître le moins du monde gêné par la proximité dans son propre propos
de l’évocation de tant d’incompétences… et d’une si complète confiance
des Français en leurs médecins.
Pour un peu, on penserait que la question ne se poserait même pas.
Pourtant cette confiance si souvent proclamée est pour le moins, à notre
point de vue, sujette à caution. On aimerait savoir sur quoi s’appuie
cette déclaration du P
r Sicard, sinon sur une conviction
personnelle ? S’agit-il d’un constat de fait, ou d’une profession de foi
pour le moins surprenante après un long exposé tout en finesse et en
nuances sur les insuffisances du système hospitalier comme des médecins.
Sur quelle étude appuie-t-on cette affirmation, sur quelle enquête, qui
aurait été menée dans des conditions méthodologiques acceptables sur ce
sujet, auprès des premiers concernés eux-mêmes, en s’assurant que leurs
réponses n’ont pas été dictées par la crainte de déplaire, d’avoir
l’air de se plaindre, que cela se sache, ou par simple superstition ?
Qui se risquerait à avouer ses doutes sur le médecin du service dont on
dépend, ses réserves sur la disponibilité des infirmières, sur un
médicament qui semble ne pas marcher ?
À notre connaissance, aucune étude de ce type n’a été réalisée dans
ce pays depuis de longues années : celles dont on dispose ont toutes été
effectuées sans prendre en compte l’immense difficulté qu’il y a pour
une personne hospitalisée à verbaliser ses angoisses dans un cadre aussi
dénué d’empathie qu’une simple prise d’informations, en forme, pour le
grand public, de sondage d’opinion. Des informations qui pourraient bien
confirmer le sentiment d’une perte de confiance de plus en plus
marquée, et qui font clairement défaut aux élites qui nous gouvernent de
si loin et qui s’apprêtent à légiférer dans un domaine aussi fragile,
aussi intime, aussi singulier…
Il y aurait pourtant lieu à y regarder de plus près. D’autant qu’on
imagine mal comment une loi instaurant l’euthanasie, c’est-à-dire, en
bon français, le droit d’achever les mourants, pourrait en quoique ce
soit améliorer la confiance des malades en leurs médecins. La confiance
ne se commande pas. Longtemps, elle a manqué, et les malheureux qui ne
se faisaient pas d’illusions sur un hôpital réservé aux pauvres savaient
bien en entrant qu’ils allaient en ressortir « les pieds devant ».
Cette confiance des malades, qui fut si longue à gagner – faudrait-il
qu’on enseigne aussi l’histoire de la médecine aux médecins ? –,
mesure-t-on seulement qu’elle peut se perdre à nouveau ?
Quelles que soient les modalités de cette loi à venir, on ne pourra
pas faire l’économie d’un débat ouvert et transparent, y compris sur les
formidables enjeux de pouvoir qui se profilent derrière les meilleures
intentions affichées. On voit mal comment il serait possible, devant
tous les scandales, les abus, les mensonges et les tromperies qui
caractérisent l’actualité médicale en France en 2013, que les « Hommes
en blanc
[2] », revus et corrigés en version « gamer » et « jeux d’arcade » remixée D
r House, pourraient se contenter de nous dire: « Faites-nous confiance, on s’occupe de tout ».
[1] Le regretté Jean-René Grisoni, président de « Positifs »,
publia dès 1990 un « classement » des hôpitaux qui fit scandale, car
réalisé par les malades : les médias ont pris la suite, mais sans passer
par les « usagers ».
2 André Soubiran (1910-1999), médecin et écrivain français. Les six
tomes de sa série « Les hommes en blanc » (1949-1958) ont connu un
immense succès de librairie.