Fin de vie : quels droits pour les malades ?
Par FRÉDÉRIC WORMS Professeur à Lille-III et à lENS.
Quelques lectures récentes invitent celui qui réfléchit sur la fin de vie dans un contexte médical à reconnaître deux principes simples : la liberté et la subjectivité de celui qui est malade, qui souffre, et qui va mourir ; et la spécificité de la relation médicale, ainsi que des autres relations qui l’entourent. La juriste Dominique Thouvenin montre quel paradoxe il y a lorsque l’on revient partiellement, pour la fin de vie, à une décision dont le sujet (juridique) n’est pas le malade mais le médecin, comme c’est le cas dans la loi Léonetti de 2005, même si, dans cette loi, la décision reste profondément relationnelle, comme l’était celle du malade sur sa propre santé dans la loi sur les droits des malades de 2002. C’est que, non seulement pour le droit, mais comme dimension de la reconnaissance, être le sujet, même formel, de la décision, même contrainte (et parfois déléguée), assure l’égale liberté du citoyen, même malade ou mourant. Il faut en tenir compte.
Mais la lecture d’entretiens décisifs que les philosophes Georges Canguilhem et Hans Jonas eurent sur le «droit de mourir» montre tout autre chose, pas moins essentiel. C’est que certaines décisions médicales (du malade, du médecin, dans leur relation), quoique légitimes dans certains cas singuliers, ne peuvent faire l’objet d’une législation générale car elles contredisent aux principes mêmes de la relation médicale, sinon des autres relations morales en tant que telles. Ces décisions, qui concernent le geste actif d’aider à mourir, ne peuvent relever selon l’un et l’autre que d’exceptions engageant le médecin en tant qu’individu dans une relation singulière et non instituable (sans contredire les principes de la relation). Elles relèvent, dit Canguilhem, de la «clause de conscience» et, selon Jonas, d’un jugement rétrospectif. C’est pourquoi l’un et l’autre s’opposent finalement à la légalisation de l’euthanasie, sans s’opposer toujours et par principe au geste médical singulier et individuel auquel cette notion correspond. Tels sont donc les deux enjeux essentiels. On y ajoutera cependant l’importance capitale de penser les soins palliatifs comme des soins à part entière, qui portent sur la souffrance du malade sous toutes ses formes, et celle de comprendre les autres dimensions relationnelles affectées par la situation, en particulier le statut des proches, même quand la question de la décision et de sa délégation n’est pas posée. Bref, il faut toujours maintenir à la fois et par principe les droits du malade (sujet et citoyen) et les conditions de la relation, qui rendent possibles au médecin, mais aussi aux proches, et à la société ou à la loi, de le soutenir. Il n’y a rien de contradictoire à renforcer les droits du malade et les conditions de ces relations, ni à introduire des limites aux uns et des exceptions aux autres. Il s’agit de préserver les uns et les autres par leurs limites communes, auxquelles ils sont poussés dans des situations toujours extrêmes. Non seulement il n’y a rien là de contradictoire, mais c’est primordial et cela découle de la chose même. Car cette double insistance sur des droits individuels et sur des conditions relationnelles ne fait qu’exprimer la pluralité irréductible des points de vue, sur une situation humaine qui reste encore aujourd’hui à la fois profondément relationnelle et irremplaçablement individuelle.