> Euthanasie
Notes sur la loi Léonetti
mardi 17 janvier 2006 par Michel
La Loi no 2005-370 du 22 avril 2005, dite « loi Léonetti » se présente comme « relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Elle fait l’objet de nombreuses discussions dans le milieu des soins palliatifs, mais ces discussions se ressentent visiblement de deux éléments contextuels.
Le premier est que cette loi a été mise en chantier et promulguée dans les suites de l’« affaire Vincent Humbert » à laquelle elle apparaît comme une réponse. Et ceci n’est pas indifférent, car on se trouve du même coup affronté à deux évidences :
Si cette loi est une réponse, c’est qu’il y avait une question. On verra plus loin que ce point n’est pas assuré.
Si c’est une réponse à une question, alors ceux qui ont posé la question se trouvent en position de juger si la réponse est adéquate à la question. On verra là aussi que cela n’est pas sans conséquences.
Le second est que le débat législatif a été précédé d’un long travail de réflexion, mené par une commission parlementaire qui a rédigé un rapport remarquable. Les débats auxquels nous assistons ne font pas toujours la différence entre le texte du rapport et celui de la loi. Il y a donc un risque de mauvaise interprétation de la loi, contre lequel on peut essayer de se prémunir en lisant l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui contient des éléments intéressants à considérer.
L’EXPOSÉ DES MOTIFS : [1] Nos sociétés contemporaines portent sur la fin de vie et sur la mort un regard très particulier, empreint de déni et de peur.
La mort, qui n’est souvent plus perçue que comme une abstraction, est ignorée et refoulée par les bien-portants. Lorsqu’elle survient, nos concitoyens sont tentés de ne lui accorder qu’une place marginale, en l’entourant du plus de discrétion possible, comme s’ils souhaitaient l’oublier au plus vite.
Ici il convient déjà de s’arrêter.
Car quiconque connaît un peu le milieu des soins palliatifs sait immédiatement pourquoi ces quelques lignes sont écrites : il s’agit d’une figure obligée, d’une référence aux travaux de Philippe Ariès. Mais dans un texte d’une telle ambition on pourrait rêver d’un peu plus de précision : le livre majeur de Philippe Ariès s’intitule : Essai sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours. Ariès n’a garde d’oublier qu’il traite de la société occidentale. Or nous savons bien comme est difficile la question de l’universalité de l’éthique. Il faudrait être sûr que les législateurs n’ont pas perdu de vue le caractère éventuellement contingent de leur propos : la force de leur thèse ne sera pas la même selon qu’on rappellera ou non que d’autres civilisations ont élaboré d’autres stratégies.
En même temps la fin de vie fait peur : elle éveille l’angoisse de la souffrance et l’appréhension de la déchéance.
Ces évolutions incontestées de notre société sont régulièrement mises en lumière dans des contextes particuliers et très médiatisés.
La référence à l’ « affaire Vincent Humbert » se fait ici explicite. Cette position est compréhensible mais, comme je l’ai dit plus haut, elle constitue une prise de risque : elle valide la thèse selon laquelle cette affaire posait une question, et elle suggère que la loi est une réponse à cette question. Il n’est pas sûr que ce soit prudent.
Ces derniers, le plus souvent chargés d’émotions, sont l’occasion de sondages, où la population est amenée à s’exprimer d’une manière générale, sur son aspiration à une mort simple, rapide et la moins douloureuse possible.
Ici également la référence est transparente au sondage SOFRES de l’ADMD [2]. Mais on éprouve tout de même un malaise devant les approximations du texte :
Le sondage en question est une opération qui a commencé en 1997 ; il n’a aucun rapport dans le temps avec quelque affaire médiatique que ce soit.
La question posée par le sondage, ou plutôt la première question, car il y en a quatre en tout, est : En cas de maladie grave et incurable s’accompagnant d’une souffrance insurmontable, seriez-vous favorable ou opposé à ce que soit reconnu au malade le droit d’être aidé à mourir à sa demande ? C’est en étendre inconsidérément le champ que de dire que la population est questionnée « sur son aspiration à une mort simple, rapide et la moins douloureuse possible », il s’agit uniquement d’une question portant sur les fins de vie les plus épouvantables. Le texte ne prend pas garde que, peut-être, il procède déjà à la généralisation qu’il se donnait pourtant pour ambition d’éviter.
A travers ces réponses, nos contemporains associent l’exercice de leur liberté à la maîtrise de leur propre mort.
Ici encore il faudrait nuancer : cette aspiration n’est en rien une nouveauté. On sait que les partisans d’une légalisation de l’euthanasie appellent à la rescousse de leur projet quelques grands anciens, comme Sénèque, More ou Bacon. On sait aussi que ces références ne résistent guère à l’analyse quand il s’agit de fonder une quelconque ancienneté de l’euthanasie ; mais il est incontestable que le désir de ne pas accepter n’importe quel trépas est très ancien, et qu’il y a quelque imprudence à en faire une découverte de notre temps.
Les malades refusent la douleur et la souffrance liées à la dégradation physique et mentale ; s’ils récusent l’acharnement thérapeutique, ils craignent tout autant l’arbitraire d’une décision médicale qui mettrait fin à leur vie dans une clandestinité peu compatible avec le respect dû à tout être humain.
Ce paragraphe encore pose question : comme ce serait simple si on pouvait dire « Les malades refusent » ! Alors que, justement, c’est là un des points les plus difficiles. On admet certes sans peine qu’il y a peu de malades pour rechercher la douleur et la souffrance. Mais le rapport à ces notions est bien plus complexe que le texte ne veut le laisser entendre ; par exemple on sait parfaitement que les malades n’accordent pas tous la même importance à ces points. Quant à « récuser l’acharnement thérapeutique », c’est une évidence, à condition de ne pas oublier qu’il suffit de se trouver face à une situation concrète pour mesurer à quel point les choses sont infiniment plus incertaines.
L’enjeu de cette généralisation imprudente est majeur : car c’est toute la question de la faisabilité d’une loi qui s’y trouve posée. Il n’est guère possible en effet de légiférer sur des cas particuliers : la loi par définition n’est valable que pour le cas général, et s’il n’y a pas de cas général il ne peut y avoir de loi ; c’est le pouvoir judiciaire, non le législatif qui a compétence pour dire ce qu’il en est des cas particuliers. Ici encore il est à craindre que le texte n’introduise ici le germe des choix qu’il souhaite pourtant éviter.
Mais par ailleurs le paragraphe lui-même est étrangement rédigé. Il traite en un court espace de trois notions capitales : le refus de la souffrance, le refus de l’acharnement thérapeutique, la crainte d’être subrepticement occis. Le point commun de ces trois notions est facile à trouver, il est dans le paragraphe précédent : c’est, « l’exercice de leur liberté à la maîtrise de leur propre mort ». Il n’en est pas moins surprenant de voir que cela n’est pas davantage explicité, que les trois idées sont simplement accolées sans lien évident entre elles.
Pour leur part, lorsqu’ils décident de ne pas poursuivre un traitement s’il n’existe aucun espoir d’obtenir une amélioration de l’état de la personne, les professionnels de santé, en raison de règles pénales inadaptées à la réalité de leur activité, redoutent de devoir faire face à des sanctions ordinales ou pénales, même s’ils se conforment à des règles de bonnes pratiques professionnelles.
Ceci est tout à fait exact. Mais les professionnels de santé ont-ils raison de redouter ? Il aurait été utile que les proposants intègrent à leur rapport trois indications :
La première serait un chiffre : combien de professionnels de santé ont-ils été condamnés pour des faits d’abandon thérapeutique ? Le fait que ce chiffre soit introuvable laisse rêveur.
La seconde est une question centrale : on imagine sans peine quelle épreuve cela représente pour un professionnel que de se trouver en proie à une instruction judiciaire, voire à un procès. Mais, et surtout si on considère que les situations incriminées sont toujours des cas particuliers, on ne voit guère comment il serait possible de faire autrement, et il se pourrait bien que l’acceptation de cette épreuve soit l’honneur de la profession.
La troisième reste à envisager avec des juristes : les règles pénales sont en effet inadaptées ; par exemple le texte sur la non-assistance à personne en danger est très difficile à appliquer aux situations d’abandon thérapeutique. Mais cette inadaptation n’est qu’une apparence : écrivant cet article du Code Pénal le législateur avait d’évidence en vue de tout autres situations que l’abandon thérapeutique, de sorte que si le texte devient inadapté c’est parce qu’on veut l’étendre abusivement à de situations qui ne le concernent pas ; quoi qu’on fasse un bon marteau ne fera jamais un bon tournevis. Et c’est peut-être parce que les magistrats sont conscients de cette troisième indication que la première est ce qu’elle est.
Créée le 15 octobre 2003 et composée de 31 membres de toutes formations politiques confondues, la Mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie s’est attachée à appréhender, sans a priori, l’ensemble des problèmes posés par la fin de vie.
Les membres de la mission ont souhaité tirer les conclusions législatives de ces enseignements. Estimant que la dépénalisation de l’euthanasie remettrait en cause le principe de l’interdit de tuer, limite dont le franchissement n’a été revendiqué au demeurant par aucun professionnel de santé ni aucun juriste au cours de ses huit mois de travaux, la mission s’est attachée pour l’essentiel à codifier des bonnes pratiques. Si elle a écarté l’idée de toute dépénalisation de l’euthanasie sur le modèle des législations belge et néerlandaise, elle ne s’est pas accommodée pour autant du statu quo.
Ce paragraphe a pour fonction d’introduire les conclusions du travail parlementaire. Il suffit de le lire pour constater l’évidence : l’enjeu essentiel était l’euthanasie. Dans ces conditions le fait que le texte de loi ne mentionne même pas le mot est évidemment délibéré. Reste à savoir si cette élision du thème central recule ou rapproche le moment où il faudra explicitement statuer.
La suite du texte décrit et commente les articles du projet de loi. Il sera donc commenté en même temps que le texte de loi lui-même.
LE TEXTE DE LA LOI :
[3]
On s’aperçoit vite que la loi fait référence à des articles de Codes existants ; plus précisément les dix premiers articles sont relatifs aux articles L1110 et L1111 du Code de la Santé Publique ; les cinq derniers articles concernent l’organisation et le financement des soins palliatifs et aménagent d’autres textes antérieurs.
LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE :
Mais le cœur de la loi, ce pour quoi elle a été voulue, est constitué par les modifications apportées aux articles L1110 et L1111 du Code de la Santé Publique. Il n’y aurait dong guère de sens à vouloir étudier la « loi Léonetti » sans s’interroger simultanément sur ces deux articles.
Remarquons tout d’abord que ces deux articles sont récents. Ils ont été créés par la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner » sur les droits des malades. [4] Cela doit déjà alerter : que dit le fait qu’une loi écrite en 2002 pour répondre à des questions que la société se pose tout de même depuis longtemps nécessite trois ans après une nouvelle loi pour la corriger (encore le délai aura-t-il été en réalité plus court, puisque la mort de Vincent Humbert a lieu le 26 septembre 2003, donnant le signal au processus législatif, la commission d’enquête ouvrant ses travaux le 15 octobre suivant) ?
Naturellement cela peut signifier que la loi du 4 mars 2002 était si mal écrite qu’elle n’a pas vécu plus d’un an ; il est probable, on le verra, que cette explication comporte au moins une part de vérité.
Une autre possibilité est que cette même loi ait été écrite déjà sous la pression de lobbies favorables à une légalisation de l’euthanasie : car même si la « loi Kouchner » n’en parle pas, le thème s’y lit aisément par transparence ; au reste on se souvient encore des propos tenus par le ministre de la santé de l’époque, où se percevait plus d’une hésitation.
Une troisième possibilité est que ces questions ne soient tout simplement pas du ressort de la loi.
Toujours est-il qu’il faut étudier ces deux articles, qui se trouvent en tête du Livre Ier du Code de la Santé Publique, qui traite de la « Protection des personnes en matière de santé » ; plus précisément il inaugure le Titre Ier : « Droits des personnes malades et des usagers du système de santé ».
L’ARTICLE L1110 : [5]
Il s’agit d’un « Chapitre préliminaire » traitant des « Droits de la personne ».
Le § 1 inscrit dans la loi un droit fondamental à la protection de la santé ; il ne semble pas que ce soit là une nouveauté, puisque l’article 11 du Préambule de la Constitution énonce déjà : Elle (la Nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (...). [6] La question se pose donc dès le premier article de la justification de cette redondance. Par contre il innove réellement en inscrivant dans la loi l’obligation de former les professionnels à la connaissance du handicap.
Le § 2 précise : La personne malade a droit au respect de sa dignité. Cette formule lapidaire laisse tout de même un peu perplexe, et on trouve là peut-être un second indice d’un certain manque de réflexion dans l’écriture : que vient faire dans un texte de loi une référence à une notion aussi imprécise que la dignité ? Quels sont les moyens décrits pour permettre la mise en application d’une telle disposition ? Comment décrit-on le processus par lequel on compte élaborer une définition légale de la dignité ? Et surtout, que fait le législateur quand il s’égare ainsi ?
Le § 3 interdit la discrimination dans l’accès aux soins.
Le § 4 définit les règles du secret professionnel, et la notion de secret partagé. Le secret peut être partagé par deux professionnels de santé si la personne est informée et ne s’y oppose pas ; il n’y a pas de secret en équipe de soins.
Ces quatre paragraphes ne sont pas concernés par la Loi du 22 avril : ils restent tels quels.
Le § 5 rappelle le droit aux soins dans le respect des données actuelles de la science (dans cette formulation ambiguë, sans doute volontairement, se trouve indiqué un droit du malade, et corrélativement un devoir du médecin). Il introduit la notion de rapport bénéfice/risque en matière de prévention, ce qui se réfère notamment au problème du dépistage des maladies incurables.
Mais la loi du 22 avril introduit là une modification, puisqu’il est ajouté :
Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris.
Cet alinéa veut traiter du refus de l’acharnement thérapeutique. Mais naturellement il échoue à préciser ce concept imprécisable ; au vrai il n’essaie même pas, se bornant à reproduire la formulation calamiteuse du Comité Consultatif National d’Éthique dans son avis n° 63 du 27 janvier 2000 [7]
L’acharnement thérapeutique se définit comme une obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté de reconnaître qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable.
Dans le texte du Comité se trouvent réunis tous les défauts :
1. Comment définit-on le caractère déraisonnable d’une obstination ?
2. Combien y a-t-il de soignants qui refusent de reconnaître qu’un homme est voué à la mort ?
3. Quel rapport y a-t-il entre la notion d’acharnement thérapeutique et celle de curabilité d’une affection ? Est-ce à dire que la suspicion d’acharnement thérapeutique est installée dès lors qu’on s’occupe d’un patient chronique ?
Toujours est-il qu’on retrouve dans la formulation du texte de loi le même malaise qu’à propos du § 2. Et ce n’est pas l’exposé des motifs qui va nous rassurer :
Le complément qui serait proposé consisterait, à la lumière de la nouvelle rédaction de l’article 37 du code de déontologie médicale, à prévoir que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable, lorsqu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et que ces actes entraînent une prolongation artificielle de la vie.
Car il s’agit d’un texte de loi, et la première vertu d’une loi est d’être applicable, surtout s’agissant d’une loi qui ambitionne
pour l’essentiel à codifier des bonnes pratiques.
Mais comment va-t-on s’y prendre pour dire ce qu’est la réalité d’un espoir ? Que signifie l’expression « prolongation artificielle de la vie » ? Que serait une « prolongation naturelle » ? Que peut donc espérer une loi qui se laisse ainsi aller à manier des notions aussi floues ? Car, ne l’oublions pas, il s’agit notamment de répondre à la crainte des professionnels de santé de se trouver en proie à une procédure judiciaire. On ne peut compter éviter cette procédure que si le texte de loi élimine massivement les incertitudes, sinon c’est précisément le juge qui devra trancher...
Ajoutons que la loi du 22 avril n’a en vue ici que les situations terminales, ce qui en réduit considérablement la portée :
Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10.
On verra plus loin que les « soins visés à l’article L. 1110-10 » sont les soins palliatifs ; il serait utile de voir rappeler ici que les soins palliatifs ne concernent pas que la phase terminale de la maladie.
Quoi qu’il en soit, c’est sans doute à dessein que ce refus de l’acharnement thérapeutique est inscrit dans la loi en complément d’un paragraphe existant ; on aurait pu penser qu’il méritait une plus grande solennité.
L’article L1110-5 continue :
Les dispositions du premier alinéa s’appliquent sans préjudice de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé, ni des dispositions du titre II du livre Ier de la première partie du présent code (qui concernent la recherche biomédicale ; en d’autres termes le fait que le malade soit en fin de vie n’autorise pas le laxisme en matière de sécurité, possible allusion à l’affaire du sang contaminé, dans laquelle, on s’en souvient, les médecins transfuseurs avaient pensé tirer argument du fait que les malades transfusés étaient déjà contaminés).
Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort.
La loi du 22 avril ajoute :
Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2 (qui traite de l’information du malade), la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.
Il s’agit là de la légalisation de la « règle du double effet ».
Les autres paragraphes ne sont pas modifiés ; il s’agit :
Du § 6, qui demande le suivi scolaire des enfants hospitalisés.
Du § 7, qui impose la prise en compte de ces dispositions dans le processus d’accréditation.
Du § 8, qui rappelle le libre choix du médecin par le malade.
Du § 9, qui inscrit le droit aux soins palliatifs.
Du § 10, qui reprend la définition de la SFAP.
Du § 11, qui traite des bénévoles.
C’est peu dire que pointer une certaine hétérogénéité du texte.
L’ARTICLE L1111 : [8]
L’article L1111 constitue le chapitre Ier du livre ; il traite de l’ « information des usagers du système de santé et (de l’) expression de leur volonté ».
Le § 1 énonce : Les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. Il faut croire que cela demandait à être précisé.
Le § 2 rappelle les règles de l’information du malade.
Le § 3 étend cette obligation d’information aux aspects financiers du problème, renvoyant sans doute aux cas où les patients, par exemple, ne sont pas informés préalablement des honoraires qui leur seront demandés. Ces trois paragraphes ne sont pas modifiés par la loi Léonetti.
Le § 4 traite du refus de soins dans les termes de la loi du 4 mars 2002 ; il précise :
Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
L’innovation réside ici dans l’expression tout traitement, là où la loi du 4 mars 2002 portait : un traitement. Une telle modification, par son caractère en apparence microscopique, ne doit certainement rien au hasard. Que peut-elle bien signifier ?
Répondre à cette question c’est avant tout se demander de qui on nous parle.
La loi du 4 mars 2002 semble avoir eu en vue la situation d’un malade à qui on propose des soins et qui les refuse pour des raisons philosophiques ; c’est le cas par exemple des témoins de Jéhovah, qui était particulièrement d’actualité à l’époque. [9]
Nul doute que la loi du 22 avril continue d’y penser. Mais comme sur ce point l’exposé des motifs fait explicitement référence à des affaires d’actualité :
Or, tant la prise de conscience des problèmes soulevés par l’interprétation de cet article que les enseignements tirés de ses propositions sur le renforcement des droits du malade en fin de vie ont convaincu la mission de la nécessité de préciser les droits du malade.
on doit bien penser que la modification a quelque rapport avec cette actualité. Et la substitution de terme aboutit à un changement complet : on passe du refus d’un soin au refus de tout soin. Il s’agit là de la situation du malade à qui on propose des soins et qui estime que le bénéfice, en termes notamment de qualité de vie, n’est pas suffisant pour qu’il adhère au projet de soins ; c’était en somme la situation de Vincent Humbert.
Pourquoi le législateur a-t-il confondu les deux situations ? Il se peut que ce soit simplement par inadvertance, tout est possible. Il se peut aussi que ce soit délibéré. En apparence elles n’ont aucun rapport : le témoin de Jéhovah n’a nulle envie de mourir, il n’accepte simplement pas de vivre au prix d’un sacrilège. À l’inverse Vincent Humbert, nous dit-on, voulait mourir parce qu’il n’acceptait pas la vie qui lui restait. Toutefois les deux situations se rejoignent sur la volonté de ne pas vivre à n’importe quelle condition (et il n’est pas difficile d’imaginer le cas d’école : sur le petit navire, quand les vivres viennent à manquer les rescapés ne peuvent survivre qu’à condition de manger le plus jeune, et on peut concevoir que le reste de l’équipage refuse de se sauver à ce prix).
Quoi qu’il en soit le résultat est que la problématique Vincent Humbert est assimilée à celle des témoins de Jéhovah, avec quelques conséquences :
1. On peut sous-entendre que la perte du désir de vivre chez Vincent Humbert a été jugée aussi peu rationnelle que le respect d’un interdit mal compris par les témoins de Jéhovah. Ceci ne ferait que pointer notre désarroi ; mais après tout notre civilisation n’est-elle pas crispée sur l’idée totalement fausse que tous les hommes ont toujours voulu vivre le plus longtemps possible et à n’importe quel prix, au point de prétendre contre l’évidence que toute tentative de suicide est toujours entraînée par une dépression ?
2. On peut à l’inverse sous-entendre que les positions religieuses sont éligibles dans le calcul des rapports bénéfice/risque au même titre que la souffrance ou les données actuelles de la science. Le soubassement philosophique de cette position serait une relativisation du discours scientifique, et nul doute que, du moins dans une certaine mesure, une telle relativisation serait bienvenue.
3. Mais on peut aussi dire qu’en toute hypothèse le choix du malade a la même valeur, quelles que soient les motivations de ce choix. Il est évident que la troisième solution est la plus intéressante, et qu’elle permet d’absolutiser la volonté du malade, qui en dernière analyse est le décideur.
Mais à peine a-t-on dit cela que les problèmes commencent.
Car comment compte-t-on s’y prendre pour concilier cette ambition de respect absolu de la volonté du malade, ultime juge de ce qui est bon pour lui, et l’idée qu’il y a « des soins indispensables » ? Qui décide de ce que sont les « soins indispensables » ? Et si les « soins indispensables » existent et que le malade n’en convient pas, que peut-on en conclure sur l’état de ses fonctions supérieures ? On ne peut pas dire à la fois qu’il y a des « soins indispensables » et soutenir que le malade qui les refuse n’est cependant pas
hors d’état d’exprimer sa volonté
Il suffit pour que cette contradiction éclate au grand jour de se demander comment on doit raisonner face à un patient déprimé qui refuserait son traitement.
Et on ne peut pas dire que le bon sens suffit à trancher ces questions : si c’était le cas on devrait constater que la version proposée par la loi du 4 mars 2002 était tout de même, relativement au bon sens, assez claire, et qu’il n’y a pas lieu de la préciser, comme c’est pourtant le projet indiqué par l’exposé des motifs. D’autre part si la question se résume à l’interprétation de cas particuliers, alors l’interlocuteur pertinent est le juge. Le point essentiel est là : si la loi ne parvient pas à poser des principes clairs, c’est tout simplement parce que ces questions ne sont pas du ressort de la loi.
Mais il n’est pas certain qu’ainsi tout soit dit, car le texte de l’exposé des motifs comporte encore quelques étrangetés. On lit en effet :
L’article L. 1111-4 du code de la santé publique reconnaît d’ores et déjà à tout malade un droit au refus de traitement. Toutefois celui-ci est enserré dans d’étroites limites, puisque si le refus ou l’interruption de traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables.
Il est difficile de savoir ce que les rapporteurs pensent de cette situation : ces étroites limites sont-elles une sage mesure ? Une attitude rétrograde ? Cette seconde hypothèse pourrait être la bonne, car le texte, décidément en forme de syllogisme, poursuit par la seconde prémisse :
Or, tant la prise de conscience des problèmes soulevés par l’interprétation de cet article que les enseignements tirés de ses propositions sur le renforcement des droits du malade en fin de vie ont convaincu la mission de la nécessité de préciser les droits du malade.
Dès lors on s’attend à voir proposer une évolution de la loi :
Aussi la présente proposition de loi complète-t-elle la deuxième phrase de l’article L. 1111-4.
Il aurait été simple d’inscrire dans la loi le principe de souveraineté du malade sur sa propre santé, voire sa vie. La formulation d’un tel principe n’aurait pas été évidente, mais après le ridicule auquel on a consenti en légiférant sur un droit à la dignité, on n’en était pas à une approximation près. Or rien de tel ne se produit, et si le texte introduit cette notion de souveraineté il ne le fait que de manière implicite, et dans une formulation qui laisse pantois.
Dans la situation où le malade conscient,
Comment peut-on parler ainsi ? N’y avait-il donc pas de gériatre pour rappeler que jusqu’à nouvel avis les déments sont conscients ? Ou de psychiatre pour rappeler que les malades mentaux sont conscients ? Que compte-t-on faire en bâtissant un texte de loi sur un tel critère ?
qui n’est pas en fin de vie refuserait un traitement mettant sa vie en danger,
pour laisser passer un tel charabia il faut que les auteurs ne se soient même pas relus : on espère bien que le patient a le droit de refuser un traitement qui mettrait sa vie en danger ; il faut lire : (...) un traitement, mettant ainsi sa vie en danger (...).
le médecin pourrait faire appel à un autre membre du corps médical.
Et voici comment on introduit un principe fondamental : on n’en parle pas, on indique seulement la procédure à suivre. Tout de même une telle pudeur pose question.
Dans tous les cas, le malade devrait réitérer sa décision après un délai raisonnable. Tant le second avis médical éventuel que le déroulement d’un délai raisonnable de réflexion et l’obligation de réitération de la décision constitueraient de nouvelles garanties procédurales non négligeables.
À part quoi la procédure proposée est incontestablement fort bonne. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises :
Au surplus, en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement,
Que signifie cela ?
Certes le fait d’autoriser le malade à refuser tout traitement institue son droit à le faire, et nous voici rassurés. Mais le prix de cette institution est exorbitant : car le principe sur lequel ce droit est fondé n’est absolument pas la libre disposition de son corps par le patient, mais le quitus donné par l’autorité qui autorise. En somme le texte affirme peut-être le droit du patient à disposer de lui-même, mais il affirme avec au moins autant de force le vieux principe platonicien, repris par la position de l’Église la plus traditionnelle, de l’obligation de se soigner : à peine accordé le droit est dénié. Notons au reste que cette position n’est propre ni à ce texte ni à la France : la jurisprudence anglaise en est au même point.
le dispositif viserait implicitement le droit au refus à l’alimentation artificielle, celle-ci étant considérée par le Conseil de l’Europe, des médecins et des théologiens comme un traitement.
Et voici le passage qui a occupé et occupe encore tant de place dans le milieu des soins palliatifs. Réflexion faite, quand on considère l’immensité des problèmes non résolus par ce texte, on se demande si cette focalisation est bien réaliste. Notons ici quelques détails :
Ce n’est pas le Conseil de l’Europe qui dit cela, mais M. Carlos de Sola, Chef du service de la bioéthique au Conseil de l’Europe, qui au cours de son audition par la mission parlementaire a précisé que dans certains États membres, l’alimentation artificielle était considérée comme un traitement et qu’il partageait cette analyse. [10]
Le texte oblige à se demander quels sont les critères qui définissent le caractère artificiel d’une alimentation. Il suffit d’y réfléchir pour percevoir la redoutable complexité de cette question.
Il conviendrait également de faire la différence entre un soin et un traitement, point sur lequel le texte ne s’attarde pas.
Laissons maintenant l’exposé des motifs, et revenons au texte de l’article. Il indique, ce que la loi du 4 mars 2002 ne faisait pas, la procédure à suivre :
Il (le médecin) peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical.
Notons tout de même un point surprenant : le médecin peut faire appel à un confrère, il n’y est pas obligé. Voici qui vient compliquer singulièrement la proposition de l’exposé des motifs :
un médecin qui satisferait aux obligations de transparence et de collégialité ne serait pas pénalement responsable contrairement à celui qui s’en affranchirait.
Il faudrait tout de même décider si la collégialité est ou non une obligation.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10.
Notons ici encore deux points inattendus :
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant ; rappelons que cet alinéa entend pourtant traiter du cas du malade qui n’est pas en fin de vie...
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant ; écrire cela revient à écrire que la dignité du mourant peut se perdre. C’est là un choix philosophique extrêmement dangereux : une autre position serait de dire que la dignité est un attribut inaliénable, substantiel et non accidentel, de l’être-homme. Le danger est que si la dignité est une vertu contingente, alors elle est sujette à discussion, et dès lors on peut envisager des situations où, cette dignité étant perdue, il n’y a plus aucune raison de refuser l’euthanasie.
Le paragraphe évoque ensuite le cas du malade qui ne peut s’exprimer :
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
On ne peut mieux formuler (même si l’accord du dernier participe laisse un peu insatisfait). Mais on doit bien constater qu’il est nécessaire de prévoir le cas d’urgence, et que le simple fait de le prévoir ruine la cohérence de l’ensemble : qui juge de l’urgence ? Qu’est-ce qu’une urgence ? Si on veut appliquer fidèlement les principes dont nous disposons il faut dire que le médecin doit respecter la procédure et le désir d’abstention thérapeutique tant que la situation reste peu dangereuse. Mais dès que la question se pose réellement il est délié de cette obligation de sorte que, du fait même de ce déliement, il tombe dans l’obligation d’agir... Situation inextricable, assurément, et le texte n’est pas en défaut. Ce qui se passe c’est que ces problématiques ne sont tout simplement pas du ressort d’un texte.
Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.
On retrouve là la bévue qui fait parler d’un « traitement susceptible de mettre sa vie en danger » ; mais passons. Le texte cette fois est clair et le médecin ne peut arrêter le traitement sans avoir recouru à une procédure collégiale. Mais alors pourquoi ne pas l’avoir rectifié ? Pourquoi ne pas avoir harmonisé les deux paragraphes ?
Il en résulte une conséquence importante : puisque le médecin n’est pas obligé de prendre un avis confraternel, puisqu’il ne peut arrêter les soins sans avoir pris cet avis, on doit conclure qu’il n’est pas obligé de prendre cet avis quand il décide de poursuivre les soins. Le législateur a manqué là une occasion d’imposer une procédure collégiale en cas de risque d’acharnement thérapeutique.
En revanche le texte acquiert un point important : quand il ne dispose pas de la lucidité de la personne, le médecin ne peut de lui-même ni agir ni ne pas agir. Quoi qu’il fasse l’avis des proches est exigé.
Le paragraphe se termine en traitant des cas du mineur et des actions de recherche.
Suivent quelques articles non modifiés par la loi du 22 avril ; on va donc simplement les citer :
Le § 5 traite de l’autorisation parentale et de l’accord du mineur pour les soins indispensables. On retrouve là une partie de la problématique des Témoins de Jéhovah ; notons que la formulation ne règle rien (car elle ne peut rien régler) : comment détermine-t-on les « soins qui s’imposent » ? Il se termine d’ailleurs sur une curiosité : le mineur qui bénéficie à titre personnel d’une couverture sociale est traité comme un majeur. Ce point, qui résulte au demeurant de la loi du 4 mars 2002, a sans doute sa justification.
Le § 6 parle de la personne de confiance et des aidants.
Le § 7 organise l’accès à l’information.
Le § 8 organise l’hébergement des données.
Le § 9 donne au Conseil d’État le pouvoir de préciser les deux § précédents.
Le § 10 tire certaines conséquences du § 4 :
Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10.
Notons que cette disposition n’aurait en rien résolu le problème de Vincent Humbert, qui n’était pas en phase avancée ou terminale. Si on se trouve dans cette impasse, c’est parce que le texte persiste à amalgamer la situation du malade qui ne veut pas vivre sa fin de vie et celle du malade qui ne veut pas vivre sa vie. Le moyen de faire autrement ? Il n’y en avait aucun, sans doute, et le texte a fait du mieux qu’il a pu. Mais du coup il ne résout pas le problème posé ; il se pourrait même qu’il le complique.
Le § 11 institue les directives anticipées, mais il ne leur reconnaît aucun caractère contraignant :
Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment.
On peut se demander pourquoi le législateur a choisi de limiter ainsi le champ des directives anticipées. Il faut croire que, décidément, on peine à admettre la liberté de chacun de disposer de lui-même.
A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant.
Ici encore, un peu de précision n’aurait pas nui : ce n’est pas trop demander à un texte de loi que de prendre en compte l’état de démence ; les déments ne peuvent être dits inconscients, et du coup le texte ne leur est pas applicable. On aurait pu se souvenir du prix dont le Code Pénal a payé le fait que pendant des décennies l’atténuation de responsabilité n’était admise qu’en cas de « démence », excluant du même coup l’atténuation pour maladie mentale.
Un décret en Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées.
Il y a ici bien peu à dire. Ceci seulement : le délai de moins de trois ans semble bien peu réaliste, et il serait bien plus prudent d’exiger une durée beaucoup plus courte.
Le § 12 précise l’autorité de la personne de confiance :
Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L. 1111-6, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin.
Le § 13 tire les conséquences du § 4 dans sa dernière partie :
Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10.
LE RESTE DU TEXTE :
On l’a vu, les derniers articles visent à imposer un certain nombre de décisions de nature à favoriser le développement des soins palliatifs. Ce n’est pas l’objet de ce travail que d’en analyser le contenu de manière exhaustive. Notons cependant que pour l’essentiel le texte parle des lits identifiés et des médecins référents. On trouve là une expression nette la volonté de diffuser le plus largement possible les pratiques de soins palliatifs. Mais on peut être un peu déçu de ne trouver aucune référence aux unités de soins palliatifs, ni même aux équipes mobiles. Décidément ces rêves ne sont plus d’actualité.
QUELLE NOUVEAUTÉ ?
La loi du 22 avril 2005 représente-t-elle un progrès ? Ce n’est pas sûr.
Elle comporte assurément des aspects très positifs. Par exemple elle parle des directives anticipées, elle précise le rôle de la personne de confiance, elle donne suffisamment d’indications pour interdire pratiquement les décisions prises en solitaire. Mais même si on ne reviendra pas sur les imperfections, les approximations, les introductions inconsidérées de principes philosophiques discutables et dangereux, qu’on a signalées chemin faisant, cette loi pose trois problème redoutables :
CES POINTS NÉCESSITAIENT-ILS UNE NOUVELLE LOI ?
Cette première question est fondamentale. Car le fait de rédiger une loi suppose que la situation précédente posait des problèmes qui ne pouvaient être résolus sans elle.
Et cela demande à être argumenté.
Par exemple, peut-on poursuivre le médecin au titre de l’article 223 du Code Pénal ? [11]
Le médecin qui limite les soins pouvait-il être poursuivi pour non-assistance à personne en danger ?
La loi décrit l’infraction de non-assistance à personne en danger ; c’est l’article 223-6 :
Quiconque, pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
On voit bien de quoi ce texte entend parler : il s’agit du devoir d’aider une personne attaquée, de ne pas se désintéresser du sort d’un malade ou d’un accidenté ; il envisage en gros la situation des personnes qu’on pourrait sauver, et ne mentionne ni la question des malades en fin de vie ni celle de l’action des médecins. Ce que le texte dit, c’est qu’il importe que tout individu qui voit un autre dans une situation de danger fasse tout ce qui est en son pouvoir pour écarter ce danger.
Il est absurde de tirer du texte sur la non-assistance à personne en danger la notion que le médecin est condamné à maintenir les gens en vie : non seulement ce n’est pas le projet du texte, qui a été écrit pour parler d’autres situations, mais encore le devoir d’assistance ne se réduit pas à la préservation de l’existence : il y a place dans la loi pour le respect de la volonté d’autrui et la prise en compte de la qualité de sa vie. Par contre il est évident que de nombreux combats devront se mener, y compris dans les prétoires, pour qu’en tant que de besoin la jurisprudence évolue : il doit être clair en effet que les situations d’abandon thérapeutique ne relèvent pas de cet article du Code Pénal.
Ou encore, peut-on opposer au médecin l’article 223-1 ?
Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Il semblerait donc que la loi impose de lutter contre tout risque de mort ou de blessures. Mais là aussi le texte est bien plus nuancé : il parle de la violation « d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». On voit bien que le Code Pénal a ici en vue le problème des homicides par imprudence, ce qui semble désigner plutôt les négligences et imprudences sur le lieu de travail, dans les lieux publics, etc. Il ne mentionne en rien le problème de l’action des médecins, à laquelle il ne peut donc s’appliquer, comme le précédent qu’en le forçant passablement. Ce que le texte dit, c’est que les règles de sécurité imposées par la loi doivent être respectées.
Mais on voit aussitôt que nous n’avons aucun texte pour nous dire quelles sont les « règles imposées par la loi » dans le domaine dont nous débattons ; et cela se comprend aisément si on considère que le texte vise en réalité les homicides par imprudence. L’écart est trop grand, il y a trop peu en commun entre la notion d’homicide par imprudence et l’abandon thérapeutique : quoi de commun entre une situation engendrée par un défaut d’analyse et une autre engendrée par une décision mûrement réfléchie ? Il faudrait alors considérer qu’il s’agit d’un homicide volontaire, ce que personne n’a jamais fait. C’est donc la jurisprudence et non la loi qui a charge de dire ce qu’il en est dans la pratique, et de dire dans quelles circonstances l’article 223-1 devra ou non être appliqué. Et il est absurde de tirer de cet article la notion que le médecin est condamné à maintenir les gens en vie. Bien au contraire il y a place dans la loi pour le respect de la volonté d’autrui et la prise en compte de la qualité de sa vie. Par contre il doit devenir clair que les situations d’abandon thérapeutique ne relèvent pas de cet alinéa du Code Pénal.
Peut-on enfin lui opposer les articles 223-3 et 223-4 ? Le délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Le délaissement qui a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente est puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Le délaissement qui a provoqué la mort est puni de vingt ans de réclusion criminelle.
Ici s’imposent les mêmes remarques que celles qu’on a faites à propos de l’homicide par imprudence : le texte en question a visiblement en vue tout autre chose que l’action des soignants, et se propose de réprimer les maltraitances envers les enfants, les malades mentaux, les personnes âgées. Tel quel il serait d’ailleurs inutilisable : comment doit-on agir dans le cas, si fréquent en pratique médicale, de ces personnes qui vivent dans des conditions précaires mais qui revendiquent la liberté de le faire ? En quoi ce texte pourrait-il être invoqué pour s’opposer à la volonté d’un patient qui refuserait les soins qu’on lui propose ? Ici encore l’écart est trop grand, et on ne saurait appliquer tel quel un texte destiné à réprimer la maltraitance à des situations d’abandon thérapeutique ; ce serait d’autant plus absurde que ces maltraitances se commettent contre le désir de leurs victimes alors que dans les situations dont nous parlons le « délaissement » se produirait sur leur demande. Si donc on tient à appliquer à ce type de situation les dispositions pénales ci-dessus, c’est là encore à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser les modalités de cette application, et c’est sur ce terrain que les combats nécessaires devront être menés.
Bref on voit que l’article 223 n’a jamais eu pour objet l’activité des médecins, à laquelle il ne peut s’appliquer que par raccroc ; or il est toujours aventureux, et passablement douteux, de vouloir utiliser un texte pour des situations auxquelles il ne songeait pas. On voit que c’est de manière totalement abusive qu’on a tenté de le mettre en avant, et c’est probablement cela qui explique la rareté des procédures réellement engagées contre les médecins à ce titre dans des affaires d’abandon thérapeutique.
Fallait-il affirmer un droit spécifique de la personne malade à décider la limitation de ses soins ? L’article 11 de la loi du 4 mars 2002 disait pourtant :
Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
N’était-ce donc pas suffisant ?
À la réflexion la situation législative antérieure à la loi du 22 avril était parfaitement claire. Et nous devons alors nous demander ce qu’implique le fait d’avoir cependant rédigé une nouvelle loi. Car on ne rédige pas impunément une loi à la légère : il y faut au contraire de solides raisons. La première chose que dit la loi du 22 avril 2005 c’est qu’elle était nécessaire, reconnaissant par là que les textes dont nous disposions n’étaient pas satisfaisants.
Et tout le problème, précisément, est là. Car à bien les considérer ces textes se suffisaient parfaitement ; fallait-il encore les lire, et les lire avec honnêteté. En réalité les questions relatives à la fin de vie sont, du point de vue juridique, aussi claires que possible depuis longtemps. Le travail qu’il aurait fallu mener était un travail d’explication des textes, de réflexion sur la jurisprudence ; il aurait fallu comprendre pourquoi certains ne comprenaient pas, pourquoi certains tenaient à dramatiser le débat en utilisant l’article 223 du Code Pénal à contresens.
À QUOI CETTE LOI VEUT-ELLE RÉPONDRE ?
Le simple fait, donc, de rédiger une loi implique qu’on reconnaît la nécessité de le faire ; par ailleurs on a vu que la loi du 22 avril s’élabore explicitement en référence à une actualité.
Du coup la position des partisans d’une loi sur la légalisation de l’euthanasie voient d’une manière quasi mécanique leur position se renforcer : oui, la législation antérieure était insuffisante ; oui, les événements récents en sont la preuve. La loi du 22 avril vient de leur offrir en une seule fois l’opportunité de la bataille et le choix du terrain.
Il était dangereux de rédiger cette loi parce que c’était convenir qu’il en fallait une ; et dès lors qu’on a admis ce point la lutte peut s’engager pour dire ce qu’il faut y mettre. Les militants de l’ADMD ne s’y sont pas trompés, qui ont fait somme toute bon accueil à la loi tout en commentant qu’il aurait fallu encore un petit effort (de fait on a vu chemin faisant quelles vastes brèches le texte de loi ouvre dans des principes qui étaient autant de remparts : la pire est sans doute d’avoir inscrit dans la loi que la dignité peut se perdre).
Mais il y a plus grave encore. Car il s’en faut de peu que la loi ne s’appelle « Loi Vincent Humbert », tant est évident le lien chronologique. Agir ainsi c’est dire tout à la foi que la loi du 4 mars 2002 n’aurait pas permis de résoudre le problème posé, et que la loi du 22 avril 2005 le permet.
Or, on l’a vu, la loi du 4 mars 2002 stipulait :
Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
Il suffisait pour résoudre le « cas Vincent Humbert » de s’entendre sur ce qui est soin et sur ce qui ne l’est pas. La loi du 22 avril ne modifie aucun principe sur ce point, elle n’en parle pas, se contentant de renvoyer à d’autres réflexions, et elle n’introduit que des notions (importantes) de procédure. Elle ne rend possible rien de ce qui ne l’était pas avant.
Nous nous trouvons donc dans cette situation inconfortable : non seulement la loi du 22 avril n’était pas nécessaire pour résoudre le cas Vincent Humbert, mais encore elle affirme haut et fort qu’elle l’était, à telle enseigne qu’elle prétend l’avoir résolu. Une telle prise de position ne peut être dénuée de conséquences.
Si la loi du 4 mars 2002 ne suffisait pas à résoudre le cas, c’est que la lecture que nous en faisons est fausse. Soit, admettons ce point. Mais alors il faut expliquer en quoi l’erreur consiste, et pour le moment personne ne semble en mesure de le dire. Par ailleurs nous tomberions immédiatement dans une grande difficulté car la loi du 22 avril, relativement à l’expression de la volonté du malade et au respect qui lui est dû, n’apporte aucun élément nouveau. Sur ce point, ce que la loi du 4 mars 2002 ne résout pas la loi du 22 avril 2005 ne le résout pas davantage.
Cela aboutit à faire du « cas Vincent Humbert » un cas d’exception, hors normes, impossible à traiter avec les moyens législatifs actuels, et nécessitant une procédure particulière. C’est précisément cela que demandent les partisans d’une légalisation de l’euthanasie.
Cela aboutit à dire que la loi du 4 mars 2002 ne traitait pas du droit du malade à disposer de lui-même. Il reste alors à expliquer ce que signifie :
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne
Cela aboutit enfin, et peut-être surtout, à installer les protagonistes de l’ « affaire Vincent Humbert » en juges implicites de la situation. Car la question est alors de savoir si sous le régime de cette loi ils auraient pu répondre à la demande du malade dans des conditions satisfaisantes.
On ne pouvait ouvrir plus grandes les portes à une nouvelle attaque. Et c’est bien ce qui est en train de se passer. Du coup le fait que le texte de loi ne prononce même pas le mot d’euthanasie se retourne contre les auteurs, tant ce parti pris de silence se révèle intenable.
FALLAIT-IL UNE LOI ?
Mais le pire est peut-être ailleurs. Car le simple fait de vouloir résoudre de tels problèmes par la loi implique que, précisément, on tient la loi pour un instrument adapté en cette matière.
Or c’est probablement là le point le plus dangereux.
Une loi est un texte sur lequel on se met d’accord pour répondre à un type donné de question. La condition pour pouvoir écrire une loi est que la question posée présente un caractère général. Lors d’une réunion de soutien aux soignants mis en cause dans l’affaire d’euthanasie en Dordogne, un participant disait : « Il faut une loi, mais il faut l’appliquer au cas par cas ». Le problème est qu’il s’agit là à la fois d’une position de bon sens et d’une ineptie : la loi n’est pas faite pour être appliquée au cas par cas, on fait l’un ou l’autre. Il n’est de loi que du général, les affaires singulières se nomment des cas de conscience.
Les affaires d’euthanasie sont toujours exceptionnelles. Il s’agit de situations dramatiques, singulières, qui demandent à chaque fois une analyse complète ; et c’est bien d’ailleurs ce que la loi exprime en établissant une procédure contraignante. Mais si elles sont exceptionnelles, alors il suit qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une loi. Il faut se résigner à choisir.
Si on veut une loi sur l’euthanasie il faut montrer que les situations qui l’appelleraient se ressemblent. C’est ce que cherchent à faire les tenants d’une légalisation de l’euthanasie ; et il convient de méditer devant la contradiction qu’ils doivent assumer : ils doivent à la fois invoquer la liberté de l’individu et ramener les cas qu’ils veulent contribuer à résoudre à une sorte de généralité.
Et si on ne veut pas tomber dans cette difficulté, alors il reste à écrire la loi du 22 avril 2005 : elle laisse totalement la question en l’état et elle se borne, ce qui n’est déjà pas si mal, à décrire les conditions dans lesquelles elle peut être traitée au cas par cas.
Mais si c’est cela qu’on a voulu faire, alors il faut renoncer à dire que la loi apporte du nouveau sur le fond. Et il faut admettre que l’apport de la loi est simplement le cadre méthodologique. Compte tenu des effets indésirables, dont chemin faisant on a parlé, résultant du simple fait qu’on a promulgué une loi, et sans préjudice des imprécisions grosses de dangers dont le texte se révèle porteur, c’est cher payé.