Amender la loi dans le sens de la dépénalisation de l’euthanasie ?
Francis Gold
Professeur de pédiatrie, AP-HP
Faudrait-il amender la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie dans le sens de la dépénalisation conditionnelle de l’acte d’euthanasie ?
Fait rarissime, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a été adoptée à l’unanimité des députés. Dans l’interprétation que je fais de cette unanimité, il y a le fait que cette loi repose sur la tension entre deux interdits : interdit de l’euthanasie, interdit de l’obstination déraisonnable ; il s’agit donc d’une loi d’équilibre, qui risque d’être bouleversée si on l’amende pour y introduire la dépénalisation conditionnelle de l’euthanasie.
Il n’y aurait pas d’opposition entre soins palliatifs et euthanasie ?
Sans doute, mais il n’en reste pas moins que s’affrontent là deux dignités différentes : la dignité palliative et la dignité euthanasique. La dignité palliative est celle qui commande aux professionnels de santé d’accompagner chaque malade jusqu’au bout. La dignité euthanasique est celle qui, dans le droit fil de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, veut que le libre-arbitre et la volonté du malade soient respectés en tant qu’expression de sa liberté à décider pour lui-même. Ces deux dignités se valent mais se distinguent : en témoigne par exemple le fait que plusieurs études ont bien montré que plus on accroit en quantité et en qualité l’offre de soins palliatifs et plus la demande d’euthanasie diminue. La difficulté principale inhérente à la question de la fin de vie consiste donc à conjuguer ces deux dignités ; et ce sans bouleverser le contrat hippocratique de confiance entre le médecin et le patient, ce qui risque de se passer si on introduit sans précaution, et au même titre que les autres, l’euthanasie parmi les options thérapeutiques envisageables.
Comment donc trouver un équilibre conciliant liberté accrue des malades pour choisir leur destinée, et préservation du contrat moral médecin/patient et de la confiance mutuelle sous-jacente à ce contrat ?
C’est sur cette question de l’équilibre entre dignité palliative et dignité euthanasique que la réflexion devrait se concentrer. La recherche de cet équilibre passe peut-être par l’approfondissement des situations rencontrées en pratique. Parmi les patients arrivés au terme ultime des soins palliatifs, il y a semble-t-il peu de demandes d’euthanasie. Pour les personnes, semble-t-il plus nombreuses, dont la volonté est de ne pas connaître la phase de déchéance/douleur/souffrance qui s’annonce à elles, parce qu’elles la considèrent comme contraire à leur dignité, et qui se situent donc en amont de la période ultime, le suicide assisté réglementé pourrait peut-être répondre à leur demande ; mais celui-ci n’implique pas obligatoirement l’intervention du corps médical, le milieu associatif pouvant probablement répondre à cette demande.
Reste la catégorie (cruciale) des personnes qui souhaitent une aide active à mourir et qui sont, pour une raison ou une autre, incapables de se suicider, même avec assistance.
Pourquoi alors ne pas explorer plus avant la voie du suicide assisté, par exemple en lui adjoignant une disposition particulière concernant les personnes « empêchées », c’est-à-dire formulant une demande claire ou ayant auparavant formulé une telle demande (directives anticipées, personne de confiance), et dans l’incapacité actuelle de pouvoir recourir elles-mêmes au suicide assisté pour une raison ou une autre (physique, psychologique, d’état de conscience, etc.) : ces personnes pourraient ainsi bénéficier, dans des conditions strictement encadrées, d’une aide active à mourir, tenue pour moralement et juridiquement équivalente à un suicide assisté.