La
Sapinière Rafael Merry del Val en 1897.
Émile Poulat tient pour paradigmatique une structure de défense des intérêts intégristes dans la catholicité, agissant principalement entre
1909 et
1914 comme organe de renseignement du Vatican : la
Sodalité saint Pie V[19] ou
Sodalitium Pianum plus connue sous le nom de « Sapinière » sans laquelle on n'aurait, d'après le chercheur, jamais parlé d'« intégrisme »
[20]. C'est à la date de sa création qu'on peut faire remonter le début de la séparation entre les catholicismes social et intégral, ce dernier trouvant un défenseur engagé en la personne du fondateur de la
Sapinière, le prélat romain
Umberto Benigni, véritable parangon de l'intégrisme
[21]. Selon Poulat, Benigni se veut l'outil loyal d'un pontificat « marteau de tous les modernismes » - celui de
Pie X - mais dont la force réelle à contre-courant d'un mouvement plus fondamental qui traverse l'Église n'a pas véritablement les moyens de sa volonté
[22].
Dans la lutte qui oppose les deux courants dont il ne faut cependant pas surestimer la puissance respective – souvent fantasmée par le camp adverse – Benigni, habile dans ses relations avec la presse, constitue un véritable office de délation et d'espionnage ecclésiastique consacré à la lutte contre les tenants du modernisme, voire les ecclésiastiques insuffisamment zélés. Le directeur de la Sapinière contestera l'appellation d'« intégrisme », qu'il associe à une forme partisane politique et dont il accuse ses adversaires d'un usage insidieux
[7].
Une lutte âpre s'engagera entre le controversé Benigni, dont même Merry del Val s'écartera et qui n'obtiendra pas la reconnaissance officielle de son organisation dissoute en 1921 dans l'indifférence, et la
Compagnie de Jésus qui, devant les réticences s'accumulant à l'égard des orientations radicales de Pie X, prépare avec d'autres les infléchissements à venir de l'Église catholique, perceptibles dès le pontificat de
Benoît XV[23] et qui mèneront progressivement au tournant de
Vatican II[24]. Selon Poulat, cette forme d' « antijésuitisme » constitue un trait caractéristique de l'intégrisme
[25] qui, né pour affirmer et défendre un enseignement immuable de l'Église, ne pourra se résoudre à voir cet enseignement évoluer.
Évolution politico-religieuseAvec les pontificats de Benoît XV puis de
Pie XI, une rupture sensible va s'opérer qui va pousser l'Église vers plus d'ouverture à la société civile
[26]. Petit à petit minorisé, l’intégrisme va se nourrir progressivement des apports de différents courants politiques d'ultra-droite dont il peut être réciproquement une source d'inspiration, dans des rapprochements qui sont parfois contre nature.
L'opposition entre les progressistes et les conservateurs va s'étendre au plan politique en opposant les
monarchistes de l'
Action française de
Charles Maurras - qui rejoignent les catholiques restés monarchistes en 1890 refusant de se rallier à la
IIIe République - aux démocrates et républicains. Si les intégristes condamnent l'
agnosticisme de l'Action française, une certaine identité idéologique et nationaliste va rapprocher l'Action française de ces milieux dès la parution de l'encyclique
Pascendi de
1907.
Fin
1926, l'Action française - qui prône l'« Église de l'Ordre » et jouit d'une grande popularité auprès de la droite catholique française - va se voir condamnée par le Vatican, taxée de
positivisme et accusée de subordonner la religion à la politique. Suite à cette condamnation, le maurrassisme et son
nationalisme intégral voient nombre de catholiques prendre leurs distances et se délite progressivement pour éclater en différents courants durant la seconde guerre mondiale et sous l'Occupation.
L'après-guerre voit une avancée du progressisme chrétien mais la tendance s'inverse dans les dernières années du pontificat de
Pie XII qui freine cette poussée. C'est dans ces conditions que l'intégrisme refait surface. La veine maurrassienne demeure bien présente de manière durable et profonde dans le courant intégriste
[14] qui devient le creuset des oppositions politiques et religieuses à la voie de la modernité désormais engagée, creuset qu'ont rejoint des
pétainistes puis des partisans de l'
Algérie française. Vers le milieu des années 1950, apparaissent une série de publications et d'organismes intégristes qui se réclament du traditionalisme et combattent les positions défendues par la presse et les mouvements catholiques alors que se met en place le
Concile Vatican II au début des années 1960. Dans cette mouvance intégriste, on trouve la
Cité catholique de
Jean Ousset,
Itinéraires de
Jean Madiran ou encore les
Nouvelles Éditions latines parmi toute une série de titres qui donneront une littérature abondante au service de la lutte contre le mouvement de réformes post-conciliaires
[27].
LefebvrismeCe processus historique de conjonction de diverses oppositions va trouver un point de focalisation de l'intégrisme qui va prendre corps dans l’opposition à Vatican II puis dans le refus de son application incarnés par l'évêque
Marcel Lefebvre, lui-même très marqué par le
maurrassisme[28].
Ce dernier réalise une véritable « fusion des opposants »
[2] en se posant comme défenseur de la Tradition et en regroupant autour de sa personne anti-républicains, anti-révolutionnaires, anti-modernistes pour former avec les détracteurs du Concile – que certains considèrent être le fruit d’un « complot judéo-maçonnique »
[29] – un courant de rejet de la modernité, encore très marqué par l’
antijudaïsme chrétien
[29], qui se traduira en
1970 par la fondation de la
Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X.
Le centre de gravité des débats s'est déplacé de la
doctrine sociale à la contestation des nouvelles orientations théologiques, de l'
inter-communion œcuménique, du
nouveau catéchisme, du
rite romain et du
dialogue inter-religieux. Refusant les changements de Vatican II, le mouvement
lefebvriste qui se revendique de l'« authentique Tradition » en continuité avec l'Église « de toujours » - qu'il est censé incarné - est rapidement en délicatesse avec Rome. Marcel Lefebvre est frappé de
suspense a divinis en
1976 tandis que son organisation est déclarée dissoute. Il sera ensuite
excommunié en
1988 pour avoir entamé une démarche
schismatique.
Marcel Lefebvre et ses disciples s'identifient à l'
orthodoxie catholique et rejettent l'appellation d'« intégrisme » qu'ils incarnent pour beaucoup, se nommant eux-mêmes « traditionalistes ». Toutefois, à cet égard, le cardinal
Jean Daniélou définit en 1974, l'intégrisme comme un « mauvais traditionalisme »
[7] : reproche est précisément fait aux intégristes d'opérer un tri très sélectif dans la
Tradition de l’Église et de fournir une interprétation personnelle des textes du
Magistère[30] dans un argumentaire
relativiste qui l'éloigne également du
fondamentalisme[31]. Par ailleurs, Émile Poulat souligne que certains liturgistes entendent par « traditionnel » le respect des normes liturgiques de Rome signifiant un refus des
modernités fantaisistes plutôt qu'un retour en arrière
[2].
Intégrisme et fondamentalismeOn parle généralement de « fondamentalisme » pour qualifier une attitude plus particulière au
monde protestant qui s'attache avant tout aux
Écritures et à l'expérience intérieure en cherchant à retrouver une pureté originelle, là où l'intégrisme catholique, privilégiant la doctrine et la
Tradition, sacralise un moment particulier de l'expérience historique de l'Église considéré comme parfait. Cependant, après
Vatican II, on observe l'émergence d'un phénomène de fondamentalisme plus proprement catholique qui, selon
Pierre Lathuilière, est peut-être dû aux crises post-conciliaires et à l'accélération de la sécularisation
[32].