Au premier étage d’un bâtiment en briques, un souffle s’échappe par une porte entrouverte. Celui d’un patient atteint d’un cancer du poumon en phase terminale, arrivé jeudi dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital René-Dubos, à Pontoise (Val-d’Oise). "Il avait tellement mal qu’il ne pouvait plus le dire. Grâce à une pompe à morphine, quand il souffre, il se soulage. Il n’en a que pour quelques jours, mais il va être capable de voir son fils de 11 ans, qui sera reçu par un psychologue. Cela nous laisse le temps d’anticiper, de voir avec sa femme comment s’organiser avec un salaire en moins", explique le Dr Bernard Devalois, qui dirige le service. Une vingtaine d’intervenants – infirmières, aides-soignants, médecins, réflexologue… – s’y activent jour et nuit. Dix hommes et femmes de 42 à 90 ans y séjournent. Tous ne mourront pas ici. "On ne gère que les cas les plus complexes, mêlant douleur, précarité, difficultés familiales. On ne sauve pas des vies, on fait en sorte que ce soit moins pire."
La loi Léonetti de 2005 a ouvert ce droit aux soins palliatifs à tout patient atteint de maladie grave évolutive mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée. C’est un ensemble de pratiques pluridisciplinaires destinées à prendre en charge la douleur physique et psychique du malade jusqu’à la mort. Mais aussi à accompagner ses proches. Si cette loi interdit l’euthanasie, elle interdit aussi tout acharnement thérapeutique. Le patient peut ainsi exiger l’arrêt de son traitement, même vital, et le médecin doit respecter sa volonté. S’il n’est pas en état d’exprimer son souhait, le malade peut avoir rédigé des "directives anticipées" ou confié son désir à une "personne de confiance". La famille peut aussi demander l’abandon du traitement si elle juge l’obstination déraisonnable. La décision appartient alors au médecin, après consultation de plusieurs avis. Jusqu’au bout, le malade peut continuer de voir sa douleur soignée, même si ce traitement abrège sa vie.
Tous les ans, 15.000 à 20.000 "euthanasies clandestines"
Faut-il réformer la loi? Selon les intervenants en soins palliatifs, le texte répond à la quasi-totalité des cas. L’urgence serait de l’appliquer et de le faire connaître des familles et des personnels de santé. Chaque année, 150.000 à 200.000 personnes qui décèdent de maladies lentes auraient besoin d’un accompagnement palliatif. Or seulement 20% des Français qui meurent à l’hôpital en bénéficient, selon un rapport de l’Igas de 2010. Parfois, ces soins ne sont même pas proposés, et les patients ignorent l’existence des « directives anticipées ». Selon la gravité des cas, la prise en charge peut se faire à domicile ou à l’hôpital jusqu’à l’admission dans une unité de soins palliatifs (USP). Il en existe 107 en France. Pour le Dr Devalois, il faudrait y doubler le nombre de lits pour accueillir 15.000 à 20.000 personnes par an.
L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) estime que 15.000 à 20.000 "euthanasies clandestines" se produiraient chaque année. Elle souhaite donc sortir de l’hypocrisie et offrir une alternative légale aux patients condamnés qui réclament une "aide active à mourir » par absorption d’un produit létal. Ils seraient 4.000 chaque année selon l’ADMD. En dix ans de pratique, Anne Richard n’a été confrontée qu’à trois demandes. "Globalement, nos patients ont tous envie de vivre. Quand on règle la douleur ou l’angoisse, la demande cesse", explique la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. "Face à certains cas insolubles, une équipe peut être amenée collectivement à décider d’une euthanasie, mais cela doit rester une transgression." Chaque année pourtant, des centaines de conflits opposent ceux qui désirent en finir et ceux qui poussent à l’acharnement.
Mais comment connaître la volonté du patient lorsque celui-ci n’est plus en état de l’exprimer? "L’euthanasie n’est ni de gauche ni de droite. Ce qu’on demande, c’est de l’humanité, un recours au cas par cas", explique Laura de Somer, 26 ans, dont le frère Eddy est dans un état végétatif depuis un accident en 2001. "Cette vie-là, vaut-elle la peine d’être vécue? On se sent seuls et impuissants." Anne Richard jugerait utile un débat apaisé autour du suicide assisté pour certains patients, sans risquer d’ébranler le fragile équilibre de la loi Léonetti. Le 15 février, le rapport de l’Observatoire national de la fin de vie présentera une étude consacrée aux demandes d’euthanasie. Des éléments factuels pour peut-être, sortir d’une opposition stérile.
Juliette Demey - Le Journal du Dimanche
dimanche 12 février 2012