Mais qui donnera la mort ?LE MONDE | 13.12.2012 à 16h44• Mis à jour le 14.12.2012 à 11h19Par Vianney Mourman, médecin responsable de l'équipe de soins palliatifs à l'hôpital Lariboisière (Paris)
b]Je suis médecin en soins palliatifs dans un grand hôpital parisien. Je suis tous les jours en relation avec des patients en fin de vie. A quelques jours de la remise du rapport sur la
fin de vie demandé, par saisine du président de la République, au professeur
Didier Sicard, je m'interroge sur ce qui paraît inéluctable à plus ou moins court terme : la légalisation de l'euthanasie. Cette idée est confortée par les sondages qui estiment à 92 % la proportion de Français favorables à cette légalisation.[/b]
Au quotidien, je suis confronté aux souffrances des patients. Ils s'interrogent sur le sens de leur vie, de leur maladie et aussi sur ce qu'ils sont en train de
vivre du fait de leur état de santé vacillant et de la confrontation avec leur finitude. Parmi ces patients, la plupart demandent à
vivre, à
gagner du temps. Ce temps qui leur est volé par la maladie et par ces souffrances qui les empêchent de le
vivre.
D'autres, peu nombreux, demandent à
mourir. Se pose pour moi le sens de leur demande : ne plus
vivre comme ça, ne plus y
trouver de sens, être dans l'appréhension de la souffrance, de la déchéance
physique, de l'incapacité des médecins à
trouver la juste mesure dans les traitements. Je l'entends comme un appel au secours qui justifie que tous les moyens soient mis en place pour atténuer leurs souffrances et ces moyens correspondent à ce que proposent les soins palliatifs.
Parfois, malgré cela, la demande de mort persiste et justifie d'être entendue. C'est dans ce cadre que serait justifiée l'euthanasie. Que serait l'euthanasie ?
Donner la mort au patient, à sa demande ? Cela paraît simple... Et quelles en seraient les attentes ? Une bonne mort ? Une mort sans symptômes ? Vision idéaliste...
Mourir, que ce soit programmé, désiré ou subi, restera un moment difficile, inacceptable.
Donner la mort est d'un autre domaine. Cela va contre le serment d'Hippocrate que j'ai prêté et le code de déontologie auquel je me suis soumis et auquel j'adhère. Cela renvoie à
passer outre un interdit fondateur de notre société. Celle-ci peut-elle
octroyer le droit de
donner la mort ? Les chiffres publiés par l'Institut national d'études démographiques et l'Observatoire de la fin de vie montrent que la demande de mort est rare en fin de vie.
Qui, des 92 % des Français souhaitant la légalisation de l'euthanasie, connaît la loi Leonetti relative à la fin de vie, ce qu'elle apporte comme solution pour le soulagement de ces souffrances ? Qui, parmi eux, a déjà réfléchi à ce qu'est une obstination déraisonnable ? Qui sait que la loi nous autorise et nous incite à
soulager le patient en fin de vie quelles qu'en soient les conséquences en termes de risque d'abrégement de la vie ? Qui, encore, sait que le droit, pour tout patient dont l'état le requiert, à
avoir accès aux soins palliatifs est bafoué à cause du manque de moyens et de formation ? Cette loi est méconnue et, de ce fait, peu ou pas appliquée ; pourtant, elle apporte des solutions aux situations extrêmes rencontrées par les patients.
UN DÉSIR SOCIÉTALSi la société autorise l'euthanasie, qui en sera le bras
armé ? Le médecin ? Les professionnels de santé ont choisi leur métier dans un espoir de guérir, de protéger la vie, et il leur reviendrait de l'abréger ? Cela me paraît contradictoire. Pourquoi, puisque c'est un désir sociétal, ne pas
demander aux membres de cette société d'y
participer ? Pourquoi ne pas
demander à chacun d'entre nous au nom de qui ce droit serait donné de
participer à cet acte d'euthanasie ? Un citoyen tiré au sort, par exemple. Il devrait
assumer la réalité et la responsabilité de l'acte qu'il a autorisé et non pas le déléguer à l'autre, le professionnel.
Il me semble que le débat sur une légalisation de l'euthanasie est prématuré. Il introduirait un fort risque de déstabiliser notre collectivité en donnant un
pouvoir de vie et de mort à l'un des siens. La première urgence, pour moi, consiste à
donner des moyens pour améliorer la fin de vie en affirmant une volonté de notre société de
soulager les souffrances.