Egalité face à la fin de vieLE MONDE | 20.07.2012 à 15h05 • Mis à jour le 20.07.2012 à 15h13
Par Bernard Lebeau, pneumologue et cancérologue et professeur de médecine à l'université Pierre-et-Marie-Curie-Paris-VI
Après plus de quarante années de pratique, je me déclare insatisfait des modalités des quelque quatre mille fins de vie auxquelles (ou que) j'ai assisté(es). Alors, l'euthanasie ? Je ne suis ni pour ni contre. Elle existe.Les dernières lois du 9 juin 1999 visant à
garantir le droit à l'
accès aux soins palliatifs, du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et du 22 avril 2005 concernant les droits des malades et à la
fin de vie, ont permis des progrès mais restent insuffisantes.
C'est particulièrement le cas de la dernière, votée par la Chambre à l'unanimité après
avoir été réduite par des amendements restrictifs à un plus petit commun dénominateur. Le changement annoncé par nos nouveaux gouvernants se doit d'améliorer une situation intéressant l'ensemble de la
population : notre fin de vie. Les racines de ma réflexion s'implantent aux pieds des trois piliers de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.
La liberté est une propriété individuelle, à la vie, à la mort. Le suicide n'est plus condamné en France, mais il l'a été et le reste ailleurs, interdit par certaines croyances. Pourquoi l'euthanasie reste-t-elle illégale dans notre pays ? Le tracé de la frontière entre les qualificatifs d'euthanasie passive et active, souvent appliqués pour séparer l'autorisé et l'interdit, est difficile. La loi de 2005 permet les arrêts de réanimation en situation de dépendance irréversible. Elle autorise aussi l'administration de substances sédatives selon le principe du double effet au cours de soins palliatifs (il est maintenant possible d'
appliquer un traitement pouvant abréger la vie si cette administration a pour objectif premier de
calmer la douleur).
J'en témoigne, même appliqués de façon optimale, ces soins palliatifs peuvent
rester insuffisants. Ils ne sont pas adaptés à toutes les situations cliniques amenant à des demandes d'euthanasie ou de suicide assisté.
Depuis quelques années, le pourcentage de Français favorables à la légalisation de ces pratiques va croissant lors des sondages successifs ; il est maintenant largement majoritaire. Les lobbys religieux se fondent sur le principe
"tu ne tueras point" pour s'y
opposer. Ce commandement, justifié, protecteur de la vie sociale, a pour objet d'
interdire le meurtre, mais lois étatiques et lois divines ne condamnent pas la légitime
défense, les conséquences de guerres possiblement religieuses, ou, dans certains pays encore, la peine de mort. Un dogme n'a pas à s'
imposer devant la liberté d'un choix personnel, à la condition que celui-ci soit ou ait pu être exprimé de façon réfléchie. Nul ne devrait se
permettre de
juger autrui dans son choix de fin de vie si celui-ci respecte la loi collective. Dans notre pays, la loi laïque sépare les pouvoirs des Eglises et de l'Etat.
L'égalité appartient aux droits de l'homme et du citoyen depuis la Révolution française. Ces droits à l'égalité ne sont pas actuellement respectés en France pour ce qui concerne notre fin de vie. Sans
parler des inégalités d'équipement en matière de soins palliatifs selon les régions, il est injuste que seuls des patients fortunés puissent actuellement se
rendre en
Suisse pour bénéficier d'un suicide assisté dans des établissements privés de Lausanne ou Zurich. Le coût en était d'environ 6 000 euros en 2008 !
Devant la mort, nous ne sommes pas égaux en faits. Certains souffriront, d'autres pas. Certains considèrent que la souffrance est rédemptrice ; d'autres ne veulent pas la
subir. Certains affirment que toute vie humaine reste digne d'un respect inconditionnel, quel que soit le degré de son altération
physique ou mentale ; d'autres refusent ces déchéances. Ce refus peut être exprimé de façon ultime en situation pathologique irréversible et insupportable, ou de façon anticipée par la rédaction d'une précieuse déclaration écrite antérieure à l'apparition du trouble létal. Tous ont raison puisque c'est leur choix conscient. Ce choix est individuel et ne doit pas s'
imposer aux autres, chacun restant libre d'
agir en son âme et conscience. Il doit être appliqué dans le respect d'un droit égalitaire.
"Aimez-vous les uns les autres !" Pratiquons ce splendide principe de fraternité jusqu'au terme de la vie. Pourquoi est-il criminel de
soulager son prochain ? Certes, les centres et antennes de soins palliatifs assurent leur tâche avec compétence, mais ils restent insuffisants tant quantitativement que qualitativement. Les médecins occupent une position-clé dans le débat sur l'accompagnement du malade en fin de vie, mais, leur formation première visant à la recherche de la guérison, nombreux s'opposent à la pratique de l'euthanasie.
En
Belgique et aux Pays-Bas, ce sont cependant bien des médecins qui assument cette responsabilité - plus de mille cas par an maintenant aux
Pays-Bas ; il ne s'agit donc pas d'une situation d'exception, comme l'affirment certains politiques souhaitant éviter cette question ! Dans ces pays, le ressenti des praticiens à la réalisation de ces aides à la mort est positif du fait de l'habituelle reconnaissance exprimée par les patients et leurs familles. En France, comme pour l'avortement, il est compréhensible que certains praticiens refusent la pratique de ces actes pour raisons morales.
Mais ne soyons pas de ceux qui savent sans
avoir pratiqué, de ceux qui fuient la réalité de la mort, qui n'entrent pas dans la chambre des agonisants, qui décident de leurs bureaux sans jamais
avoir visité un service de réanimation ou un hôpital de malades chroniques ! Soyons de ceux qui respectent l'être vivant dans sa dignité par le choix de son choix lorsque sa fin n'en finit pas ! Si ce choix relève de l'assistance au trépas, la commission créée par notre président doit émettre une nouvelle loi permettant à des praticiens désignés et contrôlés d'
effectuer paisiblement un fraternel geste d'amour.
Bernard Lebeau, pneumologue et cancérologue et professeur de médecine à l'université Pierre-et-Marie-Curie-Paris-VI