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| Société Française d'Anesthésie et de Réanimation | |
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| Sujet: Société Française d'Anesthésie et de Réanimation 19.02.12 23:13 | |
| Fins de vie, euthanasie : éléments de réponse du groupe de réflexion éthique de la Sfar
Mis en ligne le 17 Mars 2004 et modifié le 06 Octobre 2011
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La Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), a longtemps été réticente à la création d’un " Comité d’éthique " en son sein, considérant que la diversité des points de vue était la meilleure garantie de l’éthique. Qu’il s’agisse du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ou des Comités consultatifs pour la protection des personnes se prêtant aux recherches biomédicales (CCPPRB), une telle diversité a été à la base de la constitution de ces institutions. En conséquence, les membres de la Sfar ont plutôt été encouragés à participer à celles-ci, plutôt qu’à se regrouper dans un cercle restreint aux anesthésistes-réanimateurs. Avec le temps, le besoin s’est toutefois fait sentir de mettre en commun ces expériences et de constituer, non pas un " Comité " mais un " groupe de réflexion ", afin d’explorer des pistes plutôt que de fournir des solutions toutes faites. Un tel groupe a donc été créé en septembre 2000, a poursuivi une réflexion sur les traitements " devenus vains " en réanimation (1), proposé d’envisager la révision de la loi Huriet-Sérusclat en terme de protection des personnes plutôt que de facilitation de la recherche (2), aidé à l’élaboration de recommandations sur l’informations aux patients de réanimation et à leurs proches (3), publié un éditorial et un communiqué rappelant quelques règles juridiques de base (4-5). Un des siens a dû répondre, non pas au nom de la Sfar mais du CCNE dont il est membre, aux questions posées par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : 1) A-t-on le droit de choisir sa mort ? 2) Peut-on déléguer le droit de mourir à un tiers ? 3) Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ? 4) Les soins palliatifs peuvent-ils être la seule réponse à une demande d’euthanasie ?
Le Groupe de réflexion éthique de la Sfar s’est saisi de cette occasion comme base d’une réflexion plus profonde sur les fins de vie. Les éléments de réponse élaborés ont été soumis successivement, au Conseil d’administration le 2 février 2004, aux remarques et propositions des anesthésistes-réanimateurs concernés, via Internet et les différentes institutions de la Sfar (Comités Lutte contre la douleur, Réanimation, Scientifique, Vie Professionnelle, Urgences, Référentiels, Evaluation...), ainsi qu’à certaines personnalités extérieures à la profession. Suite à ces enrichissements, le Groupe a réalisé une synthèse, qui est le présent texte, approuvé par le Conseil d’administration du 12 mars 2004. Il ne s’agit toutefois pas d’une position figée, mais de l’état actuel d’une réflexion qui se poursuit.
L’objectif pour la Sfar est de pouvoir se déterminer au sein du débat qui se tient à l’échelon national et de décider, en conscience, du type et de la nature de son implication. En effet, si certaines considérations ne relèvent pas d’une réflexion purement médicale, d’autres au contraire résultent de l’expérience acquise au contact des personnes qui souffrent ou d’études scientifiques réalisées dans le but de mieux soulager ces personnes. A titre d’exemple, il est suggéré, vers la fin de ce texte, de lutter contre l’application de la théorie du " double effet " à l’utilisation de la morphine ou de ses dérivés, en mettant en avant moins des considérations morales faisant état de son hypocrisie, que les études montrant tant l’absence de fondement de cette théorie en la matière que sa nocivité : les doses éventuellement fortes n’entraînent pas la mort lorsqu’elles sont proportionnées au niveau de douleur, cependant que cette crainte, par le patient ou par son médecin, prive de nombreuses personnes d’un traitement efficace. La lutte contre la douleur, qui est un objectif naturel de la Sfar, passe par la levée de telles ambiguïtés. Au-delà des aspects techniques, la réflexion a porté sur des confusions plus fondamentales, qui gênaient la discussion, afin d’éviter de confondre : 1) arrêt de traitements devenus vains et euthanasie, deux sujets radicalement différents ; 2) raisonnements éthique et juridique, la notion éthique d’" exception d’euthanasie " n’entrant pas en contradiction avec celle de sanction prévue par la loi ; 3) euthanasie et assassinat, dès lors que le trouble social provoqué par ces deux comportements n’apparaîtrait pas de la même importance. En tous cas, ce n’est qu’après avoir clarifié ces différentes questions qu’il devient possible de poursuivre une réflexion collective sur l’accompagnement des personnes en fin de vie ou demandant qu’il soit mis fin à celle-ci.
1. A-t-on le droit de choisir sa mort ?
Avant de traiter cette question, il est apparu qu’il convenait de relever l’indétermination de la notion de « droit ». Une distinction mérite en effet d’être établie entre un droit de faire telle action, de prendre telle décision, et un droit à telle situation, tel objet. Le problème n’est pas le même selon que serait consacré un droit de choisir sa mort (au sens où il faudrait prévenir les atteintes portées à la liberté de choisir telle mort plutôt que telle autre), ou un droit à choisir sa mort, qui obligerait à « rendre possible », à « faciliter » une capacité qu’aurait chacun à mourir comme il l’entend. D’un côté, il existe un problème de liberté individuelle et, dans la mesure où cela n’engagerait personne d’autre (cf. remarque suivante), une telle restriction de liberté apparaît inenvisageable puisque le suicide ne fait pas l’objet de poursuites pénales. De l’autre côté il existe un problème de créance, qu’il semble difficile de consacrer au même titre que celle du droit à la santé ou au logement, puisqu’elle reviendrait à rendre des tiers ou l’État débiteur de la mort de la personne qui le souhaiterait, avec une obligation légale de répondre à ses exigences sur la nature de sa mort. Cette question n’engage donc pas uniquement la personne qui choisirait sa mort : elle engage aussi au moins un tiers, dès lors qu’on dépasse la question de la seule liberté individuelle. En d’autres termes, si la question était formulée : « a-t-on le droit de choisir de mourir ? », la réponse pourrait être OUI, à condition qu’un tiers ne soit pas impliqué dans la réalisation de ce choix, une telle implication correspondant en réalité à la question n° 2, où le « droit de mourir » s’oriente vers un « droit de faire mourir ». Dès lors que la question posée est : « a-t-on le droit de choisir sa mort ? », la réponse ne peut qu’être négative, puisqu’un tel intitulé implique un devoir, qui pourrait être fait à un tiers, de provoquer la mort de la personne ayant fait ce choix, au moment et de la façon choisis par cette personne. A ce stade du raisonnement, il reste admis que la personne a le droit de choisir de mourir, mais que la réalisation de sa volonté lui incombe. Il y a lieu toutefois de distinguer la réalisation par un tiers et l’accompagnement de la personne ayant choisi de mourir. Un tel accompagnement par des tiers est susceptible d’exposer ceux-ci aux peines prévues par l’article 223-6 du Code pénal, du fait de l’abstention volontaire à porter assistance à une personne en péril. Si le droit de choisir de mourir était reconnu, il conviendrait de préciser les conditions qui feraient que l’accompagnement de ce choix par des tiers pourrait ne pas être pénalement répréhensible.
En résumé, une lecture rapide de la question pourrait entraîner une réponse positive, mais la réflexion sur les implications d’une réponse positive à la question précise posée conduit à y répondre négativement tant qu’il n’a pas été répondu à la question n° 2.
2. Peut-on déléguer le droit de mourir à un tiers ?
La réponse nous semble devoir être NON, après avoir pris en considération deux situations différentes.
2.1. Celle où la personne, apte à exprimer sa volonté, ferait cette demande dans une situation où son application pourrait être proche. La première raison de cette réponse négative est que la demande de mort est bien souvent, en réalité, une demande d’« autre chose » : moins de douleur, moins de solitude, et il conviendrait d’insister sur ces éléments fondamentaux plutôt que de centrer la réflexion sur une opposition vie/mort, très simplificatrice. L’essentiel de l’effort à fournir devrait porter sur la recherche des raisons de cette demande, afin de tenter d’y porter remède, plutôt que sur la légitimité à y répondre. A titre d’exemple, le jeune Vincent Humbert avait invoqué les difficultés matérielles de sa mère pour justifier sa demande auprès des plus hautes autorités de l’État. Plus généralement, les enquêtes sur le sujet « accompagnement et fin de vie » montrent que plus des trois quarts des personnes interrogées se disent favorables à l’euthanasie, mais que la demande de mort s’effondre vers 1-2 % après une prise en charge de la douleur et un accompagnement corrects.
Il y a lieu cependant d’examiner l’hypothèse d’une demande réelle, une fois épuisés tous les moyens possibles de remédier aux souffrances physiques ou morales de la personne. En particulier, le cas de personnes physiquement très handicapées (tels des tétraplégiques) mérite qu’on s’y arrête, l’arrière-pensée étant qu’elles n’auraient pas la capacité physique de mettre fin à leurs jours. Toutefois le maintien en survie de ces personnes nécessite des soins et l’expérience montre que, lorsque ces personnes les refusent, il n’est pas possible de les maintenir en vie. Or, une personne pouvant exprimer une demande d’euthanasie peut exprimer un refus de soins. Un tel refus étant inscrit à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, mieux vaudrait travailler sur l’application de la loi existante, en commençant par sa pédagogie, plutôt que d’en ajouter une. Sur un plan médical, une personne capable de décider de mourir pourrait ainsi choisir de le faire, sans avoir à déléguer cet acte à un tiers. L’extension de la logique de ce point peut également représenter un argument contre les « testaments de vie », abordés au point suivant. Enfin, la suspension des soins refusés peut entraîner un inconfort, auquel il convient de chercher un remède, discuté avec la personne, ce que permet le dispositif légal et réglementaire actuel, mais mérite d’être approfondi par les professionnels et des représentants des patients.
2.2. Celle où la personne ferait connaître à un proche les situations dans lesquelles elle préférerait qu’il soit mis fin à ses jours. Il est fréquent que les demandes, écrites ou verbales, faites lorsqu’elles ne risquent pas d’être rapidement suivies d’effet, soient remises en cause lorsque la question se pose réellement. Dès lors, seule l’expression de la volonté de la personne capable de l’exprimer, au moment où le problème se pose, peut éventuellement s’imposer, ce qui a été précédemment évoqué (§ 2.1.). Ceci ne signifie pas pour autant que de telles demandes préalables ne doivent pas être entendues. L’expérience montre que l’expression de la confiance et de l’engagement demandé de manière solidaire au proche est généralement de l’ordre du : « si tu me vois dans tel état, sache que je considère que la vie ne vaut plus d’être vécue : tu feras pour moi comme s’il s’agissait de toi ». Si la personne n’est ensuite plus en état de faire connaître sa volonté (parce qu’elle est dans le coma par exemple), la demande antérieure ne peut, à elle seule, être considérée comme appropriée à la situation présente, mais mérite d’être prise en compte, notamment dans les décisions médicales.
3. Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ?
Avant de répondre à cette question, il convient de s’entendre sur le mot « euthanasie », puis d’envisager la notion « d’exception », très débattue depuis l’avis du CCNE (6). L’absence de définition claire de l’euthanasie favorise la manipulation de certains résultats d’enquête, notamment par les médias. L’amalgame entre des actes parfaitement licites (abstention de thérapeutiques dénuées d’espoir raisonnable, parfois dénommée « euthanasie passive ») et des actes qui ne le sont pas, tend à accréditer l’idée que l’euthanasie serait répandue, alors qu’il est impossible de quantifier un phénomène non préalablement défini avec précision. « L’espace de débat sur l’euthanasie » initié par le Ministère de la justice sur son site Internet ne fournit pas de définition formelle mais indique : « La notion d’euthanasie est susceptible de recouvrir des réalités très différentes : l’arrêt des soins en fin de vie ; l’abstention volontaire par le corps médical de mettre en place des traitements dont la lourdeur paraît disproportionnée par rapport aux résultats qu’on peut en attendre ; le « suicide assisté ». Un tiers, à la « demande » de l’intéressé et pour soulager ses souffrances, provoque la mort du malade ; le droit à l’interruption de vie. Une personne en bonne santé anticipe les conditions dans lesquelles elle souhaite qu’il soit mis fin à sa vie (par exemple en cas de maladie très grave). »
La première proposition ne correspond pas à l’euthanasie et ne nécessite pas de disposition législative particulière. On peut simplement noter que « les soins » sont probablement compris dans un sens étroit (celui de thérapeutiques actives destinées à prolonger la vie), alors que, dans leur sens habituel et large, les soins sont toujours poursuivis jusqu’à la fin (soins d’accompagnement, de prise en charge de la douleur, de l’anxiété voire de la dépression, d’hygiène et de confort de vie). L’arrêt de traitements curatifs n’est en effet pas synonyme d’abandon médical, mais de changement d’orientation de l’activité, vers des soins palliatifs.
De même, la seconde proposition n’est pas non plus de l’euthanasie, mais plutôt une prescription de l’article 37 du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, son non-respect pouvant s’apparenter à de « l’acharnement thérapeutique » ou à de « l’obstination déraisonnable ». La réponse à ces deux propositions rejoint l’avis du CCNE (6) qui précisait :
« On ne cachera pas que, dans ces divers cas, la décision médicale de ne pas entreprendre une réanimation, de ne pas la prolonger ou de mettre en œuvre une sédation profonde - que certains qualifient parfois d’euthanasie passive - peut avancer le moment de la mort. Il ne s’agit pas d’un arrêt délibéré de la vie mais d’admettre que la mort qui survient est la conséquence de la maladie ou de certaines décisions thérapeutiques qu’elle a pu imposer. En fait, ces situations de limitations des soins s’inscrivent dans le cadre du refus de l’acharnement thérapeutique et ne sauraient être condamnées au plan de l’éthique. Sans soutenir la participation à un suicide assisté ou à une euthanasie active, l’acceptation de la demande de restriction ou de retrait des soins actifs de la part d’un patient adulte, pleinement conscient et justement informé semble valide selon le principe éthique d’autonomie. » La dernière proposition correspond plutôt à ce qui a été évoqué au paragraphe 2.2. du présent texte (personne faisant connaître à un proche les situations dans lesquelles elle préférerait qu’il soit mis fin à ses jours).
La définition retenue est donc la troisième : Un tiers, à la « demande » de l’intéressé et pour soulager ses souffrances, provoque la mort du malade.
Il est à noter que cette définition ne comporte pas de tiers médecin, ce qui est important. Ce débat n’est en effet pas médical, mais « sociétal ». Quelle que soit la décision du législateur, il importe qu’il ait conscience que la fonction du médecin dans la société ne saurait être de donner la mort. Il accompagne le patient, mais en aucune circonstance ne se substitue à celui-ci ou à une personne de confiance. Il est essentiel qu’aucun doute ne puisse s’instaurer dans la société à l’égard de la fonction du médecin ou du personnel soignant.
Toutefois, même si la question n’est pas principalement médicale, elle ne doit pas être éludée. Si la question était formulée : « faut-il autoriser l’euthanasie ? », la réponse serait NON. La société a besoin de repères simples et le fait qu’elle sanctionne l’homicide en est un. Il existe en effet des risques importants que l’acceptation de l’euthanasie apparaisse comme un signal selon lequel la société trouverait là un moyen peu onéreux de résoudre des questions qui la dérangent. Ceci rejoint l’avis du CCNE (6) :
« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de vie des individus. » Mais la question posée est : « Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ? », renvoyant donc à l’expression utilisée par le CCNE (6) :
« L’acte d’euthanasie devrait continuer à être soumis à l’autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s’il était présenté comme tel par son auteur. Une sorte d’ exception d’euthanasie (...) » De fait, cette expression est étroitement associée à celle « d’engagement solidaire » : « Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être qualifiée d’engagement solidaire. » La notion d’engagement solidaire implique d’accompagner la personne, mais ne dit rien sur la question de la mort provoquée et la manifestation de la solidarité peut être beaucoup plus importante et durable lorsque ce pas n’est pas franchi. « L’engagement solidaire » évoqué par le CCNE est cependant une notion qu’il est humainement facile de comprendre. A l’inverse, « l’exception d’euthanasie » est une notion dont la logique n’est pas évidente lorsque la discussion porte sur l’opportunité d’une loi, alors qu’il a été préalablement admis que « la mort donnée reste, quelles que soient les circonstances et les justifications, une transgression ». Ce trouble de la logique est bien réel, montrant à quel point la raison vacille face au désespoir humain :« Ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur (6) ». Mais, le débat portant sur une loi, posant dès lors une question de logique juridique et non pas d’éthique, il est impossible de ne pas poursuivre la réflexion. Le mot « exception » pourrait être compris comme : « dans des cas exceptionnels », au sens de : « très rares ». Cependant, si une loi était édictée, il serait impossible d’en limiter par avance l’application à un nombre prédéterminé de cas. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui la condamnation morale, en dehors de toute considération juridique, n’est pas unanime, loin de là, lorsque des personnes ont volontairement transgressé la loi au motif de soulager les souffrances d’un être cher. C’est ici un des aspects fondamentaux de la question : le fait d’admettre une " exception " est une position purement éthique, ce qui n’implique pas, bien au contraire, sa légalisation. Cette distinction est d’autant plus importante qu’il existe une " exception préjudicielle " dans le Code de procédure pénale (article 386), dont il est précisé qu’elle " n’est recevable que si elle est de nature à retirer au fait qui sert de base à la poursuite le caractère d’une infraction ". Des anesthésistes-réanimateurs n’ont pas de légitimité particulière à discuter ce point, mais il est plus clair de préciser que ce n’est pas de ce type d’exception dont il était précédemment question. Il en résulte qu’il est logique que l’euthanasie demeure un acte sanctionné par la loi, et qu’un jury puisse prendre en considération les motifs humanitaires de la personne ayant commis l’infraction. La qualification comme « crime » d’un acte visant à soulager des souffrances peut cependant sembler hors de proportion avec le trouble créé à l’ordre social dans certains cas. Ce sentiment d’inadéquation a pu amener à la proposition d’une qualification juridique spécifique de l’euthanasie, assortie d’une moindre peine. La qualification juridique de l’euthanasie n’est cependant pas une mince difficulté et n’apparaît pas, à la réflexion, comme une solution appropriée. D’une part, une telle modification de la loi ne ferait que déplacer la problématique, l’éventualité d’un procès persistant, alors que c’est ce qui choque le plus les partisans d’une légalisation de l’euthanasie. D’autre part, la brèche ainsi ouverte dans l’édifice juridique actuel serait susceptible de le fragiliser de façon préjudiciable. En toute hypothèse, il y aurait lieu préalablement de connaître le nombre d’affaires ayant été traitées et leurs conséquences, pour s’assurer que le problème est bien réel dans notre société, et non pas une exagération destinée à faire avancer subrepticement d’autres idées, moins consensuelles.
Un jury peut comprendre les motifs humanitaires de la personne ayant transgressé la loi. Au-delà, il est possible de s’interroger sur la proportionnalité des sanctions prévues par le code pénal en fonction de l’importance du trouble apporté à la société par les différents types d’homicide volontaire. De ce point de vue, la qualification comme « crime » d’un comportement visant à soulager des souffrances peut apparaître disproportionnée dans certains cas et la création d’un « délit » spécifique à l’euthanasie pourrait être une piste de modification législative à explorer. En quelque sorte, il s’agirait non pas de « dépénaliser » l’euthanasie, mais de la « dé-criminaliser », autrement dit de juger son auteur devant un tribunal correctionnel (comme les homicides involontaires) plutôt qu’en Cour d’assises. La difficulté d’une qualification juridique de l’euthanasie n’est cependant pas mince. Il y aurait lieu préalablement de connaître le nombre d’affaires ayant été traitées et leurs conséquences, pour vérifier que le problème est bien réel dans notre société, et non pas une exagération destinée à faire avancer subrepticement d’autres idées, moins consensuelles.
4. Les soins palliatifs peuvent-ils être la seule réponse à une demande d’euthanasie ?
La proposition serait à l’évidence restrictive si ces « soins palliatifs » se limitaient aux seuls soins donnés dans une « Unité de soins palliatifs ». Ces unités s’entendent essentiellement comme des lieux d’accompagnement de fin de vie de personnes atteintes de cancer ou de Sida. Or, d’une part, ces structures ne sont pas destinées à recevoir tous les patients atteints de ces maladies en phase terminale : elles ont vocation à servir de référence, à diffuser un savoir et un savoir-faire ; d’autre part, les demandes d’euthanasie peuvent émaner d’autres personnes (patients tétraplégiques, atteints d’insuffisance respiratoire chronique, grands vieillards…) généralement soignées dans d’autres structures (services de médecine, de réanimation, d’accueil des urgences, maisons de retraite…) ou à leur domicile. Dans un sens plus large, les soins palliatifs sont avant tout un concept qui correspond à l’ensemble des soins des personnes en fin de vie et pour lesquelles aucun traitement de la cause de cet état n’a réellement de sens. Ainsi compris, l’accompagnement du malade peut se faire dans une unité spécialisée, un autre type de service ou à domicile. Dans tous les cas, la question posée renvoie à celle des moyens mis en œuvre par la société pour venir en aide aux personnes incurables et souffrant au point de demander la mort.
Il reste qu’il ne saurait exister une réponse unique à une demande d’euthanasie. La réponse à la question posée est donc NON : les soins palliatifs, au sens large du terme, sont la réponse principale mais pas la seule. Ceci ne signifie toutefois pas que l’alternative se situerait dans le champ de l’euthanasie. Elle est plutôt à rechercher dans la solidarité, qui suppose des moyens financiers, mais pas seulement ceux-ci, car une réflexion sociale est nécessaire, que peut gêner la focalisation du débat sur « l’euthanasie ».
Mais la question des soins palliatifs souligne la confusion entretenue entre l’absence de douleurs et l’euthanasie, comme si la solution pour faire disparaître la souffrance d’un patient était de mettre fin à ses jours. Une autre confusion fréquente est celle faite entre le raccourcissement de la vie et l’utilisation d’analgésiques morphiniques chez des patients souffrant, par exemple, de leur cancer en phase terminale. L’utilisation de la théorie du " double effet " (le même acte ayant des conséquences moralement bonnes et mauvaises) a été qualifiée par certains d’hypocrisie servant à masquer l’euthanasie. Plutôt que d’entrer dans une telle discussion, la Sfar préfère rappeler qu’il a au contraire été montré, d’une part, que le soulagement de la douleur par de tels médicaments n’était pas accompagné d’une surmortalité et, d’autre part, que la persistance de cette notion était à l’origine de souffrances, car des médecins comme des personnes malades renonçaient à l’usage de la morphine parce qu’ils craignaient un " double effet ". Cette ambiguïté agit donc en sens contraire du but recherché, soulager la douleur, et il convient de la lever. L’accent doit être mis sur la prise en charge et le développement des soins qui traitent les douleurs physiques comme morales des patients en fin de vie et, a fortiori, des personnes qui peuvent n’être nullement en fin de vie, mais sévèrement handicapées (tels les tétraplégiques). L’association faite entre le handicap lourd et la fin de vie est à la fois préoccupante et en contradiction avec le mouvement actuel d’intégration du handicap et des handicapés à la société. Une des sources de souffrances du handicapé est le sentiment de charge qu’il représente pour sa famille. L’ouverture d’un droit à l’euthanasie aurait comme conséquence d’augmenter ce sentiment de culpabilité de la part des personnes n’ayant pas demandé à en « bénéficier ». L’accroissement de cette douleur morale ne saurait être négligé.
Au-delà des quatre questions posées qui orientent nécessairement le débat, il convient de réfléchir à ce que cette focalisation sur l’euthanasie pourrait cacher comme questions que la société ne souhaiterait pas regarder en face. Il est évident que la mort en général est au rang de celles-ci. Environ 70 % des décès ont lieu à l’hôpital, ce qui, sans s’arrêter sur les causes, impose deux observations. La première est qu’il existe de moins en moins de « rites », tant familiaux que sociaux, entourant le passage de la vie à la mort, alors que l’importance de ces rites est incontestable. La seconde est que le personnel hospitalier est confronté à ce problème sans généralement avoir reçu de formation particulière, médicale ou paramédicale. Le fait d’en débattre est essentiel et, pour ce faire, l’Assemblée nationale est un lieu hautement symbolique particulièrement bienvenu. Mais ce débat doitexisterau sein des sociétés savantes, des établissements, des services, le sentiment d’isolement pouvant jouer un rôle dans la brutalité de certaines décisions. Ces espaces de discussion méritent d’être organisés. Et la principale question n’est pas : peut-on donner la mort ? Elle est : comment accompagner dans la dignité la personne qui ne veut plus vivre ainsi ?
« Ce n’est pas la dignité qui fonde la vie humaine. C’est la vie humaine qui fonde la dignité. » (7)
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| Sujet: Fin de vie,euthanasie,suicide assisté par ICARE-SFARE 12.09.12 16:55 | |
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| Sujet: Re: Société Française d'Anesthésie et de Réanimation 12.09.12 17:18 | |
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| Sujet: Re: Société Française d'Anesthésie et de Réanimation 12.09.12 17:49 | |
| Fins de vie, euthanasie : éléments de réponse du groupe de réflexion éthique de la Sfar
Mis en ligne le 17 Mars 2004 et modifié le 06 Octobre 2011
La Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar), a longtemps été réticente à la création d’un " Comité d’éthique " en son sein, considérant que la diversité des points de vue était la meilleure garantie de l’éthique. Qu’il s’agisse du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ou des Comités consultatifs pour la protection des personnes se prêtant aux recherches biomédicales (CCPPRB), une telle diversité a été à la base de la constitution de ces institutions. En conséquence, les membres de la Sfar ont plutôt été encouragés à participer à celles-ci, plutôt qu’à se regrouper dans un cercle restreint aux anesthésistes-réanimateurs. Avec le temps, le besoin s’est toutefois fait sentir de mettre en commun ces expériences et de constituer, non pas un " Comité " mais un " groupe de réflexion ", afin d’explorer des pistes plutôt que de fournir des solutions toutes faites. Un tel groupe a donc été créé en septembre 2000, a poursuivi une réflexion sur les traitements " devenus vains " en réanimation (1), proposé d’envisager la révision de la loi Huriet-Sérusclat en terme de protection des personnes plutôt que de facilitation de la recherche (2), aidé à l’élaboration de recommandations sur l’informations aux patients de réanimation et à leurs proches (3), publié un éditorial et un communiqué rappelant quelques règles juridiques de base (4-5). Un des siens a dû répondre, non pas au nom de la Sfar mais du CCNE dont il est membre, aux questions posées par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale : 1) A-t-on le droit de choisir sa mort ? 2) Peut-on déléguer le droit de mourir à un tiers ? 3) Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ? 4) Les soins palliatifs peuvent-ils être la seule réponse à une demande d’euthanasie ?
Le Groupe de réflexion éthique de la Sfar s’est saisi de cette occasion comme base d’une réflexion plus profonde sur les fins de vie. Les éléments de réponse élaborés ont été soumis successivement, au Conseil d’administration le 2 février 2004, aux remarques et propositions des anesthésistes-réanimateurs concernés, via Internet et les différentes institutions de la Sfar (Comités Lutte contre la douleur, Réanimation, Scientifique, Vie Professionnelle, Urgences, Référentiels, Evaluation...), ainsi qu’à certaines personnalités extérieures à la profession. Suite à ces enrichissements, le Groupe a réalisé une synthèse, qui est le présent texte, approuvé par le Conseil d’administration du 12 mars 2004. Il ne s’agit toutefois pas d’une position figée, mais de l’état actuel d’une réflexion qui se poursuit.
L’objectif pour la Sfar est de pouvoir se déterminer au sein du débat qui se tient à l’échelon national et de décider, en conscience, du type et de la nature de son implication. En effet, si certaines considérations ne relèvent pas d’une réflexion purement médicale, d’autres au contraire résultent de l’expérience acquise au contact des personnes qui souffrent ou d’études scientifiques réalisées dans le but de mieux soulager ces personnes. A titre d’exemple, il est suggéré, vers la fin de ce texte, de lutter contre l’application de la théorie du " double effet " à l’utilisation de la morphine ou de ses dérivés, en mettant en avant moins des considérations morales faisant état de son hypocrisie, que les études montrant tant l’absence de fondement de cette théorie en la matière que sa nocivité : les doses éventuellement fortes n’entraînent pas la mort lorsqu’elles sont proportionnées au niveau de douleur, cependant que cette crainte, par le patient ou par son médecin, prive de nombreuses personnes d’un traitement efficace. La lutte contre la douleur, qui est un objectif naturel de la Sfar, passe par la levée de telles ambiguïtés. Au-delà des aspects techniques, la réflexion a porté sur des confusions plus fondamentales, qui gênaient la discussion, afin d’éviter de confondre : 1) arrêt de traitements devenus vains et euthanasie, deux sujets radicalement différents ; 2) raisonnements éthique et juridique, la notion éthique d’" exception d’euthanasie " n’entrant pas en contradiction avec celle de sanction prévue par la loi ; 3) euthanasie et assassinat, dès lors que le trouble social provoqué par ces deux comportements n’apparaîtrait pas de la même importance. En tous cas, ce n’est qu’après avoir clarifié ces différentes questions qu’il devient possible de poursuivre une réflexion collective sur l’accompagnement des personnes en fin de vie ou demandant qu’il soit mis fin à celle-ci.
1. A-t-on le droit de choisir sa mort ?
Avant de traiter cette question, il est apparu qu’il convenait de relever l’indétermination de la notion de « droit ». Une distinction mérite en effet d’être établie entre un droit de faire telle action, de prendre telle décision, et un droit à telle situation, tel objet. Le problème n’est pas le même selon que serait consacré un droit de choisir sa mort (au sens où il faudrait prévenir les atteintes portées à la liberté de choisir telle mort plutôt que telle autre), ou un droit à choisir sa mort, qui obligerait à « rendre possible », à « faciliter » une capacité qu’aurait chacun à mourir comme il l’entend. D’un côté, il existe un problème de liberté individuelle et, dans la mesure où cela n’engagerait personne d’autre (cf. remarque suivante), une telle restriction de liberté apparaît inenvisageable puisque le suicide ne fait pas l’objet de poursuites pénales. De l’autre côté il existe un problème de créance, qu’il semble difficile de consacrer au même titre que celle du droit à la santé ou au logement, puisqu’elle reviendrait à rendre des tiers ou l’État débiteur de la mort de la personne qui le souhaiterait, avec une obligation légale de répondre à ses exigences sur la nature de sa mort. Cette question n’engage donc pas uniquement la personne qui choisirait sa mort : elle engage aussi au moins un tiers, dès lors qu’on dépasse la question de la seule liberté individuelle. En d’autres termes, si la question était formulée : « a-t-on le droit de choisir de mourir ? », la réponse pourrait être OUI, à condition qu’un tiers ne soit pas impliqué dans la réalisation de ce choix, une telle implication correspondant en réalité à la question n° 2, où le « droit de mourir » s’oriente vers un « droit de faire mourir ». Dès lors que la question posée est : « a-t-on le droit de choisir sa mort ? », la réponse ne peut qu’être négative, puisqu’un tel intitulé implique un devoir, qui pourrait être fait à un tiers, de provoquer la mort de la personne ayant fait ce choix, au moment et de la façon choisis par cette personne. A ce stade du raisonnement, il reste admis que la personne a le droit de choisir de mourir, mais que la réalisation de sa volonté lui incombe. Il y a lieu toutefois de distinguer la réalisation par un tiers et l’accompagnement de la personne ayant choisi de mourir. Un tel accompagnement par des tiers est susceptible d’exposer ceux-ci aux peines prévues par l’article 223-6 du Code pénal, du fait de l’abstention volontaire à porter assistance à une personne en péril. Si le droit de choisir de mourir était reconnu, il conviendrait de préciser les conditions qui feraient que l’accompagnement de ce choix par des tiers pourrait ne pas être pénalement répréhensible.
En résumé, une lecture rapide de la question pourrait entraîner une réponse positive, mais la réflexion sur les implications d’une réponse positive à la question précise posée conduit à y répondre négativement tant qu’il n’a pas été répondu à la question n° 2.
2. Peut-on déléguer le droit de mourir à un tiers ?
La réponse nous semble devoir être NON, après avoir pris en considération deux situations différentes.
2.1. Celle où la personne, apte à exprimer sa volonté, ferait cette demande dans une situation où son application pourrait être proche. La première raison de cette réponse négative est que la demande de mort est bien souvent, en réalité, une demande d’« autre chose » : moins de douleur, moins de solitude, et il conviendrait d’insister sur ces éléments fondamentaux plutôt que de centrer la réflexion sur une opposition vie/mort, très simplificatrice. L’essentiel de l’effort à fournir devrait porter sur la recherche des raisons de cette demande, afin de tenter d’y porter remède, plutôt que sur la légitimité à y répondre. A titre d’exemple, le jeune Vincent Humbert avait invoqué les difficultés matérielles de sa mère pour justifier sa demande auprès des plus hautes autorités de l’État. Plus généralement, les enquêtes sur le sujet « accompagnement et fin de vie » montrent que plus des trois quarts des personnes interrogées se disent favorables à l’euthanasie, mais que la demande de mort s’effondre vers 1-2 % après une prise en charge de la douleur et un accompagnement corrects.
Il y a lieu cependant d’examiner l’hypothèse d’une demande réelle, une fois épuisés tous les moyens possibles de remédier aux souffrances physiques ou morales de la personne. En particulier, le cas de personnes physiquement très handicapées (tels des tétraplégiques) mérite qu’on s’y arrête, l’arrière-pensée étant qu’elles n’auraient pas la capacité physique de mettre fin à leurs jours. Toutefois le maintien en survie de ces personnes nécessite des soins et l’expérience montre que, lorsque ces personnes les refusent, il n’est pas possible de les maintenir en vie. Or, une personne pouvant exprimer une demande d’euthanasie peut exprimer un refus de soins. Un tel refus étant inscrit à l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, mieux vaudrait travailler sur l’application de la loi existante, en commençant par sa pédagogie, plutôt que d’en ajouter une. Sur un plan médical, une personne capable de décider de mourir pourrait ainsi choisir de le faire, sans avoir à déléguer cet acte à un tiers. L’extension de la logique de ce point peut également représenter un argument contre les « testaments de vie », abordés au point suivant. Enfin, la suspension des soins refusés peut entraîner un inconfort, auquel il convient de chercher un remède, discuté avec la personne, ce que permet le dispositif légal et réglementaire actuel, mais mérite d’être approfondi par les professionnels et des représentants des patients.
2.2. Celle où la personne ferait connaître à un proche les situations dans lesquelles elle préférerait qu’il soit mis fin à ses jours. Il est fréquent que les demandes, écrites ou verbales, faites lorsqu’elles ne risquent pas d’être rapidement suivies d’effet, soient remises en cause lorsque la question se pose réellement. Dès lors, seule l’expression de la volonté de la personne capable de l’exprimer, au moment où le problème se pose, peut éventuellement s’imposer, ce qui a été précédemment évoqué (§ 2.1.). Ceci ne signifie pas pour autant que de telles demandes préalables ne doivent pas être entendues. L’expérience montre que l’expression de la confiance et de l’engagement demandé de manière solidaire au proche est généralement de l’ordre du : « si tu me vois dans tel état, sache que je considère que la vie ne vaut plus d’être vécue : tu feras pour moi comme s’il s’agissait de toi ». Si la personne n’est ensuite plus en état de faire connaître sa volonté (parce qu’elle est dans le coma par exemple), la demande antérieure ne peut, à elle seule, être considérée comme appropriée à la situation présente, mais mérite d’être prise en compte, notamment dans les décisions médicales.
3. Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ?
Avant de répondre à cette question, il convient de s’entendre sur le mot « euthanasie », puis d’envisager la notion « d’exception », très débattue depuis l’avis du CCNE (6). L’absence de définition claire de l’euthanasie favorise la manipulation de certains résultats d’enquête, notamment par les médias. L’amalgame entre des actes parfaitement licites (abstention de thérapeutiques dénuées d’espoir raisonnable, parfois dénommée « euthanasie passive ») et des actes qui ne le sont pas, tend à accréditer l’idée que l’euthanasie serait répandue, alors qu’il est impossible de quantifier un phénomène non préalablement défini avec précision. « L’espace de débat sur l’euthanasie » initié par le Ministère de la justice sur son site Internet ne fournit pas de définition formelle mais indique : « La notion d’euthanasie est susceptible de recouvrir des réalités très différentes : l’arrêt des soins en fin de vie ; l’abstention volontaire par le corps médical de mettre en place des traitements dont la lourdeur paraît disproportionnée par rapport aux résultats qu’on peut en attendre ; le « suicide assisté ». Un tiers, à la « demande » de l’intéressé et pour soulager ses souffrances, provoque la mort du malade ; le droit à l’interruption de vie. Une personne en bonne santé anticipe les conditions dans lesquelles elle souhaite qu’il soit mis fin à sa vie (par exemple en cas de maladie très grave). »
La première proposition ne correspond pas à l’euthanasie et ne nécessite pas de disposition législative particulière. On peut simplement noter que « les soins » sont probablement compris dans un sens étroit (celui de thérapeutiques actives destinées à prolonger la vie), alors que, dans leur sens habituel et large, les soins sont toujours poursuivis jusqu’à la fin (soins d’accompagnement, de prise en charge de la douleur, de l’anxiété voire de la dépression, d’hygiène et de confort de vie). L’arrêt de traitements curatifs n’est en effet pas synonyme d’abandon médical, mais de changement d’orientation de l’activité, vers des soins palliatifs.
De même, la seconde proposition n’est pas non plus de l’euthanasie, mais plutôt une prescription de l’article 37 du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, son non-respect pouvant s’apparenter à de « l’acharnement thérapeutique » ou à de « l’obstination déraisonnable ». La réponse à ces deux propositions rejoint l’avis du CCNE (6) qui précisait :
« On ne cachera pas que, dans ces divers cas, la décision médicale de ne pas entreprendre une réanimation, de ne pas la prolonger ou de mettre en œuvre une sédation profonde - que certains qualifient parfois d’euthanasie passive - peut avancer le moment de la mort. Il ne s’agit pas d’un arrêt délibéré de la vie mais d’admettre que la mort qui survient est la conséquence de la maladie ou de certaines décisions thérapeutiques qu’elle a pu imposer. En fait, ces situations de limitations des soins s’inscrivent dans le cadre du refus de l’acharnement thérapeutique et ne sauraient être condamnées au plan de l’éthique. Sans soutenir la participation à un suicide assisté ou à une euthanasie active, l’acceptation de la demande de restriction ou de retrait des soins actifs de la part d’un patient adulte, pleinement conscient et justement informé semble valide selon le principe éthique d’autonomie. » La dernière proposition correspond plutôt à ce qui a été évoqué au paragraphe 2.2. du présent texte (personne faisant connaître à un proche les situations dans lesquelles elle préférerait qu’il soit mis fin à ses jours).
La définition retenue est donc la troisième : Un tiers, à la « demande » de l’intéressé et pour soulager ses souffrances, provoque la mort du malade.
Il est à noter que cette définition ne comporte pas de tiers médecin, ce qui est important. Ce débat n’est en effet pas médical, mais « sociétal ». Quelle que soit la décision du législateur, il importe qu’il ait conscience que la fonction du médecin dans la société ne saurait être de donner la mort. Il accompagne le patient, mais en aucune circonstance ne se substitue à celui-ci ou à une personne de confiance. Il est essentiel qu’aucun doute ne puisse s’instaurer dans la société à l’égard de la fonction du médecin ou du personnel soignant.
Toutefois, même si la question n’est pas principalement médicale, elle ne doit pas être éludée. Si la question était formulée : « faut-il autoriser l’euthanasie ? », la réponse serait NON. La société a besoin de repères simples et le fait qu’elle sanctionne l’homicide en est un. Il existe en effet des risques importants que l’acceptation de l’euthanasie apparaisse comme un signal selon lequel la société trouverait là un moyen peu onéreux de résoudre des questions qui la dérangent. Ceci rejoint l’avis du CCNE (6) :
« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de vie des individus. » Mais la question posée est : « Peut-on autoriser une exception d’euthanasie ? », renvoyant donc à l’expression utilisée par le CCNE (6) :
« L’acte d’euthanasie devrait continuer à être soumis à l’autorité judiciaire. Mais un examen particulier devrait lui être réservé s’il était présenté comme tel par son auteur. Une sorte d’ exception d’euthanasie (...) » De fait, cette expression est étroitement associée à celle « d’engagement solidaire » : « Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être qualifiée d’engagement solidaire. » La notion d’engagement solidaire implique d’accompagner la personne, mais ne dit rien sur la question de la mort provoquée et la manifestation de la solidarité peut être beaucoup plus importante et durable lorsque ce pas n’est pas franchi. « L’engagement solidaire » évoqué par le CCNE est cependant une notion qu’il est humainement facile de comprendre. A l’inverse, « l’exception d’euthanasie » est une notion dont la logique n’est pas évidente lorsque la discussion porte sur l’opportunité d’une loi, alors qu’il a été préalablement admis que « la mort donnée reste, quelles que soient les circonstances et les justifications, une transgression ». Ce trouble de la logique est bien réel, montrant à quel point la raison vacille face au désespoir humain :« Ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur (6) ». Mais, le débat portant sur une loi, posant dès lors une question de logique juridique et non pas d’éthique, il est impossible de ne pas poursuivre la réflexion. Le mot « exception » pourrait être compris comme : « dans des cas exceptionnels », au sens de : « très rares ». Cependant, si une loi était édictée, il serait impossible d’en limiter par avance l’application à un nombre prédéterminé de cas. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui la condamnation morale, en dehors de toute considération juridique, n’est pas unanime, loin de là, lorsque des personnes ont volontairement transgressé la loi au motif de soulager les souffrances d’un être cher. C’est ici un des aspects fondamentaux de la question : le fait d’admettre une " exception " est une position purement éthique, ce qui n’implique pas, bien au contraire, sa légalisation. Cette distinction est d’autant plus importante qu’il existe une " exception préjudicielle " dans le Code de procédure pénale (article 386), dont il est précisé qu’elle " n’est recevable que si elle est de nature à retirer au fait qui sert de base à la poursuite le caractère d’une infraction ". Des anesthésistes-réanimateurs n’ont pas de légitimité particulière à discuter ce point, mais il est plus clair de préciser que ce n’est pas de ce type d’exception dont il était précédemment question. Il en résulte qu’il est logique que l’euthanasie demeure un acte sanctionné par la loi, et qu’un jury puisse prendre en considération les motifs humanitaires de la personne ayant commis l’infraction. La qualification comme « crime » d’un acte visant à soulager des souffrances peut cependant sembler hors de proportion avec le trouble créé à l’ordre social dans certains cas. Ce sentiment d’inadéquation a pu amener à la proposition d’une qualification juridique spécifique de l’euthanasie, assortie d’une moindre peine. La qualification juridique de l’euthanasie n’est cependant pas une mince difficulté et n’apparaît pas, à la réflexion, comme une solution appropriée. D’une part, une telle modification de la loi ne ferait que déplacer la problématique, l’éventualité d’un procès persistant, alors que c’est ce qui choque le plus les partisans d’une légalisation de l’euthanasie. D’autre part, la brèche ainsi ouverte dans l’édifice juridique actuel serait susceptible de le fragiliser de façon préjudiciable. En toute hypothèse, il y aurait lieu préalablement de connaître le nombre d’affaires ayant été traitées et leurs conséquences, pour s’assurer que le problème est bien réel dans notre société, et non pas une exagération destinée à faire avancer subrepticement d’autres idées, moins consensuelles.
Un jury peut comprendre les motifs humanitaires de la personne ayant transgressé la loi. Au-delà, il est possible de s’interroger sur la proportionnalité des sanctions prévues par le code pénal en fonction de l’importance du trouble apporté à la société par les différents types d’homicide volontaire. De ce point de vue, la qualification comme « crime » d’un comportement visant à soulager des souffrances peut apparaître disproportionnée dans certains cas et la création d’un « délit » spécifique à l’euthanasie pourrait être une piste de modification législative à explorer. En quelque sorte, il s’agirait non pas de « dépénaliser » l’euthanasie, mais de la « dé-criminaliser », autrement dit de juger son auteur devant un tribunal correctionnel (comme les homicides involontaires) plutôt qu’en Cour d’assises. La difficulté d’une qualification juridique de l’euthanasie n’est cependant pas mince. Il y aurait lieu préalablement de connaître le nombre d’affaires ayant été traitées et leurs conséquences, pour vérifier que le problème est bien réel dans notre société, et non pas une exagération destinée à faire avancer subrepticement d’autres idées, moins consensuelles.
4. Les soins palliatifs peuvent-ils être la seule réponse à une demande d’euthanasie ?
La proposition serait à l’évidence restrictive si ces « soins palliatifs » se limitaient aux seuls soins donnés dans une « Unité de soins palliatifs ». Ces unités s’entendent essentiellement comme des lieux d’accompagnement de fin de vie de personnes atteintes de cancer ou de Sida. Or, d’une part, ces structures ne sont pas destinées à recevoir tous les patients atteints de ces maladies en phase terminale : elles ont vocation à servir de référence, à diffuser un savoir et un savoir-faire ; d’autre part, les demandes d’euthanasie peuvent émaner d’autres personnes (patients tétraplégiques, atteints d’insuffisance respiratoire chronique, grands vieillards…) généralement soignées dans d’autres structures (services de médecine, de réanimation, d’accueil des urgences, maisons de retraite…) ou à leur domicile. Dans un sens plus large, les soins palliatifs sont avant tout un concept qui correspond à l’ensemble des soins des personnes en fin de vie et pour lesquelles aucun traitement de la cause de cet état n’a réellement de sens. Ainsi compris, l’accompagnement du malade peut se faire dans une unité spécialisée, un autre type de service ou à domicile. Dans tous les cas, la question posée renvoie à celle des moyens mis en œuvre par la société pour venir en aide aux personnes incurables et souffrant au point de demander la mort.
Il reste qu’il ne saurait exister une réponse unique à une demande d’euthanasie. La réponse à la question posée est donc NON : les soins palliatifs, au sens large du terme, sont la réponse principale mais pas la seule. Ceci ne signifie toutefois pas que l’alternative se situerait dans le champ de l’euthanasie. Elle est plutôt à rechercher dans la solidarité, qui suppose des moyens financiers, mais pas seulement ceux-ci, car une réflexion sociale est nécessaire, que peut gêner la focalisation du débat sur « l’euthanasie ».
Mais la question des soins palliatifs souligne la confusion entretenue entre l’absence de douleurs et l’euthanasie, comme si la solution pour faire disparaître la souffrance d’un patient était de mettre fin à ses jours. Une autre confusion fréquente est celle faite entre le raccourcissement de la vie et l’utilisation d’analgésiques morphiniques chez des patients souffrant, par exemple, de leur cancer en phase terminale. L’utilisation de la théorie du " double effet " (le même acte ayant des conséquences moralement bonnes et mauvaises) a été qualifiée par certains d’hypocrisie servant à masquer l’euthanasie. Plutôt que d’entrer dans une telle discussion, la Sfar préfère rappeler qu’il a au contraire été montré, d’une part, que le soulagement de la douleur par de tels médicaments n’était pas accompagné d’une surmortalité et, d’autre part, que la persistance de cette notion était à l’origine de souffrances, car des médecins comme des personnes malades renonçaient à l’usage de la morphine parce qu’ils craignaient un " double effet ". Cette ambiguïté agit donc en sens contraire du but recherché, soulager la douleur, et il convient de la lever. L’accent doit être mis sur la prise en charge et le développement des soins qui traitent les douleurs physiques comme morales des patients en fin de vie et, a fortiori, des personnes qui peuvent n’être nullement en fin de vie, mais sévèrement handicapées (tels les tétraplégiques). L’association faite entre le handicap lourd et la fin de vie est à la fois préoccupante et en contradiction avec le mouvement actuel d’intégration du handicap et des handicapés à la société. Une des sources de souffrances du handicapé est le sentiment de charge qu’il représente pour sa famille. L’ouverture d’un droit à l’euthanasie aurait comme conséquence d’augmenter ce sentiment de culpabilité de la part des personnes n’ayant pas demandé à en « bénéficier ». L’accroissement de cette douleur morale ne saurait être négligé.
Au-delà des quatre questions posées qui orientent nécessairement le débat, il convient de réfléchir à ce que cette focalisation sur l’euthanasie pourrait cacher comme questions que la société ne souhaiterait pas regarder en face. Il est évident que la mort en général est au rang de celles-ci. Environ 70 % des décès ont lieu à l’hôpital, ce qui, sans s’arrêter sur les causes, impose deux observations. La première est qu’il existe de moins en moins de « rites », tant familiaux que sociaux, entourant le passage de la vie à la mort, alors que l’importance de ces rites est incontestable. La seconde est que le personnel hospitalier est confronté à ce problème sans généralement avoir reçu de formation particulière, médicale ou paramédicale. Le fait d’en débattre est essentiel et, pour ce faire, l’Assemblée nationale est un lieu hautement symbolique particulièrement bienvenu. Mais ce débat doitexisterau sein des sociétés savantes, des établissements, des services, le sentiment d’isolement pouvant jouer un rôle dans la brutalité de certaines décisions. Ces espaces de discussion méritent d’être organisés. Et la principale question n’est pas : peut-on donner la mort ? Elle est : comment accompagner dans la dignité la personne qui ne veut plus vivre ainsi ?
« Ce n’est pas la dignité qui fonde la vie humaine. C’est la vie humaine qui fonde la dignité. » (7)
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