La législation française reconnaît le droit à « l’arrêt des traitements curatifs »Dans la législation hospitalière contemporaine, on trouve plusieurs lois relatives aux droits des patients, dont la loi du 4 mars 2002, ou
loi Kouchner, relative à l’information et aux droits du patient. La rédaction de ces lois se place dans le contexte du développement de la « démocratie sanitaire » :
La démocratie sanitaire, c’est la possibilité offerte au patient de se transformer en acteur, d’où la nécessité absolue d’information, de consentement, de co-décision, de participation active du malade à son traitement. Guide du droit du patient dans la loi du 4 mars 2002
La loi du 22 avril 2005, communément appelée la
loi Léonetti, est la loi en vigueur traitant du droit des malades et de la fin de vie. Elle a été votée en 2005 à la suite de
l’affaire Humbert, jeune homme tétraplégique dont le cas avait été médiatisé après qu’il eut écrit une lettre au président de la république auquel il réclamait le « droit de mourir ». Elle a permis de renforcer certains aspects de la loi Kouchner et de rajouter des droits spécifiques pour les malades, qu’ils soient ou non en fin de vie. Nous l’avons traité en détails dans un
précédent article sur la fin de vie.
En particulier, elle prohibe l’acharnement thérapeutique. Elle accorde le droit au patient ou à l’entourage si celui-ci est dans l’incapacité de donner son avis de refuser les traitements curatifs. Elle encadre légalement le processus décisionnel aboutissant à la limitation et l’arrêt des thérapeutiques actives (LATA) en faisant appel à la concertation de l’équipe médicale (décision collégiale). Elle soumet le corps médical à l’obligation de continuellement soulager les souffrances physiques ou psychologiques des personnes en fin de vie en accordant à tous l’accès aux traitements palliatifs.
Euthanasie ou soins palliatifs ?Les Pays-Bas en premier ont légalisé l’euthanasie en 2001. Son voisin, la Belgique, a elle aussi autorisé la mort assistée par injection létale en 2002. En Suisse, bien que l’euthanasie passive soit plus répandue,
l’assistance au suicide y est aussi tolérée. Dans tous les cas, ces actes ne concernent que les personnes ayant une courte espérance de vie et ont pour but, à la demande du patient, de la soustraire artificiellement à de grandes souffrances ou à des conditions de vie indécentes. Certaines associations, comme le collectif « Plus digne la vie », notent
certaines dérives de l’euthanasie dans ces pays (euthanasie de mineurs ou de malades mentaux, pratiques clandestines…). Toutefois, peu d’études nationales existent pour l‘instant sur ces questions.
En France, la question de l’autorisation de « la mort assistée » a été l’objet de débats houleux, notamment
en janvier dernier au Sénat. Néanmoins, dans la plupart des cas, l’arrêt des traitements, comme il est envisagé selon la loi Léonetti, répond au besoin d’abréger les souffrances d’un patient incurable et en fin de vie. Le droit à laisser une personne s’abandonner à la mort existe donc en France bien qu’il soit parfois méconnu voire étouffé par le débat sur l’euthanasie. En janvier 2011, à la veille du débat sur l’euthanasie au Sénat, un sondage réalisé par Opinion Way/SFAP/SFAR/CREFAV/ Digne La Vie auprès d’un échantillon représentatif de 1015 Français a montré que :
• 60% des Français préfèrent le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie et 68% ne savent pas qu’il existe une loi interdisant l’acharnement thérapeutique.
• 52% soulignent l’existence de risques de dérives liées à la légalisation de l’euthanasie et 63% des Français préfèrent qu’un de leur proche gravement malade bénéficie de soins palliatifs plutôt que de subir une injection mortelle.
Ce sondage souligne que, dans la plupart des cas, les français préfèrent les soins palliatifs à l’euthanasie. Selon les personnels des services de soins palliatifs, cette opinion reflète bien la réalité vécue sur le terrain.
Lors de sa promulgation, la loi Léonetti a été favorablement accueillie par les professionnels des soins palliatifs. D’après le Dr. Richard, présidente de la SFAP : « Les professionnels des soins palliatifs sont satisfaits par la loi Léonetti qui est une loi d’avant-garde en matière d’accompagnement de la fin de vie. »
Lors de l’interview, elle explique que « par expérience, les personnes arrivant dans les services de soins palliatifs avec une volonté de mettre fin à leurs jours demandent en réalité que l’on soulage leurs souffrances. Tous les professionnels des services de soins palliatifs vous répondront la même chose.» Généralement, ils sont soit sujets à de grandes souffrances physiques ou morales soit ils se considèrent comme un poids pour la société. Dans tous les cas, les professionnels des soins palliatifs cherchent à comprendre l’origine de la demande.
Quand on soigne les symptômes un à un, dans la majorité des cas la demande s’estompe ou disparaît !
« Légaliser l’euthanasie serait un retour en arrière, » affirme le Dr. Richard. « En effet, les progrès que la médecine a connus en 30 ans sont immenses en termes de cures mais aussi de soulagement de la douleur. Les médecins sont formés pour soigner et il n’est pas de leur ressort d’abréger des vies. »
Auprès des professionnels des soins palliatifs, il existe donc une certaine opposition à la légalisation de l’euthanasie. Selon eux, la loi actuelle permet une réponse appropriée pour la majorité des personnes en fin de vie ou en souffrance. Les cas où l’on ne peut soulager les souffrances sont très rares et ponctuels et ne justifient pas une loi qui pourrait entraîner des dérives graves. En février 2005, à l’occasion d’une
table ronde organisée au sénat sur « Médecine et fin de vie », le Professeur Philippe Colombat, hématologue, président du groupe de réflexion sur l’accompagnement et les soins palliatifs en hématologie et oncologie au CHU de Tours, déclarait « qu’au cours de ses trente années d’exercice, il n’avait été confronté qu’à deux demandes d’euthanasie, chiffre à rapporter aux 500 nouveaux patients par an qu’il doit traiter. »
Les difficultés d’application de la loi LeonettiLa principale difficulté actuelle à l’application de cette loi est sa méconnaissance aussi bien par les professionnels de santé que dans le public. Dans les faits, au sein des équipes médicales, il semble qu’il existe un manque de moyen, de connaissance et de formation. Les procédures de LATA ne seraient pas toujours cadrées comme le veut la loi.
Ainsi, en septembre de cette même année, la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) a réalisé une enquête sur les conditions d’application du LATA dans les services d’urgences auprès de médecins de 13 services d’urgence. Selon cette enquête, sur 57 réponses, 63% des médecins déclarent ne pas avoir reçu de formation sur les LATA. Pour autant, 82% disent se trouver régulièrement confrontés à de telles situations aux urgences, mais seulement 26% disposent d’une procédure écrite dans leur service. Une réflexion collégiale, impliquant un médecin consultant, n’est effective que dans 46% des cas. Par ailleurs, 40% des médecins interrogés déclarent se sentir souvent seuls pour mener la réflexion et 51% lors de l’annonce. Les auteurs concluent « qu’il s’agit plus que jamais de prendre conscience de la problématique des LATA aux urgences et de trouver des moyens d’appliquer la loi de manière plus sereine pour le médecin aux urgences ».
Pourtant, il existe une réelle demande médicale aux développements des LATA. En juin dernier, les représentants des pays ayant participé au 1er
congrès international francophone de soins palliatifs ont publié un
Manifeste pour soutenir le développement des soins palliatifs, pour la reconnaissance du droit à l’accès aux soins palliatifs pour tous ceux dont l’état le nécessite […]
Dans un article d’opinion du Figaro du 21 aout 2011, T. Derville et X. Mirabel, respectivement président et délégué général de l’Alliance pour les droits de la vie, ajoutaient: « Avec le mouvement des soins palliatifs, nous devons une nouvelle fois constater la grave méconnaissance qui perdure dans le public, mais aussi chez certains professionnels de la santé, au sujet de la fin de vie. » .
La deuxième limite de cette loi se rencontre dans les cas ponctuels et rares des personnes en grandes souffrances mais dont la mort n’est pas annoncée dans l’immédiat. Les cas les plus médiatisés en France étaient typiques de cette horrible situation.
Vincent Humbert était tétraplégique depuis l’âge de 19 ans et à charge de sa mère.
Chantal Sebire souffrait horriblement d’une tumeur déformant son visage avec perte progressive de la vue, de l’odorat et du goût. L’un tétraplégique l’autre souffrant d’une tumeur entraînant une issue fatale mais lente… deux personnes pour lesquelles la loi Léonetti ne pouvait que proposer une plongée dans le coma sous sédation profonde. Cette sédation en fin de vie entraîne une diminution de la vigilance allant jusqu’à la perte de conscience et un coma durable. Elle oblige les proches à une attente insoutenable sans aucune prévision possible du moment du décès. En 2008, dans
une interview au Monde Chantal Sebire, consciente de cette possibilité avait rejeté cette situation « La loi, aujourd’hui en France, ne permet pas, dans mon cas, de pouvoir décider du moment et des circonstances de mon départ [...] Je serais donc allongée et alitée, et j’attendrais ainsi la mort […] Je ne veux pas que la société m’oblige à passer par cette étape, c’est une question de dignité. Je ne veux pas me présenter ainsi à mes trois enfants [...] »
Une loi mal-connue qui fausse le débatIl est préoccupant de constater un manque de connaissance assez généralisée de la loi Léonetti, malgré les débat sur l’euthanasie et la fin de vie. La persistance de la méconnaissance de cette loi est vecteur d’arguments passionnels sans réel fondement et est un réel frein à l’accès aux soins palliatifs.
Dans une
étude récente en cours d’analyses à propos des demandes d’euthanasie, et dont [url=http://handi-christ.forumactif.com/file:///C:/Users/Laurence/AppData/Local/Temp/Le Monde]Le Monde[/url] publiait les premiers chiffres, il apparaîtrait que les profils des patients ayant exprimé un désir de mourir était très hétéroclites. Selon les auteurs: 79 % n’avaient pas mis en avant une raison physique; 65 % avaient des difficultés d’alimentation et 54 % de déplacement; 49 % avaient des problèmes d’excrétion et 39 % souffraient d’amaigrissement. Enfin, 31 % étaient anxieux ou dépressifs. En revanche, la douleur incontrôlée était rarement un motif exprimé (3,7 %). Selon M. Ferrand, coordinateur de l’étude cité par Le Monde « pour 55 % des patients, bien que leur maladie soit à un stade avancé, c’est la demande de mort qui a conduit à une première prise en charge en soins palliatifs. « Pour des malades en phase terminale, qu’il n’y soit fait appel qu’au moment où ils évoquent l’euthanasie, c’est accablant ». Il émet l’hypothèse que les demandes de fin de vie pourraient être moins nombreuses si de tels patients étaient pris en charge plus tôt.
En conclusion, il apparaît comme fondamental de réfléchir et de recentrer le débat autour de la légalisation de l’euthanasie sur ces rares cas des patients incurables, souffrants mais dont la vie n’est pas menacée à court terme et pour lesquelles la loi Leonetti n’apporte pas de solution. D’autre part, les souffrances psychologiques sont aussi un facteur à prendre en compte mais avec d’extrêmes précautions. Dans un « point du vue » publié par
Le Monde le 30 août 2011, Claude Evin, directeur général de l’ARS et le Professeur Louis Puybasset, responsable de l’unité de neuro-réanimation chirurgicale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, soulignaient que « Face à ces questions éthiques, le débat citoyen est nécessaire, mais ne nous trompons pas de débat. La loi donne toutes latitudes aux médecins pour traiter dans la dignité la souffrance liée à la fin de la vie. Ce qui est posé, c’est la question de l’aide au suicide. C’est-à-dire la question de l’ouverture d’un « droit à la mort ». »