Euthanasie : s'il faut légiférer, c'est sur l’exception, pas sur la règle
Modifié le 29-03-2012 à 16h36
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Temps de lecture : 3 minutesLE PLUS. Alors que François Hollande s'est prononcé il y a quelques jours sur une évolution de la loi sur la fin de vie, Jean-Pierre Mignard, avocat et candidat aux législatives à Marseille, et Bertrand Rivière, maire de Ligneyrac et professeur agrégé de mathématiques, partagent leur point de vue sur le sujet dans cette tribune co-signée.
> Par Jean-Pierre Mignard Avocat
Edité par Hélène Decommer Auteur parrainé par François Bazin
Aucune société ne peut prêter assistance au suicide. Aucune société ne peut rester indifférente à la souffrance de qui veut y mettre fin. Le dilemme est suffisamment grave pour que le politique s’en saisisse, suffisamment intime pour échapper aux clivages politiciens, dans un souci également partagé de la dignité humaine dont ceux qui en débattent doivent avant tout se réputer de bonne foi.
Le service de soins palliatifs de l'hôpital de Puteaux, ronde de nuit des infirmiers (CHARUEL/SIPA)
De ce point de vue, en prenant le risque d’assumer cette double exigence, François Hollande rappelle qu’il cherche à rassembler sur une vision de société où la confiance redeviendrait la règle, alors que la défiance n’a que trop primé. Mieux vaut en parler alors que la loi Leonetti a été votée dans l’indifférence quasi générale sur un sujet qui pourtant nous concerne tous.
Accompagnement et dignité
Qu’on nous pardonne ce truisme, mais la fin de vie signifie la mort, laquelle renvoie à des conceptions philosophiques, morales, religieuses dont les différentes déclinaisons sont garanties par un état laïque qui reconnaît à chacun le droit de raisonner selon ses convictions les plus profondes. Le candidat de la gauche est on ne peut plus clair sur ces universaux qui honorent la France et que nombre de pays nous envient.
Signalons aussi un second truisme, on peut atténuer aujourd’hui pratiquement toutes les douleurs aigües qu’infligent au corps la maladie et la vieillesse, mais on ne sait pas guérir de la mort. C’est donc d’un accompagnement qu’il s’agit, et tout le monde s’accorde sur le refus en cas d’issue fatale, des souffrances inutiles, du refus de l’acharnement thérapeutique, de l’intensification des soins palliatifs. Mais encore, si chaque malade est en droit de faire prévaloir la conception qu’il a de sa dignité, un pareil jugement est interdit aux autres. Tout humain souffrant à la fin de sa vie est éminemment digne aux yeux de la société. La dignité n’est pas un passe-partout pour les autres.
La loi Leonetti a déjà apporté nombre de réponses mais en apparence seulement car, trop méconnue d’une part, la politique hospitalière actuelle de rationnement budgétaire, classique du néo-libéralisme ambiant, ne lui fournissant pas d’autre part les moyens de son application. Ainsi, toute réflexion sur la fin de vie devrait commencer par un inventaire approfondi de la loi Leonetti pour en clarifier les ambiguïtés et discerner les insuffisances de sa mise en place.
Il doit s’agir si cela se révèle nécessaire d’un amendement à la loi afin de préciser les cas extrêmes où l’accompagnement palliatif serait dépassé, où la vie n’a plus que son apparence dans un corps souffrant, le malade étant privé de conscience et d’expression.
Ce n’est pas fantasme contre lobby
Le "testament de vie", comme tout testament, peut être révoqué à tout moment ; mais justement, l’impossibilité de s’exprimer du malade est le nœud éthique de la question. Les proches peuvent-ils seuls s’y substituer ? Pour plusieurs raisons cela ne saurait suffire, il faut une unanimité constatée d’un collège médical dont la responsabilité est dès lors engagée.
Au final, il s’agit de garantir qu’aucun médecin, aucune famille qui agirait en conscience ne pourrait être condamné, dès lors qu’il agirait dans le strict respect de la volonté d’une personne, ou de son exécuteur testamentaire, dans des cas strictement déterminés et cumulatifs : issue fatale, souffrances ingérables, accompagnement palliatif dépassé, accord des proches et d’un consensus médical. Pour arriver à ce résultat, des conditions de forme et de fond dans l’élaboration d’un tel texte doivent s’inspirer des débats féconds qui ont eu lieu sur la bioéthique, et qui ont permis d’arriver à des solutions pratiquement consensuelles et non clivant ès. Il va de soi notamment que les réserves de conscience de membres du corps médical devront être respectées.
La mort est LA question anthropologique par essence, elle ne relève pas d’un débat politicien et ne peut se résumer en une formule au détour d’un meeting ni de pétitions ni de proclamations péremptoires, "pour" ou "contre". Son accompagnement au regard de méthodes médicales en constante évolution résulte des débats de société dans lesquels les sensibilités de tous doivent être respectées. Ce n’est pas fantasme contre lobby !
Légiférer en tremblant
Dès lors que l’absolue dignité de chacun est reconnue et affirmée, il devrait être possible de ne pas recréer artificiellement des dissensions irrationnelles comme lors de la dépénalisation de l’avortement. François Hollande en posant la question n’apporte pas de réponse toute faite, il réaffirme sa volonté de ne pas se voiler les yeux et d’ouvrir des débats qu’il aura à cœur de mener avec son sens du rassemblement, son art de la synthèse et son profond attachement au respect d’autrui, sans discrimination, sans stigmatisation.
Il y a un principe à maintenir, c’est la vie que l’on défend jusqu’au bout, jusqu’au moment où le corps n’en est plus que l’apparence meurtrie. C’est donc bien d’abord sur l’importance des moyens mis à la disposition des soins palliatifs qu’un éventuel amendement à la loi Leonetti se justifiera. Là doit demeurer la règle et c’est sur l’exception qu’il faudra légiférer, "en tremblant" comme le recommandait Montesquieu pour toute loi, et encore plus pour celle-ci.
Le Nouvel Observateur.