Garantir le droit à mourir dans la dignité
LE MONDE
| 13.12.2012 à 16h24
• Mis à jour le
14.12.2012 à 11h09
Par Maurice Tubiana, professeur de cancérologie, directeur honoraire de l'Institut Gustave-Roussy
Pendant toute ma carrière professionnelle, j'ai soigné des patients atteints du cancer à Villejuif (Val-de-Marne), j'ai pendant un demi-siècle vécu au milieu d'eux.De plus, j'ai 93 ans. Pour moi, la
fin de vie n'est plus une perspective lointaine et j'assiste chaque jour à la
dégradation de ce corps qui fut source de tant de joies et dont la
déchéance m'humilie.
Le drame de la vieillesse est qu'elle
vous exclut de la société. Un médecin, par exemple, n'est plus capable de
soigner, un scientifique de créer des concepts originaux ou un écrivain d'écrire.
NE PLUS SOUFFRIRPar charité, il faut les empêcher d'altérer l'image qu'ils donnent
d'eux-mêmes car ils ne sont plus que la caricature de ce qu'ils ont été.
Le seul objectif de la vie est devenu de
survivre et on se demande à quoi bon ?
La religion peut-elle
influencer ce désir d'en
finir ? J'ai eu la responsabilité de
soigner de hauts dignitaires des différents cultes pratiqués en France. Devant
la maladie et la souffrance, ils réagissent comme les autres hommes et
veulent d'abord être soulagés, ne plus
souffrir.
L'idée que la maladie est une punition divine qu'il faut
accepter et
subir pour
obtenir une rédemption n'est plus exprimée. Dieu a cessé d'apparaître comme un procureur qui punit pour des fautes. La foi peut
soulager.
En revanche, elle ne protège pas contre la maladie et ne peut hâter
la guérison. Dieu est un Dieu d'amour, mais il n'intervient pas dans le
domaine de la santé.
L'entourage peut
consoler,
aider à
traverser une phase difficile et
encourager en donnant le sentiment qu'on est encore utile, qu'on n'est pas seulement un corps en lente décomposition, mais qu'on peut
servir les autres, les réconforter, voire leur
donner un exemple bénéfique de sagesse, ou de courage.
Mais ceux qui sont les plus proches sont aussi des victimes et,
inconsciemment parfois, ils laissent un sentiment de lassitude
transparaître. Ils vivent dans l'inquiétude et leur temps est consommé
par le vieillard .
TIRER SA RÉVÉRENCE SI LA SITUATION DEVIENT INSUPPORTABLEQuant à ce dernier, il se sent devenu une source de gêne et
d'inconfort. Dans l'évaluation qu'il fait constamment, consciemment ou
inconsciemment, entre les bénéfices et les charges, il sait que le bilan
deviendra de plus en plus désavantageux, d'où la haine de son corps qui
est à l'origine de cette évolution. Son moral devient fonction de son
état
physique.
Il vit ainsi dans l'instant présent, tentant de
fuir la réalité, tout en sachant que celle-ci le rattrapera.
Pour
profiter sans arrière-pensée du moment présent, il faut qu'il sache qu'il pourra
tirer sa révérence si la situation devient insupportable.
La seule façon d'éviter chez le vieillard le développement d'un sentiment de culpabilité et d'angoisse est de
rendre possible l'euthanasie, grâce à laquelle il reste maître de son destin.
Certes, il ne faut pas méconnaître les risques de cette mesure si elle
est mise en oeuvre sans les précautions nécessaires.
Il ne faut pas qu'un découragement à la suite, par exemple, de
douleurs qu'il serait possible de maîtriser, entraîne le désir de
disparaître, alors qu'il reste possible de les contrôler grâce aux
progrès de la
médecine.
Le recours à l'irréversible doit être limité aux cas incurables et
impossibles à améliorer. Il faut donc prévoir un entretien avec un ou
deux conseillers compétents et indépendants, sans l'immixtion de
personnes ayant intérêt à la disparition, ou au contraire à l'existence,
du candidat à l'euthanasie.
AUTORISATION DU RECOURS À L'EUTHANASIEUn entretien préalable à l'autorisation du recours à l'euthanasie devrait
permettre d'éviter des dérives. Avec ces précautions, l'euthanasie stimule le désir de
vivre en donnant l'assurance que si l'existence devient une torture physique ou mentale, il pourra y être mis fin.
Il faut, en parallèle au droit de
vivre,
introduire le droit de
mourir dignement. Cette assurance de
pouvoir, le moment venu,
terminer dignement sa vie permettrait au vieillard d'échapper à la crainte d'une déchéance finale.
Si
vivre entraîne des tortures que plus rien ne justifie il pourra y
mettre un terme, le vieillard échappera ainsi à cette angoisse qui rend la
phase ultime d'une existence si inconfortable pour soi et pour son
entourage.
Ce serait un immense progrès, mais il faut éviter les dérives, par exemple celles causées par un échec et par le découragement.
UN MOYEN D'Y METTRE FINLes médecins et les législateurs ne doivent pas
intervenir à ce niveau. Ils peuvent simplement
offrir à ceux qui considèrent, pour des raisons valables, que leur vie est devenue une torture physique, ou mentale, un moyen d'y
mettre fin, sans
remettre en cause les lois et les usages sur lesquels la société est fondée, et
la responsabilité de chacun vis-à-vis de son entourage et de la
communauté.
Elle
aide au contraire à
supprimer des efforts inutiles et à réduire la charge que le vieillard fait
peser sur son entourage.
Le rôle de l'entourage est crucial, mais varie selon les cas, non pas
tant en fonction des moyens financiers que du temps que l'entourage
peut
consacrer au vieillard, et de la force et de la profondeur des liens affectifs entre le vieillard et son entourage. Le vieillard doit
limiter ses exigences pour ne pas trop
perturber la vie familiale.
La
famille doit
comprendre que les actes sont importants, mais que l'atmosphère de compréhension, de compassion, est plus importante encore. Il faut
avoir, de part et d'autre, beaucoup de
diplomatie et d'indulgence ainsi qu'une farouche volonté d'éviter ou de
limiter les conflits.
Un médiateur, un "sage", est donc utile pour éviter les malentendus.
Ce peut être le médecin ou un ami intime de la famille, considéré comme
"un sage".
Un point périodique où chacun puisse s'
exprimer permet d'éviter les rancoeurs et les non-dits. Patience et indulgence
réciproques peuvent résoudre bien des conflits mais ne peuvent pas les
éviter.
Dans ce cas, le placement dans une maison de retraite constitue un recours qu'il faut
savoir utiliser à bon escient. L'euthanasie ne doit être envisagée que si
toutes les autres voies ont été explorées et que les souffrances sont
liées à l'état du vieillard, qu'aucune action de l'entourage ni la mise
en oeuvre de soins palliatifs ne peuvent améliorer.
Maurice Tubiana, professeur de cancérologie, directeur honoraire de l'
Institut Gustave-Roussy