Euthanasie : "On ne peut pas être pour ou contre" Le Point.fr - Publié le 15/03/2012 à 09:52 - Modifié le 15/03/2012 à 10:29
À quelques semaines de la présidentielle, le débat sur la fin de vie repart de plus belle. Doit-on réviser la loi Leonetti ? Témoignage.Selon un récent sondage, la légalisation de l'euthanasie dite "active", proposée par le candidat PS François Hollande et refusée par Nicolas Sarkozy, serait approuvée par 91 % des Français. 86 % des Français affirment par ailleurs envisager d'avoir recours à l'euthanasie active s'ils étaient un jour atteints d'une maladie incurable entraînant des souffrances. À quelques semaines de la présidentielle, ces chiffres relancent le débat sur la fin de vie et le droit de la personne à disposer d'elle-même. Un débat qui, pour Antoine Vial, professionnel de santé et père d'un enfant paraplégique depuis dix ans, est bien trop mouvant pour être tranché.
91 % des Français se disent favorables à une révision de la législation et seraient prêts à passer d'une euthanasie passive à une euthanasie active. Que vous inspire ce chiffre ?C'est un sujet extrêmement complexe. Au carrefour de la science, de la philosophie, de la culture, de la religion, de l'éthique, de la morale... Aujourd'hui, on entend un discours porté par une minorité et présenté comme majoritaire. Aux 91 % évoqués par le sondage, quelle question leur a-t-on posée exactement ? "Faut-il légaliser le droit à mourir dans la dignité ?" Vous connaissez quelqu'un qui répondrait non à une telle question ? Je ne cherche absolument pas à convaincre qui que ce soit ou à imposer des positions, je veux juste que les gens se rendent compte d'une chose : le conflit est d'abord individuel, avant d'être collectif. Aujourd'hui, je suis parfaitement incapable de me prononcer pour ou contre l'euthanasie active. Nul ne peut savoir comment il réagira face à une telle décision.
Que dit la loi aujourd'hui ?Depuis la loi Leonetti de 2004, un médecin a le droit de dire "stop, on arrête, on ne peut plus rien", sans pour autant encourir une peine en pénal derrière lorsque la famille estime qu'il n'a pas tout tenté. Il y a 10 ans, lorsque mon fils a eu son accident - il a fait une chute très grave, avec un traumatisme crânien -, il est tombé dans le coma. On se demandait s'il allait survivre. Et si oui, comment, dans quel état. Personne ne pouvait nous dire exactement à quoi il fallait s'attendre, quelles seraient les séquelles, s'il pourrait remarcher. Le tableau était très flou. Aujourd'hui, des jeunes comme mon fils, il n'y en a plus. Il ne serait certainement plus là si la loi Leonetti avait existé à l'époque. Finalement, ce qui était un réel problème de santé publique il y a 10 ou 20 ans n'existe plus. Je pense que la loi de 2004 suffit amplement et laisse suffisamment de marge de manoeuvre pour que chacun s'en accommode.
Vous prônez donc le cas par cas ?Je ne prône rien. Je dis juste que le terrain est trop glissant pour être tranché par la loi. Un même individu peut changer d'avis toute sa vie sur une question pareille. En fonction de son expérience, des gens qui l'entourent, qu'il aime, qu'il voit souffrir, qu'il perd. Il faut sortir de la théorie. Si une personne âgée de votre entourage fait un AVC, elle a eu une belle vie et on vous dit qu'elle peut s'en sortir mais terminer son existence comme un légume. Vous faites quoi ? Vous choisissez quoi ? Alors, vous pouvez dire que vous ne voulez pas de ça pour elle. Mais si le reste de la famille s'accroche à l'infime espoir, au miracle, que pouvez-vous contre cela ? La médecine n'est pas une science exacte.
Une révision de la loi servirait surtout à lutter contre l'acharnement thérapeutique.Et qui en fixe la frontière ? Confronté à un drame, on fait tout pour permettre à ceux qu'on aime de s'en sortir. C'est instinctif. J'aimerais beaucoup que l'on retourne le problème. Que l'on demande à tous ceux qui défendent une révision de la loi de porter une carte sur eux qui autorise à les débrancher sans avoir tenté le maximum. Je les mets au défi. Quelles séquelles permettent d'affirmer que c'est la fin ? On joue avec la mort. Il y a un siècle, il n'y avait pas de médecine au sens où on l'entend aujourd'hui et l'espérance de vie était de 48 ans. Si on avait débranché des gens à chaque fois qu'ils voulaient s'épargner une fin de vie difficile, notre espérance de vie n'aurait pas bougé ! La mort permet à la médecine d'avancer, il ne faut pas l'oublier. Aujourd'hui, mon fils a toute sa tête. Un jour, il veut vivre, le lendemain, mourir, mais ça, c'est la vie.
Le sujet est encore tabou ?Oui mais, surtout, il n'a aucun sens. On ne peut pas être pour ou contre. Chacun sait que l'euthanasie est pratiquée par de nombreux médecins. Ceux à qui on refuse de mourir n'ont qu'à changer d'hôpital et trouver un corps médical qui y consent. Je crois que notre société, qui veut tout gérer, n'accepte pas que la mort lui échappe. Le débat est philosophique, en fait. On doit accepter de mourir. Quand l'heure arrive.