Comment Leonetti a ouvert la boîte de Pandore
En 2005, le député UMP et président de la Fédération hospitalière de France, Jean Leonetti, apporte un changement fondamental dans les lois relatives aux droits des malades et à la fin de vie. En effet, cette loi modifie deux articles fondamentaux (37-38) du code de déontologie médicale.
Jusqu’alors, l’article 37 est ainsi libellé : « En certaines circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique ». Ce qui fait part d’un certain humanisme envers le malade.
Après les modifications suggérées dans le Rapport Leonetti, il pourrait s’énoncer ainsi : « Lorsque le traitement apparaît inutile, impuissant à améliorer l’état du malade ou présentant un risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté, le médecin doit décider de sa limitation ou de son arrêt. Dans le cas où, après une évaluation précise de l’état du malade, cette décision peut entraîner la mort de ce dernier, elle n’intervient qu’en concertation avec l’équipe de soins et le malade, et après consultation de la personne de confiance désignée au préalable ou de la famille et, le cas échéant, des directives anticipées. La décision est inscrite dans le dossier médical du malade . »
Pour éviter les procédures juridiques qui pourraient s’ensuivre, un article sera ajouté au code de la santé, destiné à régir la situation des malades en fin de vie (conscients), s’entretenant en « colloque singulier » avec leur médecin : « Lorsqu’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin doit respecter sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical . » « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10 [ce qui précède]. » Ah ! L’honneur est sauf.
Voilà un argument qui ne manque pas de sophisme ! Car cet article ne vise à rien d’autre qu’à décriminaliser l’euthanasie passive et à ouvrir la voie à l’euthanasie active. Le futur malade sera donc fortement incité à prendre des « directives anticipées figurant dans le dossier médical » ; c’est-à-dire qu’il aura signé un Testament de fin de vie dans lequel il s’en remet à une tierce personne en cas d’incapacité majeure.
De plus, la loi du 5 mars 2007 sur les tutelles permet de choisir, longtemps à l’avance, la personne à qui vous souhaiteriez confier « la gestion de vos affaires si la maladie vous en rendait incapable », ainsi que de « faire entériner des consignes médicales pour vos derniers jours » . C’est un acte notarié nommé angéliquement « mandat de fin de vie » .
Pour finir, il pourra confier à une personne de son choix le soin d’administrer, après son décès, ses biens pour le compte de ses héritiers, s’il craint qu’ils n’en soient pas capables. « Sa mise en œuvre sera alors automatique. Lorsqu’un médecin habilité (choisi sur une liste précise établie par les autorités) aura constaté l’incapacité du malade, la personne désignée déposera le mandat au tribunal, et pourra ainsi commencer à jouer le rôle qui lui a été attribué », explique Me Michaël Dadoit, notaire à Rodez. Avec le projet proposé au gouvernement en 2010 par la secrétaire d’Etat à la Grande dépendance, Valérie Rosso Debord, voilà qui ouvre la porte à toutes les hérésies.
Sortir du piège
Le prétexte souvent évoqué pour mettre en place ces solutions finales est l’acharnement thérapeutique et la souffrance qu’il inflige au malade. En réalité, on peut tout à la fois refuser l’acharnement thérapeutique (traitements lourds inutiles) et l’euthanasie (mort délibérément provoquée), et continuer à être soigné avec attention. « Dire : il y a une pratique scandaleuse en France, l’euthanasie clandestine, il faut la combattre en la légalisant, ne tient pas », s’insurge le Professeur Bernard Devalois (Service des soins palliatifs à Puteaux). Le professeur François Goldwasser, chef du service cancérologie (Hôpital Cochin, Paris), précise : « On peut, si l’on s’en donne les moyens, régler aujourd’hui 99,9 % des situations difficiles. Ce qui me dérange, ce n’est pas tant la pratique que le fait de mettre en boîte dans une loi, car au-dessus de la loi, il y a la conscience du médecin. Une loi risque d’autoriser la paresse des consciences . »
Dire la vérité, c’est faire face ! C’est vrai, confronté à une diminution dramatique des effectifs faute de budgets conséquents, le personnel médical actuel est surchargé. De plus, il est peu formé à la gériatrie et aux soins en fin de vie, et de mauvaises prises en charges successives au sein des divers services peuvent parfois avoir des conséquences nuisibles, non pas explicitement préméditées, mais malgré tout irréversibles. L’apprentissage des soins gériatriques doit donc faire partie de tous les secteurs de la santé.
Ensuite, si nous voulons changer la vision générale sur la personne âgée et les soins en fin de vie, à l’exemple de l’hôpital Sainte-Marguerite de l’Assistance publique et hôpitaux de Marseille, il faudra développer au sein des établissement hospitaliers de véritables centres de gériatrie et de soins palliatifs, regroupant les différents services œuvrant en concertation : neurologie, psychiatrie, urgence, médecine interne et gériatrie, en collaboration avec les centres anticancéreux. Ce qui ne pourra exister à aucun moment dans un monde marchand où " l’homme est pour l’homme un loup, non un homme, quand il ne sait pas quel il est"